l'arbre en ses saisons
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automne
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Entouré de grands arbres, je ne reçois pas ces lignes sans quelque mauvaise conscience, tant je méconnais ma chance :
– « Je vivrais mal en un pays sans saisons, sous des cieux immuables, réputés "bénis". Regards, sensations, sont renouvelés quand se modifient les paysages. On redécouvre des lieux pourtant connus. Les vêtements changent ? Le moi sensible, bien davantage. »
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De fait, que savent des saisons les citadins impénitents ? Ce que leur en apprennent les devantures, les platanes des trottoirs, les jardins publics, la mise des passants. Les façades des immeubles, le bitume, la tôle des voitures, n'ont de saisons. L'infime chuintement du temps qui passe n'a de modulations que diurnes. Une même palette de couleurs vous établit en une durée égale, vécue comme stagnante, au point de vous rendre étonné, un jour, d'être si proche de votre fin
La compagnie de grands feuillus vous épargne un tel aveuglement.
On vivait, depuis des jours, dans la tonicité des verts, et l'on s'avise qu'une feuille, plusieurs, un rameau, virent leur pigmentation native, ainsi que certaines peaux atteintes de vitiligo.
Quelques jours encore, et des touches de jaune d'or, de jaune indien, allègent, aèrent la masse austère du vert émeraude ou véronèse.
Si l'automne est, pour maints végétaux, la saison où les feuilles rouillent, prennent des teintes de vieux parchemins, il est, pour d'autres, le temps où notre œil découvre en eux quels substrats chaleureux nous dissimulait le vert.
Nous attachions, à cette couleur, des sensations de fraîcheur, de froideur – ô noyer ! Nous allons vivre pendant des jours dans des enluminures de Livre d'Heures.
Voici, avec la gamme des rouges – du vermillon, de l'écarlate, de la garance au carmin –, le climat de l'ardeur, de la flamme, de la passion. De l'opulence. L'or natif mêlé au vieil or, au vermeil, au cuivre. Et de nous souvenir du mot de Mallarmé à Valéry devant la fin de l'été, à Valvins : « C'est le premier coup de cymbale de l'automne sur la terre. » Coup de cymbale qui gagne, en ce qui sera fanfare, le geyser du peuplier, le médaillier du bouleau – et la vigne-vierge qui ensanglantera les façades.
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On dit que certaines agonies voient s'empourprer des joues blêmies par la maladie ou l'âge ; le moribond faisant preuve d'une étonnante agitation.
Faut-il entendre, s'élevant de la Nature à l'automne, une modalité de l'antique déploration – sous des lambris dorés : « Le Roi se meurt, le Roi est mort ! » ? Ou voir, en cette féerie colorée, les multiples avatars du vert en son mûrissement, ainsi qu'une pomme verte devient, avec les jours, blonde ou cramoisie ?