III
Sont à plaindre le rustre, le cynique, qui n'ont en eux la moindre empathie pour le féminin: ils ne sauraient éduquer à la déférence, aux égards réciproques. Mais l'adulte serait-il de qualité, qu'il doit se garder d'intervenir dans la lente appropriation par le jeune être de son sexe spécifique. Au plus peut-on souhaiter qu'un père, une mère apprennent à leurs fils à considérer filles et jeunes filles :
– « Regardez ! Regardez comme tout paraît couler de source, avec elles ! Nous le savons : il en est de brusques, batailleuses ; de geignardes, de maniérées… Mais comme tout semble bien disposé, envers certaines, quoi qu'elles fassent ! À croire que les choses se plaisent avec elles… Elles sont moins fortes que vous ? La belle affaire ! Elles excellent où vous ne seriez que patauds. Elles pleurnichent pour un rien ? Elles ont une sensibilité, une affectivité, dont vous n'aurez jamais que l'embryon… »
Le climat qu'induiraient de tels propos serait propre à affirmer filles et adolescentes dans leur identité de femme en devenir, plus que des prouesses les égalant à l'homme en inventivité, en efficacité. Il développerait leur vocation essentielle : recevoir en retour le bonheur qu'on se sent disposée à répandre.
Les meilleures (La Bruyère l'a noté : il en est « de pires que nous ») rêvant de pouvoir dire, après la Jeune Captive « Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux. »
Des hommes, des femmes, sont viscéralement attirés par des êtres de leur sexe. D'autres semblent éprouver la même gamme de sensations à caresser l'un ou l'une de leurs congénères ou un corps dissemblable.
Pourraient-ils comprendre l'homme qui trouve, en la seule femme, la compagne avec qui reformer le couple originel ?
Elle est l'Etrangère qui débouche un jour en marge de votre vie. Auriez-vous été le témoin, à faible distance, de sa formation, que la croissance d'une femme se fait toujours dans une ombre d'arrière-pays, longue, épaisse à traverser.
Elle est l'Etrangère ; elle est Autre par son apparence, sa démarche, sa voix, son rire, le regard qu'elle pose sur les fleurs, les eaux, les tissus. Sur vous. Un regard interrogateur qui vous jauge, quand vos pareils n'ont guère à apprendre de l'homme, quand ils vous abordent.
Ses contours, ses galbes, l'arabesque de ses déambulations, les modulations de sa voix, illustrent la suprématie de la courbe sur les lignes brisées, anguleuses, qui régissent l'homme. Ses ressources en patience, en dévouement, en courage stoïque, passent de loin les nôtres.
Il faut le redire : si tant ne connurent que le joug du féminin, si elles furent, si elles sont, si malmenées, honnies, bafouées, mises à mort, n'est-ce pas pour avoir été, et être, jusque dans leur apparente soumission, la mauvaise conscience de l'homme – lequel s'éprouve ramené à ses piètres dimensions, situation insupportable qui appelle la violence ?
La « Révolution culturelle » de Chine imposa l'uniformité dans les signes distinctifs des sexes. Le tyran mort, chaque jeune fille se revendiqua du genre féminin, et d'abord par le vêtement : « Je suis femme, et singulière, qu'on le sache, et d'abord par ma mise. L'uniforme bridait, arasait, mes inflorescences ; me privait du plaisir d'être distinguée, préférée, dans la foule ; de la fierté de pouvoir disposer de moi … »
Aux prosélytes de la théorie du « genre », il faut dire : « Ne jetez pas le trouble chez qui ne connaît l'indécision. Ces vues que vous propagez ne sont ni de femmes qui se savourent, ni d'hommes sachant que plus une femme s'habite sans réserve, plus ils ont chance de s'en réjouir. Aux jeunes possesseurs d'un fier pénis, tenez plutôt ce langage : "Considérez sans morgue, les êtres qui en sont dépourvus, ils ont beaucoup à vous apprendre. Plus votre regard les fera femmes, plus l'homme, en vous, tiendra pour une faveur insigne que la femme soit". »
Que nos catéchumènes se persuadent que leurs propos sont vécus par l'enfant comme une intrusion en un domaine qui relève de l'intime même ; comme une ingérence qui les met mal à l'aise, sentiment qu'ils n'éprouvent aucunement dans leurs jeux où, à l'insu des grandes personnes, on se découvre mutuellement avec un tel émoi qu'on en garde durablement le souvenir attendri – et choyé.
En matière de sexualité, d'amours enfantines, les prémices n'ont de prix. L'immixtion précoce d'hommes , de femmes, chez qui la vie a retiré toute fraîcheur, et qui vous assènent leurs certitudes, fait penser à ceux qui, entre deux doigts, font ouvrir un bouton floral de fuchsia, de coquelicot, bien avant leur maturité. Une éclosion forcée qui prive maints garçons – je ne sais si cela vaut aussi pour les filles à notre égard – de grandir avec cette question obsédant leur esprit : – « Comment est-ce fait, une fille ? »
De quoi, enfin instruit, se réjouir de nos différences.