III
J'en conviens : un sage ne dissiperait pas son temps à regarder mourir une rose. À cela près que si les fleurs abondent sous tous les climats, à tous étages de la terre, par tous les sols, en tapis, en nébuleuses autour des arbres et des arbustes, la rose a des vertus qui en assurent la primauté.
Elle n'a de ces sépales saisis de convulsions comme l'iris ou l'hémérocalle, de ces fleurs minuscules qui se répètent à l'infini le long d'une hampe ; elle n'est de ces fleurs sans esprit qui rayonnent leur corolle en rose des vents – chardons des Pyrénées, grandes marguerites.
Comment les poètes, les enlumineurs, ne l'auraient-ils pas élue parmi des cohues de pensées, pâquerettes, tournesols, pavots, giroflées et géraniums ? La Bruyère, sarcastique, nous a campé le portrait de l'amateur de tulipes . Quel auteur de talent nous donnera celui de l'amateur de roses ?
*
Une rose s'est défaite sous mes yeux, et je n'en suis pas quitte avec l'espèce. Elle ne m'a pas dit son dernier mot ou je n'ai su le saisir.
Moi qui ne cueille pas les fleurs – tenant que c'est à nous d'aller jusqu'à elles –je demande à une ultime rose – la dernière de la saison – de me dire d'où elle tire sa précellence car, outrecuidant, j'y vois d'abord la main de l'homme oeuvrant à partir de l'ébauche qu'était l'églantine à la mise rustique, dévoilant, exhibant d'emblée, l'intime d'elle-même. Il restait au rosiériste de multiplier les cotillons, de les teindre en vives ou rares couleurs.
Les danseuses – et d'abord de cancans – n'arborent leur… cœur qu'à la faveur du grand écart final ; de même, maintes fleurs aux formes tapageuses, aux coloris clinquants, semblent faites pour attirer l'insecte qui les fécondera.
Ce qui frappe en la rose, c'est la multiplication de lèvres ourlées, ciselées, qui semblent enclore, ou plutôt retenir au bord de l'aveu, on ne sait quoi d'essentiel à en juger par l'abondance des nymphes. (Avec cela, pourtant, la pudeur même.)
Des fleurs sont expansives, qui n'ont rien à nous dire. Si la rose nous retient, n'est-ce pas par son évident à part soi, comme si son for intérieur l'emportait sur tout autre attribut ?
– « Je parais loquace, volubile, : je suis assemblage de réserves. Un invisible doigt, en travers de ma bouche, m'impose silence. Le poète a vu, en mes pétales, autant de paupières – sur quel sommeil ? Ce qui était vrai au temps de l'ovoïde fuseau du bouton, ne l'est plus à celui de l'épanouissement où bien éveillée, émerillonnée, toujours affable, il m'arrive de rire aux éclats aux dernières apparitions du soleil. »
Mais voici que je cède à mon penchant pour la prosopopée, comme si, dans le tumulte de cris, de clameurs, de gémissements qui monte de la Terre, il était déraisonnable de prêter l'oreille au clapotis d'un platane, au grignotis d'un ruisseau, au frouement d'un envol.
Au muet soupir qui se forme en nous quand le dernier pétale de la dernière rose se détache – et tombe,
– « Mortelle ?
– Ne savais-tu, toi qui hantes les poètes, que 'Tout va sous terre et rentre dans le jeu' ?
– Même les jeunes filles aux joues roses ?
– Même les jeunes femmes que l'été marin avait dorées sur tranche… »