II
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Il est, je le conçois, saugrenu de s'attacher au déclin d'une rose, comme on veillerait à celui d'un mourant – jeune et vigoureux encore, au vu de ses belles couleurs, mais avec la pensée de l'inéluctable : - « Nous ne le sauverons pas ! » où la résignation se mêle à l'accablement.
De belles couleurs ? Ce rouge vif ne s'oxyde-t-il pas, comme gagné par l'ombre ? Et ce pétale, tombé pendant la nuit, de l'assise inférieure de la corolle, ne nous remet-il pas en mémoire le mot de Tristan rendant le dernier soupir dans le film L'éternel retour : « Je ne peux pas retenir ma vie… » Nous reviennent encore des sentences de cadrans solaires qui ne sont plus d'aimables variations poétiques sur la brièveté des choses et des sentiments, mais des mises en garde, à valeur d'injonctions à nous adressées, et qui nous avertissent qu'il est plus tard que nous le pensions.
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Enfin !... L'imminence a pris fin, avec, pour moi, le soulagement qu'on éprouve et qu'on n'oserait exprimer devant la fin d'une agonie douloureuse, interminable, car je retrouve le lendemain, ma rose d'automne défaite, défigurée par la chute d'une partie de ses pétales, lesquels gisent, flasques , décolorés à leur attache. Nul besoin de brise : la chute fut verticale, et il y eut, dans la défoliation, un mouvement d'entraînement qui met à nu le cœur, confus et sec, de la fleur.
Ce qu'il en reste ne saurait faire illusion : ternis, flétris, des fils infimes, près de se rompre, maintiennent encore ce qui subsiste d'une fleur à présent diffamée.
Chute, encore d'un pétale. Ne dirait-on pas que la corolle pleure de brusques larmes de sang séché, qui viennent rejoindre, avec un bruit mat, celles déjà versées ? Et que le verbe gésir s'applique donc bien à ces débris de soie déchue…
Est-ce anthropomorphisme, que d'entendre, dans le dernier carré des pétales, les questions : - « Qui sera le prochain à s'abandonner ? Qui, le dernier à périr ? »
La rose d'à présent donne l'image d'une débandade figée, suspendue ; d'une désertion à grand-peine contenue.
Elle n'est que différée ? Sans nul doute. Je me suis voulu le spectateur de l'inéluctable, à l'image de toute chute par le monde – et ces feuilles mêmes, luisantes, dardées, qui incisent l'air proche, sont, elles aussi, condamnées à la chute.
µ
En ce nouveau matin, c'est la même fleur amputée qui m'attend, mais racornie, séchée sur pied, fripée à l'extrême, ainsi que bajoues qui auraient envahi tout le visage.
Je m'attendais à une chute pétale après pétale, en un glas imperceptible : cette fin n'est pas celle du poète.
Il y a, au vrai, des roses que la mort saisit « en [leur] fraîche nouveauté » – ô jeunes filles que j'ai vues mourir en leurs vingt ans ! quand d'autres femmes connaissent les flétrissures de l'âge.
Simplement, cette fleur m'aura-t-elle rappelé les visages tannés, racornis par la sécheresse, que découvrent les archéologues dans les déserts immémoriaux. Et parfois il s'agit de jeunes princesses – leurs bijoux l'attestent – qui n'auront vécu que « l'espace d'un matin. »