L'AMANTE (2)
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Où ai-je lu que « l'argile à foulon happe à la main » ? Ainsi fait mon corps, à ta paume ; mon corps que tu sais… sur le bout des doigts. Qui s'épure sous tes mains ; que tu rectifies comme on fait de l'alcool.
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Ma peau sous tes mains ? Une plage qu'oindrait une nappe d'écume. Chaque cellule visitée comme grain de sable.
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Mes cheveux dénoués ? La plus proche approximation de ta sinueuse caresse. En guise de pis-aller, en ton absence.
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Je suis au monde dans une forme habitable. Tes mains seules la rendent délectable – pour te donner asile !
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Tu me dis verger (en espalier) ; mais la vigne qu'on vendange, dont on soupèse et mord une grappe…
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Les dieux ne savent que façonner un corps. Tes mains m'ont gagnée, m'ont donné de l'esprit, m'ont transmuée en amante.
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Fade était ma chair. Tes caresses y font affleurer le sel ; ta main parsème sur moi la soif. Elle donne, à ma jointure, une saveur embusquée qui devrait te suggérer la mer.
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Tes doigts aèrent ma peau, la rendent plus vulnérable. Vacante, elle « travaille » et appelle les gestes de qui fait main basse sur un butin. Ainsi de cette nuque dont la prise me voue à la reddition sans condition.
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Je suis, sous ta caresse, le haut bouquet de palmes du dattier.
C'est par elle que je me découvre si riche en papilles et des plus diverses.
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Confirme-moi, du bout de tes doigts, que je suis vivante – et que tes mains s'en réjouissent. Mets-moi en ordre ; mets ma vie selon la seule perspective qui m'agrée. Fais que peau, chair et cœur ne soient qu'expectative … de félicité !
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Ta main me simplifie à l'extrême : une femme peut se réduire à une peau étale sous la caresse de l'aimé – seulement écussonnée à la commissure de l'être. Là où sourd une sève d'aubier.
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Fais de ma peau un vaste sexe à conformation de cirque de ruissellement. Creuse-moi de ta bouche jusqu'à ne plus entendre que l'effritement de mon être. Tu n'auras pas à forcer la charnière pour m'ouvrir à deux battants !
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Caresse-moi comme on tend ses paumes au feu, dans l'âtre, pour se réchauffer… Et puis, acharnons-nous à notre perte.
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Ces jours où croiser les jambes vous poignarde de vide… Où la pointe des seins est entrée en rébellion… Où votre sexe bat à votre gorge… Une faim telle qu'on doute de pouvoir jamais la rassasier… Avec, en mémoire, de grands saccages de la décence. (Les femmes qui veulent qu'on les « respecte » me font pitié !) Je souffre d'un mal dont la guérison est pire ; mais saurais-je, sans le désir, l'importance d'avoir une peau pour toucher, goûter ; des membres pour se faire hamac – et en tirer de l'orgueil ?
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Le désir instille de l'esprit à chaque cellule de mon corps ; il colore en grenat mes pensées, engorge les tissus, leur donne des élancements d'abcès – à inciser ! Il s'aménage une brèche aux parois à vif, humides comme branche de jeune frêne frais écorcée. Une entaille à combler, sous le signe de l'instance.
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Le désir ? Une source tarie par temps torride. Penser à toi alors – et nul coin d'ombre aux alentours – me ravine.
Ou encore un soleil satellite qui a crevé, s'est épanché sous ma peau, et je me défais par mon ventre. Mon ventre d'orage, comme on le dit d'un ciel où l'attente se masse. Qu'est-ce qui se meut lentement en lui, quand je pense à toi, mon souffle, ma vie, ramassés, roulés en boule ?
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Je ne savais ce qu'était, en été, l'argile gercée de soif !
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Un été tel un pavot dont le désir ferait de moi le cœur sombre.
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Le désir me fait des sourires de convalescente au souffle court.
Ébréchée, craquelée d'impatiences qui me sont autant de meurtrissures de la chair que de l'âme, une seule caresse me fendrait de bout en bout.
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Mes seins sont striés d'étoiles filantes. Dure, hostile, leur pointe m'élance et me rappelle à mes fonctions nourricières. Et quelque chose s'en émeut dans mes entrailles. Une poigne s'y referme.
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Sans forces, avec l'envie de glisser à terre, de m'y apposer, de m'y répandre, je m'assure qu'on peut aspirer à être malmenée, absorbée !
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Je suis telle un navire en détresse qui commence à donner de la gîte, à faire naufrage. Traquée. Ne pouvant échapper à quelque paroxysme. Trop fourrée de caresses en sa doublure, ma peau me brûle. Elle attend. Quoi ? Des doigts minutieux ? Une poigne de soudard ?
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Peau et ventre me font une vie impossible. Homme, tu ne sais, toi, ce qu'on éprouve à « ne savoir que faire de soi ». À être en quête d'une issue, d'un lieu de passage obligé.
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Loin de toi, je me représente volontiers couchée, roulée à tes pieds, nue, dans l'attente du premier contact. Je te « regarde », les yeux fermés, au travers de ma peau qui garde mémoire des anciennes caresses. J'attends que débute ton règne ; que s'élève ta voix qui m'atteindra au défaut de l'être et me fera à ta merci.
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Que je t'invoque en serrant un peu plus mes cuisses, et le désir en devient consistant. et me fait grosse de miel sombre.
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C'est depuis toi que le temps se fait pulpe en voie de mûrissement – pour notre délectation commune.
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Quel pouvoir as-tu, entre les hommes, pour qu'à te regarder, je sente mon cœur essaimer et de partout palpiter – aux tempes, à la racine des cheveux, aux poignets, aux flancs, et d'abord au bas de mon ventre ?
Et que je souhaite être tenue par toi comme une ville ceinte de ses remparts, ses vergers bâillant de leurs chairs mi-ouvertes !
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La densité du réel que tu enchâsses, à m'étreindre !… Les beaux sillages que tu ravives – dont je me pavoise !
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Quelle bouche tu m'as faite ! Mes lèvres s'en sont un peu retroussées. Larges, gonflées, je les sens caresser mes dents. Elles me forcent à sourire. Chaque mot que je te dis ressortit au baiser.
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C'est la bouche de quelqu'un que je ne connais pas encore bien ; de qui se dispose à embrasser – ses bras tentés de s'ouvrir tout grands. Une bouche encline à se substituer à mes mains pour mieux explorer, goûter, les paysages de ton corps.
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Mes mains étaient sans esprit. Elles savent, par toi, leurs vraies destinations : et modeler, et se faire dentelle, écume, pour inventer des paysages sur une peau d'homme.
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Je me croyais simple. Ton regard me donne un surcroît d'unité : mes quatre membres voués à une seule tâche.
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Je t'ai regardé respirant lentement, à bouche ouverte, une rose. Et je me vis intensément vivre sous cette bouche – à presque en défaillir.
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Mon sexe bat et bâille de désir, et fait de moi une chose à fouler, à fouir, à pressurer. C'est cela même que j'attends de toi, sous le velours pourpre de mes paupières, cher tortionnaire de l'intime, toi qui m'ériges, impérieux, au beau milieu du bonheur. Tel un tournesol ensoleillé.
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Je marche selon l'impulsion de ce sexe qui te doit de palpiter comme un cœur. Mais je puis le dire autrement : le sexe que tu m'as fait – charnière bien huilée – me rend la marche délectable
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Je serais sans doute paisible si, en me dotant de jambes, on avait refermé l'incision, à mon enfourchure.
Elle me cuit.
Il me semble que ta paume,, s'apposant sur le moelleux abrupt de mon sexe, lui serait baume, colmaterait la fente ourlée. À moins qu'elle n'avive mon mal ?
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J'aime quand, venu sans bruit derrière moi, tu tires, de mes jambes, une double modulation ascendante. Mais bien davantage quand, du tranchant de ta main, tu dissocies mes cuisses. Ce saisissement, alors, tel celui d'un tronc de jeune bouleau atteint par la hache. Et la sève, de sourdre en l'entaille.
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Ah ! quand deux frissons ascendants, nés sous tes mains de mes chevilles se rejoignent, se happent à mon enfourchure ainsi que deux rivières à leur confluent, comme mon sexe se rêve poigne et toute ma peau, feuille engainante !
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Assure-toi que mes jambes mènent bien à la charnière de mon corps ; ouvre-moi jusqu'à la jointure ; fais de moi ton passage obligé.
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Mon ventre est mûr. Fais le maraudeur. Fends-le comme une pastèque. Goberge-t'en ! Rends-le glorieux. La cambrure de mes reins t'y invite.
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C'est là désir de m'ouvrir à pleins bras, à pleines jambes ! Ma peau n'ayant assez d'étendue pour te recevoir.
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Femme je suis, n'en doute pas. Avec des jambes et toutes jointures utiles et tous recoins souhaitables pour en user. Dont mon sexe-mangoustan.
Mais ce sont toutes portes de ma chair que mon sang assiège de son instance. Fais-moi un temps inhabitable !
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