* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


mercredi

15 mars L'Écriture au féminin (I,2))

L'ÉCRITURE AU FÉMININ
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I SUR UNE DÉDICACE
2
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***Tirant de ma bibliothèque le premier livre de Colette qui se présente – c'est La Naissance du Jour –, je l'ouvre au hasard et lis : « La mûrissante couleur de la pénombre marque la fin de ma sieste. Infailliblement, la chatte prostrée va s'allonger jusqu'au prodige, extraire d'elle-même une patte de devant dont personne ne connaît la longueur exacte, et dire, d'un bâillement de fleur : "Il est quatre heures bien passées". »
***Je lis ; je vois. Quelques lignes auront suffi pour abolir le cadre de ma vie, mon temps propre, et pour leur substituer, très persuasivement, une heure, un lieu, des acteurs. Comme d'autres vous imposent les mains, l'auteur m'imposa ses mots, rendant irrécusables et le climat et la scène.
***Si j'essaie d'analyser l'étrange bonheur qui accompagna ma dépossession, j'y trouve d'abord une impression d'entière confiance envers celle qui me prit la main ; d'emblée, je sentis la sienne plus que sûre : infaillible. Je n'avais à craindre ni à-coup ni enlisement, et ni chemin qui hésite ou tourne court. On me menait au port et je pouvais, les yeux fermés, m'en remettre à mon guide. Davantage : on intégrait, à ma marche, la pulsation d'une discrète musique. Non seulement rien ne contrariait mon souffle, mais celui-ci se laissait gagner par l'aisance des phrases à vivre si justement, à se sentir chargées d'images heureuses. Et c'est ainsi que j'avançais, ma respiration renouvelée, devenue consciente de soi, à peine précautionneuse devant le miracle.
***Quant au sortilège dont l'auteur use pour me soumettre avec gratitude à ses desseins, j'ignore quel il est. On eut recours, je le vois bien, à des mots si ordinaires que le lecteur s'imagine les trouver lui-même à mesure. Et ces mots loyaux, qui ne cherchent pas à nous en faire accroire, on les assembla sans contorsion ni enflure – quoique sans faiblesse – nous imposant une vision selon les voies de la plus tranquille évidence.
***Ce qui n'est rien dire puisque tout est affaire de discernement dans le choix des termes, de sens quasi physique de leurs affinités, de leurs accointances, et des singuliers pouvoirs qu'ils retirent de leurs alliances. Et c'est ici que paraît, que se dissimule plutôt, un art consommé d'entremetteuse supérieure qui sait s'effacer, se faire oublier, si bien que les mots croient, à l'instar des amoureux, que la nécessité, la prédestination seules, les firent se rencontrer – et les voilà à leur affaire, et les voilà tout à leur bonheur.
***Je lis, je vois. J'habite à plein l'opulent présent auquel on me fit accéder ; je l'habite parce que je sais le dire, à mots éloquents et rigoureux. Me voilà inséparablement doué de regard et de parole.
***Et de me souvenir, inoubliée, d'une dédicace de Valéry, lue à l'exposition que la Bibliothèque Nationale consacra au poète : « à Colette, qui seule de son sexe, sait qu'écrire est un art, le possède, et confond quantité d'hommes qui l'ignorent. »
*
***Puis j'ouvre au hasard un recueil de vers d'Anna de Noailles. Je quitte une femme de milieu modeste, qui ne put faire d'études secondaires, qui très tôt dut âprement gagner sa vie, pour une autre sur le berceau de qui se tint un concert de bonnes fées. La naissance, l'éducation, la fortune, le loisir à discrétion, et plus précieuse que tout, une manière de génie, rien n'aura manqué à la Comtesse Mathieu de Noailles, femme de lettres et d'abord poétesse.
***Rien, sauf d'être consciente qu'« écrire est un art ».
***Je lis, mais ne vois pas. Je vois d'autant moins que faute de rechercher le verbe expressif, de provoquer des noces de mots qui soient et hardies et manifestes, on accumule – et c'est aveu de faiblesse ou de paresse – les épithètes convenues, redondantes, voire saugrenues ou dérisoires, ô « groseilles aux baies rondes et lisses », ô « douceur éclatante et susceptible », ô « douce douceur » ! ...
***Je ne vois pas, parce que, dans cette rage de tout qualifier, on obstrue mon champ visuel d'une pacotille de mots et d'images ; parce que l'esprit perd pied, que la nausée le gagne à rencontrer tant d'à-peu-près lexicaux, syntaxiques ; tant de verroterie hétéroclite, de burlesque involontaire, ô cœur « ardent et lourd », assimilé à « cette poire / qui mûrit doucement sa pelure au soleil », ou qui « aura la pente / du feuillage flexible et plat des haricots. »
***Tout à l'heure, je me laissais conduire les yeux fermés. À présent, tour à tour irrité et consterné, je ne cesse, en lisant, de mentalement corriger, d'élaguer ; je soupire après le gâchis de pareils dons, car le génie est bien sous-jacent à ce monologue profus, exalté, parfois délirant, de qui n'écoute que soi et pas même ce qu'il dit. Des vers admirables se saisissent de nous, de temps à autre ; des vers qu'on dirait beaux par inadvertance ; des vers immérités, que l'on hésite d'abord à saluer : « Je dois m'abuser sur leur valeur. Il n'est pas possible qu'il y ait une telle mutation dans la qualité... » Des vers qu'on ne lit pas sans trembler de ce qui va suivre et qui ne manquera pas de les exténuer – en quoi notre crainte n'est jamais déçue. Et c'est ainsi qu'avec « une âme universelle », « excessive », « un cœur tumultueux », une parole ardente et qu'on espérait immortelle, on précipite dans le dédain et dans l'oubli, pour en être demeurée au romantisme, à croire que Rimbaud n'avait pas paru ; pour n'avoir pas entendu Valéry assurant que « l'enthousiasme n'est pas un état d'âme de poète » ; pour avoir confondu le vague, le lâche et le grand, et préféré « les poèmes que les astres [lui] dictent mystérieusement » ; pour avoir encore et surtout cédé au plaisir, à l'ivresse de plaire, sans écouter jamais que ses adulateurs.
*
***Le destin du poète Anna de Noailles est exemplaire de ce qui se produit quand, tenant pour digne de la postérité tout ce qui tombe de votre plume, on cède à la facilité, à la complaisance envers soi. Si les œuvres de femmes étaient assimilées à des « ouvrages de dames », n'est-ce pas que plus souvent qu'ailleurs, ou à un rare degré de virulence, on y trouvait ce qui fut fatal à l'auteur du Cœur innombrable : non la richesse mais la pléthore et l'encombrement ; non l'exigence, la rigueur, mais l'impatience et le laisser-aller ?
***Marie Noël - considérable poète - s'interrogeant sur « son parti-pris contre toute poésie féminine », le justifie en ces termes : « De la grâce, oui, et du charme, mais trop peu détachés [des femmes] pour qu'on puisse parler de créations, d'œuvres d'art. » Immergée dans le moi organique et sentimental, on pense qu'il suffit de se laisser aller pour faire œuvre durable ; de se raconter à la façon des bavardes qui ne vous font grâce d'aucun détail – sans se douter que l'infime ne nous retient que lorsque l'alchimie d'un Proust l'élève à la hauteur d'un événement de la sensibilité.
***Restée plus proche que nous de la nature, la femme est tentée d'écrire comme elle parle, de se satisfaire du style lâché du journalisme – la prétention en plus. Elle ne paraît pas avoir pris conscience que le naturel, loin d'être donné, doit durement se conquérir ; que la sensation, chez le lecteur, de la parole spontanée, du cri brut, s'obtient – de quoi témoigne un Céline – par un traitement méticuleux, acharné, du langage et non par la simple transcription de l'oral.
***Prolixe, tendant vers 1'efflorescence, et par ailleurs flottant ou négligé, tel apparaît trop souvent le style « à la paresseuse » des ouvrages de dames. L'épithète y abonde, ou faible, flasque, ou excessive – par une commune prédilection pour les mots plus grands que soi; les images y prolifèrent, qui sont, non comme chez Colette d'une force, d'une justesse à vous faire rendre les armes, mais arbitraires ou approximatives, faciles et mièvres, ce qui donne au lecteur le sentiment du clinquant et du maniérisme, de la gratuité surtout, tant on semble croire qu'on peut tout se permettre en fait de rapprochements de mots – ce qui est méconnaître la nature de l'image, de la métaphore, la rigueur qu'impliquent leur hardiesse et leur nouveauté.
***Au total, des ouvrages dont beaucoup ont la portée, le destin des témoignages non élaborés, des simples conversations ; des œuvres-miroirs où se donnent libre cours 1'égocentrisme, le narcissisme, la sensiblerie, le larmoiement. Des productions encore d'épigones et parfois, comme pour Anna de Noailles grande admiratrice du Musset poète, d'attardées.
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Les Murmures de l'amour
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L'amoureuse
Puisses-tu trouver en moi tes rives, quand tu es, homme aux yeux d'enfant, telles ces étendues d'eau indécises, en quête d'un sens, d'une pente…
Et puis le rivage même quand, las de vaguer, tu as soif d'accoster.
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L'amoureux
Quand tu dis : « Je t'aime. Je veux grandir. Je te désire. Je n'ai que toi » à voix assurée qui engage, et en dépouillant ta parole de toute fioriture, je reçois tes mots comme l'eau engloutit l'un de ces beaux galets que nous trouvions, en longeant la mer.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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samedi

1er mars L'Ecriture au féminin I (1)




L'ÉCRITURE AU FÉMININ

I SUR UNE DÉDICACE

1

Un amour de la vie, chez nos compagnes, incomparablement plus soutenu que le nôtre, une vaste expérience sensorielle, auraient dû, pensons-nous, se traduire par un foisonnement d'œuvres de portée universelle. Or, comme le soulignent avec malignité les misogynes, on cher­cherait en vain chez les femmes l'équivalent d'un Platon, d'un Shakespeare, d'un Michel-Ange, d'un Beethoven... Elles, que leste le sang, qui vivent dans la fréquen­tation assidue de l'élémentaire, qui sont bien moins que nous coupées de l'originel, auraient pu, nous semble-t-il, témoigner sur « ce que l'homme a cru voir » comme dit Rimbaud.

On sait à quelle hypothèse eut recours Virginia Woolf pour justifier le silence des femmes au long des âges, ce silence dont sourdement nous leur en voulons, ainsi qu'à un détenteur de secrets primordiaux qui nous les refuserait. « Si Shakespeare, dit-elle, avait eu une sœur aussi merveilleusement douée que lui, […] il [lui] aurait été impossible, complètement et entièrement impossible d'écrire en son siècle les pièces de son frère. Elle aurait été si contrecarrée et torturée par tous, qu'elle serait devenue folle, se serait tuée ou aurait terminé ses jours dans quelque coin écarté, mi-sorcière, mi-magicienne, objet de crainte et de dérision. »
Et qui pourrait nier qu'aujourd'hui encore le temps de la création ne doive être âprement disputé aux tâches domestiques, à la disponibilité due aux commensaux ? Si la gestation d'un enfant se poursuit en un lieu clos, retranché, dans la continuité même, celle d'une œuvre féminine doit composer avec le prosaïque et parfois le sordide ; elle ne saurait compter sur la régularité de l'effort, essentielle aux productions de longue haleine, et d'abord à la seule venue de 1'« inspiration ». Le grenier, la pièce désaffectée où vous attendraient vos créatures, impatientes de s'animer, cette inviolable chambre à soi que revendique Virginia Woolf, demeure un rêve pour bien des femmes.
Elles n'œuvrent donc, alors, que dans la culpabilité, dressées qu'elles furent à être en permanence présentes. Elles œuvrent en un temps qu'elles savent dérobé aux proches, aux tâches jamais achevées qui leur sont dévolues. Ou bien la nuit, quand tout dort, et dans la mesure où l'on n'est pas trop rompue, fanée, ou qu'on n'a pas l'oreille suspendue au souffle d'un enfant.
Au reproche, muet ou formulé, de la famille à qui on ne se consacre pas tout entière, la société, hier encore, ajoutait volontiers sa suspicion ou son mé­pris, son ironie ou son hostilité. Qu'était-ce que cette femme qui trahissait sa na­ture et sa charge et dérangeait l'ordre établi ? En publiant – en se divulguant –, elle révélait la faiblesse intrinsèque de son esprit, compromettait son entourage, décon­sidérait son sexe, ou du moins affaiblissait l'aura que celle-ci devait à une tradi­tionnelle retenue. En bref, comme le disait son confesseur à Thérèse d'Avila qui voulait publier ses écrits : « II ne sied pas qu'une femme fasse parler d'elle. » Certaines se réfugièrent dans l'anonymat ou se revêtirent d'un masque d'homme ; mais beaucoup sans nul doute renoncèrent plutôt que de devoir braver l'opi­nion ou parce qu'elles pressentaient que « la gloire est le deuil éclatant du bonheur » ; cependant que d'autres s'effaçaient devant l'œuvre d'un père, d'un frère, d'un mari, lui sacrifiant avec bonheur ou révolte la leur propre. Aussi ne peut-on que souscrire au mot de Stendhal : « Combien de génies perdus pour l'humanité parce qu'ils ont eu le malheur de naître dans un corps de femme? »
« Dans un corps, un esprit et une âme de femme », devrait-on plutôt dire, tant s'y rencontrent de traits spécifiques peu accordés aux exigences de la création se­lon le modèle masculin.
Pareil à ces arbres puissants qui s'élèvent au-dessus d'un cercle de terre brûlée, le génie est totalitaire. Il fait, il exige le désert pour s'accomplir. In­satiable, l'œuvre draine cyniquement à soi tout ce qui peut la nourrir ; elle s'an­nexe le créateur, mobilise ou annule l'entourage. Elle est convergence indéfinie au­tour de l'axe d'une idée fixe.
Détentrice attitrée de la compassion et du dévouement, la femme répugne à rivaliser avec l'homme en ce qui passe pour égoïsme et sécheresse de cœur. Ses forces créatrices, son temps, son invention, elle les distribue, les dilue – les dis­sipe, à veiller et panser, à administrer son domaine. C'est le quotidien qui dévelop­pe en elle le sentiment de l'urgence, non un dessein chimérique. Elle tient presque toujours qu'il n'est pas d'œuvre de l'esprit qui vaille une vie où l'on soit parve­nu à faire droit aussi à l'amour, la nidification, la maternité. N'est-ce pas, au demeurant, parce que celle-ci est refusée à l'homme, qu'il s'engage en des entrepri­ses propres à lui faire approcher les douleurs de l'enfantement ?
Et puis, pourquoi vouloir, à son exemple, transcender une vie qui vous fournit en joies modestes mais sûres ? Voir dans le réel un tremplin pour des in­cursions dans l'inconnu, dans l'innommé ? Pourquoi refaire un monde somme toute ha­bitable, qu'il ne faudrait qu'aménager ? Les femmes ont trop partie liée avec la nature, le monde créé, pour céder volontiers aux séductions de l'infini, à la tentation de l'illimité, ou seulement du symbolique. La résistance du réel les rend humbles et, dans l'amour, un visage, souvent, suffirait à contenir, à commuer les élans qui les visitent.
Laissant à l'homme les constructions audacieuses, les perspectives et les systèmes, elles intègrent dans leur art l'expérience du quotidien, leurs rapports avec l'émiettement, la dispersion. Aussi leur création a-t-elle toujours brillé dans le détail, lequel s'élève, par son exécution, à la richesse d'un tout.
Mettre en parallèle une valenciennes et les fresques de Giotto à Assise n'a de sens. Reste que le moindre détail de la broderie enferme une telle den­sité de patience, de délicatesse, de minutie, de ferveur, d'application extrêmes, qu'il nous introduit à la notion, à la sensation de l'absolu. De quoi rêver à un vé­ritable éloge du détail qui réhabiliterait l'œuvre de certaines femmes considérée pour un dénombrement de leur territoire propre effectué au filtre de leurs sens.
Leur soumission au quotidien, à la constance des cycles, pré­servent sans doute les femmes du profond égarement, de la détermination farouche et quasi désespérée dont procèdent maintes œuvres capitales. À moins qu'elles ne pensent que l'extravagance et la démesure leur siéent mal à nos yeux, et qu'une œuvre d'elles qui serait le fruit d'un monstrueux renoncement à la vie mettrait par trop en évidence leur versant viril.
Non, nul équivalent de Vinci, Dante, Bach, Molière, Kant ou Maillol. Pour­tant l'histoire abonde en œuvres de femmes qui ressortissent à l'authentique génie. L'ampleur, la puissance, la richesse sont moindres, – l'époque, les préjugés, le genre adopté, l'expérience et les forces du créateur ayant imposé leurs limites ; mais ce sont purs génies et non artistes de talent, que Louise Moillon, Berthe Morisot, Séraphine de Senlis, Camille Claudel ou Leonor Fini, pour s'en tenir aux arts plastiques et à la seule France. Quant à nous toucher, il ne manque pas de jours où l'île nous retient, nous réjouit infiniment plus que tel vaste continent.
Il n'est, en fait, guère de domaines où le génie féminin ne se rencontre, y compris le politique et le spirituel, ou même celui des sciences pures comme en té­moignent les travaux de Marie Gaetane Agnesi ou de Sophie Germain. Cependant, la lit­térature a retenu tant de figures de femmes de premier plan, qu'il est tentant d'en observer les modalités en ce domaine – après toutefois que soit faite une remarque d'importance. Car, en notre pays, il ne man­qua pas de pères, aux XVe et XVIe siècles, pour faire instruire leurs filles. À une certaine Clémence de Bourges, Louise Labé écrit, en 1555 : « Étant venu le temps, ma­demoiselle, que les sévères lois des hommes n'empêchent plus les femmes de s'appli­quer aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui en ont la commodité doivent employer cette honnête liberté que notre sexe a autrefois tant désirée, à icelles apprendre. »
Toutes celles qui le pouvaient suivirent-elles ce conseil ? Il est si ai­sé, si rassurant, de se plier à l'ordre des choses, de s'en remettre à l'Autre de vo­tre destin ; et si inconfortable de refuser, d'affronter ; si douloureux d'astrein­dre un moi peu enclin au labeur soutenu et fastidieux, surtout quand votre entourage vous fournit en alibis, faisant ainsi taire en vous la mauvaise conscience... Et s'il y avait eu, hier, celles qui cédèrent aux séductions de la servilité, et celles que rien, ni les sujétions familiales ni les préjugés régnants, et pas même les structures en place, ne put empêcher, à leur corps défendant, de devenir aventurières, exploratrices, danseuses, actrices – écrivains ?
Le lettré qui, au siècle dernier, entendait parler de littérature féminine esquissait une moue : comme la littérature régionaliste ou populaire, il s'agissait pour lui d'une production en marge et en deçà de la Littérature, celle que ne vient restreindre aucun qualifi­catif, pure qu'elle est de toute considération du sexe de l'auteur.
Tous les griefs du lecteur délicat, cependant, ne valaient pas également, et il y aurait eu quelque injustice à reprocher aux femmes, eu égard à leur expérience li­mitée, de n'avoir excellé que dans le roman, le récit, la poésie, l'autobiographie, la lettre, le journal intime – ce qui faisait dire à un Oscar Wilde qu'elles ne savaient parler « que de leurs intérieurs et de leur intérieur. » Au reste, un Montaigne, pour s'examiner avec un scrupule infini, ne s'en hisse pas moins à l'uni­versel, et nous devons à l'égotisme, à 1'intimisme, de rares joies de lecteur.
Et pas davantage ne devrait-on blâmer les femmes d'avoir fait, de l'amour, le thème majeur de leur inspiration puisqu'à mille odes et élégies, incantations et déplorations où l'hom­me a fixé toutes les nuances du sentiment amoureux, ne répondent qu'un nombre restreint de témoignages de premier plan émanés de l'autre sexe... C'est par les pouvoirs de l'invention, de l'écriture, de la composition, et non par le genre ou le thème, qu'un ouvrage ressortit à la littérature, qu'il acquiert le statut de chef-d'œuvre.

***

Les Murmures de l'amour

L'amoureuse
Pardon de te le dire, mais la privation de toi me fait, à la longue, écorchée, ébréchée, pleine de hargne. Pardon, oui, car voici que tu reviens en moi, ou plutôt que je retrouve mes rives, mon lit – et que je m'écoule vers toi. Voici que tu m'orientes et me gouvernes à nouveau.
Voici que mes yeux frangés de larmes font le ciel plus clair. Sans doute parce qu'il y a, pour moi, dans la morte saison de l'absence, plus haut que le désir : la tendresse.

L'amoureux
Le crépuscule a déjà envahi le ciel, imprégné le sable ; et tu es face à cette chose pure : le soir au bord de la mer. Je m'approche sans bruit et me place derrière toi. Sans te retourner, tu t'appuies comme on s'adosse à un tronc, tes mains s'ouvrant vers l'arrière. A l'arbre que tu fais de moi, tu donnes le feuillage sombre qui prend naissance en tes cheveux et se développe là-bas, jusque dans le noir de la vague. Ne bouge pas, laisse-toi ainsi dériver, debout, au fil de « notre sang commun »…

François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.

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