SENTEURS
I
I
I
*
– « Peut-être, me dit d'emblée ma visiteuse, ne connaissez-vous pas cette fleur… » (Celle qui me tend un bouquet est de ces gens que j'envie, à qui flore et insectes, coléoptères compris, semblent réserver leurs confidences.)
– « Ce n'est pas là jasmin ni clématite, n'est-ce pas ? Et moins encore de l'édelweiss…
– C'est une grappe de tubéreuse. »
(Je ne dirais pas, comme Anna de Noailles s'exclamant, alors que Colette lui désignait de la mélisse : « La voilà donc cette plante que j'ai tant chantée ! », car je demande peu aux fleurs de me fournir en images.)
– « Un bien beau nom : il rime avec heureuse et amoureuse ! »
Resté seul, je me penche sur le bouquet. Des fleurs ont encore leur corolle soudée, en apophyse. D'autres s'écarquillent en multiples pétales un peu gras, plus ou moins tuyautés ou convulsés.
Il est des tubéreuses bleues ; celle-ci est d'un blanc mat, la fleur flétrie se résorbant en un pinceau de brefs filets ivoire.
Mais pour graciles que soient les pièces florales, c'est la senteur qui me retient, dont je sais quel prix lui accorde le créateur de parfums.
Je puis, avec plus ou moins de bonheur, suggérer l'arbre, le galet, la houle de mer, la bourrasque. Mais voilà qui, pour moi, relève du « je ne sais quoi et du presque rien » de Jankélévitch – de quoi se sentir humilié devant une réalité qui échappe au filet des mots en lequel on pensait la saisir.
Cordiales, sans détours et qui vous accueillent à pleine face, sont l'odeur de la fleur du tilleul, de l'acacia, du seringa… À les respirer, un or volatil oint votre paroi interne. Celle de la tubéreuse est verdelette – ô « vert paradis des amours enfantines », prairie de printemps frais coupée !
Biaise, capiteuse, peu expansive, elle se glisse en vous et filigrane d'argent votre âme. Alors que lentes, quasi stagnantes, sont les exhalaisons du mimosa, du chèvrefeuille de juin, la tubéreuse délivre une senteur… dégourdie qu'on ne saurait dire trouble, mais à coup sûr ambiguë, voire retorse. Je retrouve, à la humer, ma prévention contre le lis, à la spécieuse candeur, croîtrait-il en un jardin de curé ; de pieuses mains en auraient-elles fleuri l'autel d'une église de campagne, à portée de nez des enfants du catéchisme.
Cette odeur-ci n'entraîne pas la saturation du sens olfactif si vite atteinte avec la lavande, l'œillet, l'héliotrope ou l'ambre gris – et l'on détourne alors la tête en quête d'un air léger, limpide. Comme émanée de choses en déliquescence, elle ternit, oxyde l'air proche. On discernerait, parmi ses accointances, des relents d'alliacées, de jacinthe, de moût de raisin en une cave, de suédine fauve, de lustrine, de pierre à fusil, de rivage par soir torride.
Mince jusqu'à la translucidité, elle induit l'interstice, la faille. Aussi le chimiste lui demande-t-il d'introduire, dans la plus stable combinaison d'arômes, un subtil porte-à-faux qui la fasse à peine défaillir. Il lui demande, par la dissonance qu'elle insinue dans le concert des fragrances, de nous sussurer les mots de jointure, de scissure.
Avisée est donc la femme qui se choisit un parfum, d'en retenir un qui compte, parmi les senteurs qui lui feront sillage, cette discrète entremetteuse.
*
***************************** * * * * *
LES MURMURES DE L'AMOUR…
L'Amoureuse :
Mes premières vraies paroles furent pour toi. Tu es la plus sûre justification du langage.
J'aspire à des mots aussi neufs qu'est mon amour – pour t'approcher sans qu'ils s'interposent.
Certains n'ont jamais eu autant ma faveur que depuis que je t'aime : anse, clairière, demeure, praline, dentellière, terre de Sienne, bouton d'or, mélodie, cornaline, cerf-volant, bigarreau, catimini… Et si l'amour d'un être se fortifiait et s'enchantait de l'amour des mots ?
*
L'Amoureux :
J'ai appris avec toi la beauté – mélancolique, pourquoi ? – d'une longue chevelure dans le fil d'un vent de mer.
Que tu pèserais moins sur la terre, sur mes bras quand je t'emporte sur le drap bleuté de blancheur, sans tes cheveux défaits…
*e
François Solesmes, Les Murmures de l'Amour, Encre marine.
*
*
* * * * * * *
*********************************