XV
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Un vaste étal de trappeur du grand Nord croulant sous des peaux d'ours blancs ? Les convulsions d'une Mer blanche ?
Non : celles, en pays tempéré, d'un océan blême de rage.
Lui qui, paisible, se fait esplanade des bleus les plus profonds ; jusqu'à la dureté de l'acier – et l'on croit voir alors la rigidité d'une table de dolmen – , nous jette au visage un blanc de toute provenance.
Ce n'est plus le filon d'albâtre qui soutache et fait valoir le socle minéral ; qui l'aère et nous le rend moins abrupt. Perspectives abolies, horizon estompé, voici l'hégémonie du blanc. Cassé, limoneux, sur lequel tranche celui d'un buisson enneigé, surgi au pied du monceau.
Il faut la fureur de l'océan pour nous l'apprendre : il recèle des bassins d'antimoine, de céruse – et de craie. Sans doute aussi du spermacéti cher au Melville de Moby Dick. Et nous voyons l'émulsion lactescente de tout cela.
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On associe le blanc à la candeur ? Il est ici la manifestation de qui ne se contient plus. Tous codes ou prescriptions récusés, c'est là l'emportement qui vous jette hors de soi.
La banquise sous-jacente, on nous cingle la face d'une bourrasque de grêle, de grésil, de blizzard. On nous fait le témoin de l'exaspération dans sa crudité.
Est abolie la majesté des houles régulières, quand chaque vague retentit en nous comme le pas du Commandeur se rendant au dîner que lui offre Don Juan. Nous n'entendons plus que la rumeur d'une émeute, sans meneur, d'une foule fulminante, échevelée, en quête de l'objet de sa fureur.
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Au cœur de l'été de nos climats, une galaxie d'hiver. Non celui de Brueghel - l'Ancien, de Vivaldi ou de Haydn. Plutôt celui des gravures de l'édition Hetzel du Pays des fourrures, de Jules Verne. Sauf qu'on y attendrait en vain une aurore boréale.
C'est ne savoir observer, que d'éprouver devant l'océan, un sentiment de monotonie : Il est chaque jour, à chaque instant, l'Inattendu, l'accident au sein de la permanence.
Il progresse, se ravise, vire de bord, revient à la charge, image de l'autonomie dans la contrainte.
Malgré tant de langes, ce n'est pas une délivrance, qui se produit sous nos yeux ; mais au regard de ce monceau de dépouilles, une mue.
L'océan fait peau neuve et nous apparaîtra demain sous ses dehors d'apparat ou le ciel puise son éclat de beau temps.
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Photo Ph. Giraudin
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Photo Ph. Giraudin