UNE ROSE D'AUTOMNE
I
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« Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise. » Qui se remémore encore le vers d'Agrippa d'Aubigné ? Des êtres au soir de leur vie, devant un rosier qui aurait gardé ses feuilles vernissées, et ses dernières fleurs ?
Du mien, je viens de détacher une branche, et de la mettre en un vase. Est-ce parce que je sais le sort promis à la fleur ? Je salue sa tenue présente : au bout de sa tige, rehaussée de l'étagement des feuilles, la fleur, ramassée sur soi, porte beau, comme insensible à la constriction des matins. Une invisible main enserre un fouillis de pétales librement concentriques. Un bouillonné, dirait une décoratrice ; et le mot dit, contenus, l'ardeur effervescente, l'empressement, l'impétuosité à paraître. Mais c'est là, néanmoins, une construction en équilibre, affleurée de la pesanteur ; un assemblage précaire, voué à se défaire ; une cohérence qui porterait en elle la dispersion.
Les pétales extérieurs semblent même au bord d'un abîme, et l'on suppute le temps qu'ils tiendront tête au vide, donnant le signal de ce qui s'apparente à une débandade, à un sauve-qui-peut au ralenti, à l'inverse des oiseaux qui se groupent pour migrer.
Alors que tout demeure lié, il nous semble voir l'attraction terrestre s'exercer, périphérique, faible encore, mais assurée de l'emporter.
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De nous, monte un faisceau de murmures à l'adresse de l'ensemble : – « Tenez bon ! Vous êtes à l'extrême de l'épanouissement, et telle que nous vous goûtons, fleur tant célébrée, alors qu'il en est – Tropiques ! – à la beauté plus ostentatoire. »
Il n'est pas jusqu'à la rose elle-même, que nous n'entendions supplier, comme une Madame du Barry : – « Encore un moment, Monsieur le bourreau !... »
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Qui dira la riche étoffe que prend le temps lors de certains sursis, quand est différé ce que l'on redoute ? Quand l'inéluctable se prononce, mais qu'on paraît vous faire grâce ?
C'est que rien n'a bronché en cette rose, en ce second matin. La paume qui la contient – celle d'une femme ! – ne s'est pas ouverte ; elle ceint, ferme, un amas de « paupières », a dit le poète. Ou de brefs attouchements, en foule ?
Sursis. Ce qui devrait être selon les lois qui régissent le monde – ce qui n'est pas encore, mais sera, sous le signe, toujours, du revers, de la chute.
« Ce rosier refleurira » me dit-on.
Je ne vis de promesses. Je suis. Cette rose est. Qu'on nous laisse en tête-à-tête : tant de lèvres purpurines ont, je le sens, à me dire. En abondance, à en juger par leur nombre, comme les crêtes torses des vaguelettes à l'amorce du flux.