« VUE SUR LA MER »
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XVII
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Et si l'un des privilèges de ceux qui hantent les rivages marins était d'assister, dans son intégralité, au coucher du soleil ?
Que sait-on, d'un crépuscule, dans les cités ? Le ciel se déminéralise, s'oxyde ; les lumières tiennent à distance la fine cendre qui tombe. Plus graves sont les voix ; assourdis, les bruits. Regagner le gîte, la lampe, terni de labeur et de confrontations.
Qui habite la campagne voit les ombres s'allonger, le paysage devenir grisâtre, comme dans les tableaux embus.
Collines, arbres et haies, interposent leur silhouette et vous dérobent une partie des fastes.
Mais au bord de la mer…
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Quel incendie – celui de Londres ? de Moscou ? – rougeoie par delà l'horizon ? Ou serait-ce les feux d'une canonnade au cours d'une sanglante bataille ?
Mais non : nous sommes au théâtre. Pour rideau de scène, de grands drapés de violine et d'orange. Pour plateau, un immense à plat, d'un violet cobalt foncé où se filigrane l'esquisse d'un ciboire ? d'un ostensoir ?
Solennité. La pourpre cardinalice du ciel appelle une cérémonie sacramentelle ; du moins la représentation d'un mystère du Moyen-Age. A moins qu'il ne s'agisse de l'office funèbre d'un dignitaire – et quel plus opulent catafalque ? Quelle plus vaste chapelle ardente ?
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Nul grand n'est mort. Nous sommes seulement témoin du Coucher d'un monarque. En grand apparat, et ne manquent – mais les couleurs y pourvoient –, que les éclats de fanfares qui ponctuaient ses repas.
Couleurs. Ce monarque prise peu les demi-teintes, les tons passés. Davantage, celles des oriflammes et des émaux.
Et qu'importe s'il se trouve un jour un Saint-Simon pour voir, dans cette pompe, infatuation, ostentation ; dans ces couleurs orgiaques, un signe de mauvais goût ; et qualifier de chromo, la peinture qu'on en pourrait faire.
Même si, l'office demeurant semblable, le décor change de jour en jour. Que le ciel soit encombré de cirrus, par exemple, et il devient un baldaquin où le jaune doré se transmue en terre de Sienne brûlée.
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Ce sont là les dernières munificences solaires : le noir attend son heure ; il imprègne déjà les grenats du ciel ; il approfondit les outremers, les bruns van Dyck des flots.
Ce sont là les dernières munificences solaires : le noir attend son heure ; il imprègne déjà les grenats du ciel ; il approfondit les outremers, les bruns van Dyck des flots.
Un tel spectacle serait funèbre s'il ne laissait présager, immanquable, la prochaine aurore. Il faut néanmoins se réjouir qu'il soit épargné aux continentaux de tous pays.
La société, le foyer, font diversion. Le spectateur d'un coucher de soleil sur la mer est seul, en couple ou non. Il se découvre plus infime encore que devant l'océan tumultueux. C'est un rougeoiement à froid qu'il contemple, et ses épaules le lui confirment.
La Nuit se fait de toute part instante et vous gagne le coeur. Ce qu'elle vous murmure? Que le dernier mot lui appartient et qu'il n'y aura plus alors de petit ni de grand jour.
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Clichés Ph. Giraudin
La Nuit se fait de toute part instante et vous gagne le coeur. Ce qu'elle vous murmure? Que le dernier mot lui appartient et qu'il n'y aura plus alors de petit ni de grand jour.
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Clichés Ph. Giraudin