Quelques textes de Paul Valéry extraits d'une anthologie réalisée par François Solesmes « Les poètes de la mer » (Inédite)
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… O puissance salée !
Courons à l'onde en rejaillir vivant !
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Oui ! Grande mer de délires douée
Peau de panthère et chlamyde trouée
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l'étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil,
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Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !
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Le cimetière marin
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Je marchais sur le bord même de la mer, je suivais une plage sans fin… Ce n'est pas un rêve que je te raconte. J'allais je ne sais où, trop plein de vie, à demi enivré par ma jeunesse. L'air, délicieusement rude et pur, pesant sur mon visage et sur mes membres, m'opposait un héros impalpable qu'il fallait vaincre pour avancer. Et cette résistance toujours repoussée faisait de moi-même, à chaque pas, un héros imaginaire, victorieux du vent, et riche de forces toujours renaissantes, toujours égales à la puissance de l'invisible adversaire… C'est là précisément la jeunesse. Je foulais lentement le bord sinueux, durci et rebattu par le flot . Toutes choses, autour de moi, étaient simples et pures : le ciel, le sable, l'eau.
[…]
Je jouissais de l'écume naissante et vierge… Elle est d'une douceur étrange, au contact. C'est un lait tout tiède et aéré, qui vient avec une violence voluptueuse, inonde les pieds nus, les abreuve, les dépasse, et redescend sur eux, en gémissant d'une voix qui abandonne le rivage et se retire en elle-même ; cependant que l'humaine statue, présente et vivante, s'enfonce un peu plus dans le sable qui l'entraîne ; et cependant que l'âme s'abandonne à cette musique si puissante et si fine, s'apaise, et la suit éternellement.
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Eupalinos ou l'Architecte