RIVAGES (3)
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La montagne, la mer, furent abondamment célébrées. Je ne suis pas sûr que la plage ait eu le tribut de louanges qu'elle mérite.
Quand elle s'incruste dans une côte rocheuse, elle prend tous les aspects. Certaines sont pavées de galets, d'autres sont caillouteuses, hérissées de rocs. Sableuses, au pied d'une falaise, on croit, à les voir, assister à une mutation du minéral. Toute cohésion, constance, rudesse et raidissement, la roche est devenue plus que traitable : meuble et affable. Elle le prenait parfois de haut ? La voici humble, déposée, faisant prévaloir, face au rigide, à l'acerbe horizon marin, la couche avenante où s'allonger, où se démettre.
Semi-circulaire, elle impose, dans le désordre des lignes, l'accolade de l'accueil. Une invisible main, planant sur elle, égalise les aspérités du flot, discipline sa fougue. Et c'est un océan faiblement étagé en minces terrasses d'écume qui fait sa soumission à la terre ; qui la pavoise de ses concentriques stries d'accroissement. C'est une eau non plus debout, vindicative, mais qui – tel le conquérant civilisé par sa conquête – s'épand en larges nappes de neige frottée de vent.
Et le sable d'en grésiller d'assouvissement.
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Si je me suis établi durablement sur la côte landaise, c'est avec le sentiment que là, en ce lieu à perte de vue dépourvu d'accidents de terrain, j'aurais chance de voir ce qui, dans leur conflit immémorial, ne devait qu'aux seuls antagonistes en leur nudité respective.
Caps, îles et récifs, fragmentent les perspectives, dispersent le regard. En ce lieu, la régularité de l'estran, sa quasi rectitude jusqu'à l'horizon, donne corps à la notion d'ampleur : ce sont deux adversaires de taille qui se font face. Chacun ayant une puissance accordée à son étendue, l'une de détente et d'expansion, l'autre d'inertie. Et nous voici témoin du heurt de deux… continents pareillement massifs, sans nul dérivatif à leur affrontement.
Par côte rocheuse, notre marche à la lisière des deux empires ne peut-être que sinueuse, à tout instant ralentie de traverses successives. Nul appel ne nous venant d'un horizon terrestre encombré. En revanche, quel pouvoir d'attraction a, ici ce point de convergence, au plus loin, des simples linéaments du paysage ; et comme il est tentant de suivre cette large allée aux faibles ondulations, dont l'uniformité se fait engageante aux yeux – chaque vague déferlante pressant notre flanc, ponctuant, relançant notre avancée, jusqu'à l'étourdissement qui nous menace, ainsi terrassé par l'immense, abreuvé de la lumière du vent, flagellé par celle des nappes d'écume !
Les côtes découpées, tourmentées, font, sous les assauts, feu des quatre fers. Ce ne sont qu'escarmouches, échauffourées, canonnades, infiltrations, prises à revers… – aux applaudissements de spectateurs en attente de surenchère.
Le pittoresque est absent de cette plage non plus semi-circulaire, mais étirée à l'infini. Hormis par gros temps, l'océan s'y déploie, s'y étire, en bon ordre, ses eaux en longues chevelures sous le démêloir, qui boucleraient en fin de course. Des eaux à peine offensives dans le flux, comme désarmées à ne rencontrer que soumission. À moins qu'on y voie des théories de tributaires venant rendre hommage au minéral, par force palmes déposées – l'acquiescement à perte de vue.
Plus rien ici n'est à ronger, à abattre ; la transgression ne s'y conçoit. Mais qu'il y ait eut une interminable guerre d'usure, ce désert côtier de sable en témoigne, dont chaque grain est comme, matérialisé, celui d'une rumeur à l'inlassable patience.
Cependant que l'insociable s'étonne : « – Vraiment, il est sur cette terre, des termitières humaines, des lieux où l'on se sent à l'étroit parmi ses semblables ? Que vaste et simple – élémentaire ! – est, sous mes yeux, ce monde ouvert bien à plat ! Une fièvre perpétuelle dessèche les métropoles ? Ici, en un temps majestueux, aspersions, ondoiements, se succèdent, et l'onction se diffuse en l'espace et le féconde. Une cacophonie s'élève de chaque ville ? On y imprime en foule de vains écrits qui subsistent ? On me parle, en ce rivage, d'une seule voix, et la plage est palimpseste… »
L'insociable a tort. Il est excellent que des côtes « pittoresques » fassent office de distraction pour la foule, si des rivages sont, pour quelques-uns, nefs à ciel ouvert.
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La plage landaise borde une plaine ; la côte, d'un trait, ne s'échancrant qu'au débouché de modestes cours d'eau. C'est une plage accomplie que la finesse de son sable, l'absence de tout relief, revêtent de suavité pour qui la regarde. Cependant qu'elle donne, à la plante du pied, où qu'on aille, la sensation d'être massée par l'infime.
Elle est perspective illimitée entre forêt marine et forêt de pins maritimes. Mais, plus qu'une côte rocheuse, contournée, elle fait figure de marge pour l'immense feuillet océanique. Une marge que le texte envahit deux fois le jour, ou plutôt qu'il enlumine d'arabesques.
L'obstacle exaspère le flot qui s'en cabre, s'ébouriffe, se désarçonne – et reprend l'assaut, à lances de neige, et le désordre se perpétue, et l'informe, et le tumulte.
Ici, l'absence d'encombre nous vaut cette frise de palmes, tous heurts aplanis, où se manifeste l'hégémonie de l'horizontale. Et quelle sérénité nous vient devant un monde en parfait équilibre, étageant ses épures de strates – de sable, de mer, de ciel ; le grain de la plage s'entremettant entre celui de l'azur et celui de l'étendue marine.
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Les Murmures de l'amour
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L'amoureuse
Que le couple soit tel un arbre, ton étreinte le dit, si impérieuse que j'ai la sensation d'avoir en toi mes racines.
Mais je goûte fort, aussi, cette faiblesse en mes membres quand tu me prends dans tes bras et que je dois m'appuyer sur toi : c'est la douce, la secrète détresse des convalescences.
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L'amoureux
Je te regarde, irréfutable, m'entrer dans le cœur et sous la peau. Si avant que tu ne sauras retrouver la sortie !
Au vrai, tu es si bien plantée dans ma vie, qu'il me faut désormais te passer sur le corps au moindre pas.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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