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Il advient que le paysage le plus familier nous semble illisible. Comme s'il y avait subversion des éléments, débordements de leurs limites, altération, mutation de leur état.
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Il advient que le paysage le plus familier nous semble illisible. Comme s'il y avait subversion des éléments, débordements de leurs limites, altération, mutation de leur état.
Je reconnais l'assise sableuse, stable sous le spectateur. Mais cet encorbellement de nuages qui ne sont des nuages ; mais, empilés, des rouleaux d'écume malaxée pour quel monstrueux soufflé ?
Noir est l'océan au second plan, et noir le ciel qui ne s'en distingue. Ces modalités des ténèbres ne peuvent que laisser l'homme subjugué par un spectacle qui pourrait prendre place dans l'Apocalypse promise. « Et l'Océan, dans sa fureur se fit montagne et s'abattit sur toute terre habitée. »
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En ce jour, la menace défie toute esquive, ainsi que face au cyclone et au séisme.
Imminence. Le temps d'un soupir, celui de tenter en vain de rassembler quelques bribes de pensée, le ciel va s'effondrer en coup de tonnerre, en foudre diffuse enrobée de nébulosités.
Comme il nous donnait le change, le séduisant océan en ses résurgences de l'horizon marin ! Force est d'admettre qu'il est aussi , d'abord, dans ses retournements, la Bête qui, aiguillonnée, ne se contient plus. Qui renverse et engloutit ; qui bouleverse les linéaments du visible, nous faisant le témoin médusé, apeuré, du Chaos originel et final, et de son « immense fournaise ».
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9
Cette vague-ci pourrait être du ressac ; un mot abrupt dont les consonances induisent brusquerie, rudesse en retour, riposte immédiate, le pugiliste renvoyé dans les cordes.
Le combat n'est pas, pour autant achevé. On ne se recule que pour reprendre son élan ; on se creuse pour mieux bander son unique muscle strié, dont l'ampleur fait présager une réponse fulgurante.
C'est une claque magistrale qui va s'abattre ; une mâchoire de Léviathan qui va claquer.
On a rencontré un obstacle qui ne se laisse ébranler et fait office de punching-ball. Des vagues littorales, maintes ont le loisir, l'espace, de prendre congé par une longue courbette que fait valoir crinière, ensellure et croupe, quitte à en perdre la tête.
Des obstacles, en revanche, sont si intraitables, qu'ils font de vous des vagues révoltées mais vouées à voler en éclats.
Les longues plages mélodieuses au regard, amollissent les guerriers ; leur sont terre de Capoue aux contours féminins, au modelé ferme et souple, blond ou doré.
L'obstacle que flagelle le flot à coups d'étrivières, lui donne, à force de rebuffades, la rage d'en finir. En ce retour sur soi après un revers, la détermination est intacte ; la fureur est en filigrane de la vague, et la ténacité, et l'incompréhension d'avoir échoué. Il faut de telles vagues de ressac pour nous persuader que l'océan jamais ne s'avouera vaincu dans la guerre d'usure qu'il mène aux continents les mieux bardés de grès et de granite.
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Le peintre Boudin, « roi des ciels de mer », m'aurait reproché de n'avoir de mots, d'images, que pour la plage et l'océan. Un reproche mérité, car un ciel de mer n'est pas celui des terres, aux horizons encombrés, que nous ne scrutons guère que pour augurer de ses dispositions.
Il veut, pour être pressenti dans sa présence, son développement, les savanes, les steppes, les regs… Et d'abord un horizon marin quand la plage et l'océan ne sont, à nos yeux, que des strates, soubassements à partir desquels s'élève l'abside immense du ciel.
« Sans bornes », l'océan ; à perte de vue, la plage ? Mais le ciel les englobe. Bleu pour cartes postales et dépliants touristiques. Plus souvent communiquant aux eaux les variations de son humeur. Et comme il pèse sur l'Élément, et semble se le soumettre ! Comme celui-ci, en compensation, le fournit en nuages modelés en une gamme de gris tendres, mordorés ! Parfois, à l'approche d'un grain, en nuées aux teintes d'ardoise ? Avec le beau temps reviendront les hauts cumulus aux reflets de meringue, et, avec eux, tout un échange, à travers l'espace, avec l'écume déversée.
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« Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change » chantait le Poète devant le ciel méditerranéen, que l'on dirait immuable, minéral.
Qu'on me laisse préférer « les merveilleux nuages » de Baudelaire, surtout quand ils semblent émanés de l'océan que j'ai sous les yeux, touche de douceur dans la rugosité des eaux, et modalité visible de leur rumeur.
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Images Ph. Giraudin