viii « corps féminin… »
« Corps féminin qui tant est tendre,
Poly, souef, si précieux… »
François Villon, Le Testament
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Je connaissais les manuels des confesseurs. Scandaleux pour l'esprit, révoltants pour le cœur, ils s'apparentent, sous des dehors édifiants, aux ouvrages sous le manteau. Ils sont les fruits d'une délectation morose invétérée. Celle de leurs auteurs qui dénoncent, en tabellions vétilleux, avec un âpre acharnement non exempt de sadisme, les félicités dont ils se sont privés ; celle de leurs utilisateurs qui faisaient, du confessionnal, l'équivalent de ces postes d'observation qui, dans la « maison » de Jupien, permettaient au narrateur de La Recherche de surprendre les ébats d'un couple.
« Puisque les délices que procure la chair nous sont refusées, se sont dit les théologiens, nous jetterons l'opprobre sur elle ; nous édicterons des limitations au commerce des corps qui, le privant de tout ce qui ressortit à l'art d'aimer, le réduiront au bref accouplement animal. Et nous instillerons si bien, dans les pensées, la mauvaise conscience et l'angoisse, que le plaisir en sera terni ; que l'acte prendra figure de morne devoir. »
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J'admire que des hommes glosent sur la femme – pour la vouer aux gémonies ! – alors qu'ils ont comme retranché d'eux-mêmes, à leur corps défendant, la chair la plus encline à la jubilation ; qu'ils ont restreint, atrophié, ceux de leurs sens – et d'abord le regard, le toucher – les plus aptes à témoigner de l'opulence de l'œuvre du Très-Haut.
Notre compagne nous divertit des fins dernières ? Elle occulte la Face du Père ? Il me plaît de trouver, sous la plume de l'amante éperdue que fut Juliette Drouet, cette profession de foi adressée à Hugo : « C'est toi que j'adore en Dieu, et Dieu que j'adore en toi », cependant qu'un John Donne glorifie sa femme d'avoir « aiguisé son désir de Dieu » et, « comme un fleuve qui remonte jusqu'à sa source » de l'avoir conduit à Lui.
Certes, le commerce charnel nous enferme en nous-même, captif d'une indicible saveur ; une taie pourpre, brasillante, couvrant nos yeux dans l'acmé, et « notre âme étreignant notre corps pantelant », comme dit Malcolm de Chazal. Mais si la volupté permettait aux humains d'approcher, de pressentir, le climat, l'essence du divin ? Si une femme aimante, aimée, était notre plus sûr truchement dans cette ébauche d'Assomption ?
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Les preuves métaphysiques, morales, psychologiques, sociologiques de l'existence de Dieu ont-elles jamais converti un mécréant ? Si j'avais à en fournir, j'invoquerais Bach et Mozart (l'andante du 20e concerto !) ; les réponses de Jeanne à ses juges, ecclésiastiques retors ; le sourire de Reims ; Michel-Ange et tel temple des Indes, où l'érotisme s'éploie sans frein ; l'œuvre de Shakespeare et celle de Baudelaire, l'Adam et Ève de Cranach et L'embarquement pour Cythère de Watteau, sans omettre Renoir. Je prendrais à témoin la multitude des œuvres d'art que Dieu, dépourvu de mains, fit accomplir à des hommes que Son Église tiendrait pour de grands pécheurs.
Et je présenterais la femme comme preuve capitale, à la fois pour le murmure unanime d'aise qui s'élève de ses contours ; à la fois pour sa nature d'aiguillon ou d'écharde avivant, chez l'artiste, d'irréductibles nostalgies – ô fécondité du désir !
Seul un dieu prolifique, à l'inépuisable ingéniosité, peut avoir conçu, modelé, Ève et l'avoir pourvue d'une descendance innombrable sans jamais se répéter. Qui a vu la classe de danse de l'Opéra ou celle d'un temple khmer, un stade où évoluent des jeunes filles, élèves-professeurs d'éducation physique, est aussi ébloui, égaré, que le visiteur de ce musée d'Athènes où voisinent dix mille vases antiques, semblables et distincts en perfection.
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Des femmes s'étonnent que nos compagnes aient été, soient toujours, un tel objet de mépris, d'abaissement, de servage, de cruauté. Elles n'auraient pas subi tant de persécutions si nous n'avions obscurément conscience de leur supériorité ; si elles n'inspiraient également à l'homme convoitise et appréhension. Et qu'il est humiliant, quand on s'érige en potentat, de s'avouer dépendant de qui paraît plus faible que soi ! Une faiblesse toute relative, au reste, car on sait vos accointances avec ces forces éparses, méandrines, qui échappent à l'homme aux antennes rudimentaires.
Pourtant, ce fond de sauvagerie primitive que récuse l'homme « raisonnable » ne suffirait pas à les faire haïr de lui ; mais elles sont, longuement ascendantes, la beauté – mouvante, et tiède, et moelleuse. Or la beauté est, pour bien des soudards qui s'ignorent, une offense qu'il leur faut relever. Quelle âcre joie leur vient quand ils peuvent impunément lacérer, souiller une toile de maître, marteler une statue, dynamiter un monument, brûler une bibliothèque – ou du moins, à défaut, forcer une femme !
Surtout comment trouveraient-elles grâce aux yeux d'un maître qui se sent jugé en silence par cette sujette à qui, partageant l'espace domestique, et sa couche, on ne saurait faire illusion puisqu'elle n'ignore ni ses hâbleries, ses lâchetés, ses indélicatesses, ni sa grossièreté foncière ? De surcroît, comme elle n'en laisse rien paraître, son mutisme vaut condamnation. Et c'est ainsi qu'agressé par le silence, on frappe, ou qu'on prononce, quand la loi le permet, les paroles de la répudiation.
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Je m'informai, ainsi qu'on m'y avait convié et dus en convenir : immensurable était la somme des sévices, agressions, tortures et meurtres, dont nous nous sommes rendus coupables à l'égard des femmes depuis la nuit des temps, en raison même de leur nature.
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Vouloir dominer est de l'homme, et il trouve en sa compagne un être qu'il peut asservir. Pourtant, sa violence serait moins constante et brutale, si cette femme ne lui tendait, muet et sans indulgence, comme ils le sont, un miroir où lire ses faiblesses, ses ridicules, sa puérilité et sa dépendance d'éternel petit garçon ; s'il ne se sentait en silence jugé par celle qui, ayant pris définitivement ses mesures, peut bien lui donner toutes les marques de la soumission : elle ne cesse de lui signifier, et d'abord pas son silence, en quelle piètre estime elle tient le despote et le hâbleur qui sévissent au logis.
Quand le maître insulte, rudoie, gifle, c'est ce front qu'il vise, que le dédain a rendu impénétrable ; que la rancune a cadenassé, et qui vous oppose une étanchéité d'enceinte de forteresse, et l'on est alors tel l'enfant qui donne du poing dans la porte ou le mur.
Il plaît à l'homme de voir, en celle qui vit à ses côtés, la faible créature, l'éternelle mineure des railleurs, la pécheresse des théologiens, qu'on peut à bon droit gouverner et contraindre. Il n'en a pas moins le sentiment qu'elle détient une autre sorte de force que celle dont il se prévaut ; que les pouvoirs, diffus mais multiples, qui lui furent dévolus, passent de loin les siens. Celui de mépriser n'étant pas le moins éprouvant, surtout quand il se fortifie de mutisme, jusqu'à vous faire paraître l'Autre, sous des dehors sereins, une vivante énigme, un réduit inexpugnable.
À quoi la grâce, la beauté propres à l'espèce, ajoutent un motif de sourde irritation, puisque l'harmonie, sous quelque forme qu'elle soit, est une offense pour certains – de ceux qui, petits, donnaient un coup de pied dans l'assemblage de pétales ou de coquillages qu'une camarade avait agencé, ou qui arrachaient leurs ailes aux papillons.
– « Ah ! refermer ces mains, enclines à étreindre, à broyer, sur ce cou flexible dont le flanc tressaille d'une pulsation régulière, et serrer, serrer jusqu'à voir s'évanouir tout éclat dans ces yeux aussi infranchissables que l'horizon de mer ! Des yeux qui, la nuit, demeurent grand ouverts dans les ténèbres : je le sens dans mon sommeil même… »
En matière de bonheur, qui est leur grande affaire, c'est surtout d'elles-mêmes que les femmes l'attendent, de leur vie secrète, personnelle, – de leur soliloque ! – et de leurs rencontres avec leurs semblables. De l'homme, elles ne l'espèrent, de plus en plus, que brièvement : il est si déroutant, si différent, – et si peu fiable !… Avec cela, si prompt à user, abuser de sa force physique, à rabaisser ce qu'il ne peut saisir et qui d'autant l'irrite, confronté qu'il est à ce noyau, ce réduit de silence, ce for(t) intérieur auquel on n'achoppe jamais plus sensiblement qu'en opprimant l'autre. Et il faut avouer qu'elle en aurait à dire, cette Autre-là, et que mille ans n'y suffiraient pas !
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Consterné de ce que je découvrais, il me parut que je devais tenter de suggérer à mes pareils l'ampleur et la permanence de nos forfaits, les modalités de notre indignité, même si, homme, on a scrupule à prêter sa voix, surtout dans le registre tragique, à tout un peuple femme vivant ou disparu.
C'est que les actes d'accusation qu'on entend dans les prétoires pèchent par leur sècheresse ; aussi ne tirent-ils de nous qu'une sympathie convenue, fugace : « Sans doute, ces faits sont-ils révoltants et je compatis au malheur de la victime ; mais le mal est si commun, et les affaires de couples si sujettes à caution … »
Il faudrait, pour nous émouvoir, que le rédacteur recourût aux moyens du grand romancier rompu dans l'art de nous donner le sentiment de la durée. En d'autres termes, qu'il fît, du liseur de faits-divers, le lecteur qui se démet de tout ou partie de son présent, pour épouser celui d'un personnage de fiction.
N'étant pas romancier, n'oubliant pas que « c'est avec de bons sentiments qu'on fait de mauvaise littérature », je souhaite qu'on ne voie, dans ce qui suit, qu'une esquisse. Avec l'espoir qu'une femme de grand talent et qui sache qu'« écrire est un art », nous donne un jour un tel témoignage de nos sévices, qu'il nous soit insoutenable.
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Qui, de bonne foi, le nierait ? La violence de l'homme est bien au cœur de la condition féminine. Si elle a surtout des formes larvées qui nous font paraître autoritaires et irascibles, elle a aussi son paroxysme – son absolu.
Devant ses juges, l'homme accusé de viol avance excuses et justifications. Et d'abord, la prétendue victime a-t-elle fait preuve, en la circonstance, d'une conduite réfléchie, circonspecte ? Ce qui revient à délimiter un temps, un espace hors desquels les seules femmes ne sauraient s'aventurer qu'à leurs risques et périls. L'égalité devant le danger, en forêt équatoriale, cesse dans les pays civilisés : c'est d'abord pour la femme qu'une rue, un sous-sol, un rivage désert, un lieu écarté, peuvent devenir une jungle.
Certaines, qui parient sur l'homme ou leur étoile, se refusent à modifier leur mode de vie : il leur semblerait humiliant de se priver par prudence d'une promenade ou de devoir presser le pas quand l'heure les dispose à la flânerie. Mais qu'elles soient agressées, et cette confiance, ce sens de la dignité, passeront pour témérité ou manque de discernement.
La victime n'aurait-elle pas transgressé les limites de cette réserve où la sagesse doit la confiner, que son habillement lui serait imputé à charge. Avoir voulu, par sa mise, et se plaire et se concilier les regards, devient une circonstance aggravante. Elle avait besoin, dans la foule anonyme, de s'éprouver singulière, de se sentir vivre, fût-ce dans un papillotement de regards fugitifs mais bienveillants ? Elle aurait dû savoir qu'elle se désignait ainsi à la convoitise de l'homme ; que celui-ci ne pouvait voir, dans sa tenue, qu'un signe d'assentiment tacite.
Et cette autre, qui ne cherchait qu'un peu de réconfort auprès de l'ami de toujours, ne fut-elle pas imprudente de se rendre chez lui ou de l'inviter chez elle ? Le besoin d'une simple présence, d'un peu de chaleur humaine, est-il bien plausible ? Et ne sait-on pas que le non que vous oppose d'abord une femme est de pure forme ? Qu'il n'en est qui ne fasse une place au viol dans ses divagations ? Elle se trouve sur la plage ou à l'orée d'un bois, allongée sur le ventre. Il s'approche, la prend sans que, subjuguée, elle n'ait songé à se débattre, à crier et il s'éloigne. Elle n'aura pas même vu son visage. Elle a seulement le souvenir, comme en rêve, d'une étreinte à la fois impérieuse et ineffable, qui lui aura révélé l'ampleur de ses gouffres – à mesure comblés !
Il se peut que des femmes réfugiées dans leur jardin secret jouent ainsi à se faire peur, palliant par l'imaginaire la monotonie, la pauvreté de leur vie charnelle et empruntant à l'homme, pour l'inverser, son fantasme du viol. Mais tout autre est le réel, et le témoignage de celles qui furent violées constituerait, s'il avait pu être recueilli depuis l'aube de l'humanité, la plus monstrueuse chronique de l'abjection au masculin.
J'écris ces lignes devant une mer soyeuse, susurrante, dans l'éclat feutré d'une fin d'été. L'espace n'est que tiédeur, bénignité ; la paix se respire, et l'innocence des premiers jours du monde. Aussi, quel effort ne faut-il pas faire pour se dire qu'à cette minute, ici où c'est encore le jour, et là où règne déjà la nuit, un homme, mille hommes outrepassent une femme, et que si nous n'avions pas depuis toujours l'oreille fermée au malheur, nous ne pourrions pas ne pas entendre, par-delà le bruissement de feuillage de la mer, les cris des victimes, même décolorés par la panique.
Encore ne pensons-nous qu'à des pays en paix ; mais que survienne la guerre, qu'une armée envahisse une contrée… Nous avons tous en mémoire des photographies d'hommes, d'enfants qui dans la mort même continuent de déborder d'angoisse, de terreur, d'un immense étonnement aussi, figés à même leur chair. Nous nous souvenons de ces visages encore qui avaient pris au piège de leurs traits la haine qui les jeta bas. Mais aux jeunes femmes, aux filles, il est réservé de subir, précédant le massacre commun, l'outrage intime, le saccage en elles de l'espèce – le meurtre du moi, avant qu'une balle, un coup de crosse, ne parachève l'ouvrage en rendant à la nuit ce qui s'obstinait à survivre.
À cette minute même, mille et mille femmes sont face à l'un de ces hommes qui lient leur identité, l'estime qu'ils ont d'eux-mêmes, à l'étendue de leur butin féminin. L'indifférence, le dédain qu'elle lui a manifestés, comme si elle ne le voyait pas, comme s'il n'était pas, ce refus formulé sans ambages ou que traduit sa fuite, n'est-ce pas une façon de lui signifier qu'il n'est pas assez séduisant à ses yeux ? Partant, une remise en cause de son statut de mâle dominant ?
Pour l'homme qu'on se croit, qu'il est donc intolérable de voir une femme – une femme ! – se poser en être autonome, libre de vous dire très résolument « Non ». – « Son refus m'outrage, il me… rature ; mais j'existe, moi, qu'elle le veuille ou non. Et je ne suis pas homme à me laisser bafouer. La châtier sans délai. Rabaisser sa superbe. Humilié, l'humilier à mon tour. La forcer à se voir par mes yeux : un objet, un sexe à l'usage de l'homme. La ravaler par conséquent au rang des prostituées. Ainsi n'aurai-je été repoussé, nié, que par une ordure. »
Les coups en viendront à bout. Fille, femme, elle est ce qu'on peut impunément malmener, frapper, avilir, contraindre, consommer, jeter. Ce qu'on peut sans risque se soumettre par la force, si l'injure, la menace, n'ont pas eu raison de son dédain.
« Quel âcre sentiment de puissance vous gagne, à tenir l'autre à se merci, à lui imposer durement votre volonté ! Ah ! Je ne savais pas encore, avant de m'acharner sur elle, à quel point je méprisais, je haïssais la femme ! J'ai l'impression que c'est l'espèce entière que je soumets, que je souille et punis, que je possède ! »
D'autres hommes, ou les mêmes, ont devant des tableaux, des statues, pareille rage de détruire quand les temps s'y prêtent. Et il s'agit, là encore, d'anéantir ce qui, par sa beauté, par l'humanité qui s'y manifeste, dénonce votre médiocrité et vous nie, vous rature tranquillement, en silence. Ce n'est qu'en lacérant, en profanant, en brûlant, qu'on pourra peut-être éteindre sa rancune et sa haine à l'égard de ce qui vous déborde et vous échappe.
« En la prenant de force, je possède et je détruis, dans un même acte, ce qui à la fois me fascine et m'humilie par cette dépendance où je me sens à son égard. Et c'est là un double assouvissement, une jouissance au suprême degré, une vie paroxystique. Pour l'avoir réduite à l'état d'objet, pour l'avoir saccagée, je sors grandi de sa résistance même ».
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En face… Mais comment imaginer ? Encore que le viol de l'homme aussi existe, comment notre sympathie, pour ample et vive qu'elle soit, embrasserait-elle en son étendue cette tragédie du plus intime, du for intérieur ?
Confiante. Il y a quelque part, à cette minute, se promenant, rentrant chez elle ou en visite chez un ami, une femme qui ne pense pas devoir être sur ses gardes. Et puis une présence, une ombre, ou un propos, un geste insolite de l'homme avec qui elle se trouve, fait naître en elle une crainte que fortifie son bref regard circulaire : seule, elle est seule, l'horizon refermé sur elle comme un carcan, comme des mains d'étrangleur.
Se raisonner, se maîtriser. Ne pas laisser à l'ombre, à l'ami, cette inquiétude qui, décelée, risque, ainsi que chez le fauve dompté, de réveiller l'agressivité. Ne pas se conduire en proie pour ne pas faire de l'autre un chasseur. Et ce n'est parfois qu'une fausse alarme. On en est quitte alors pour la peur et l'on s'en veut de s'être alarmée. Mais il arrive aussi que très vite les intentions de l'autre se manifestent, sans méprise possible.
L'effroi, et le cœur soudain à se rompre. La dénégation farouche, la tentative pour fuir – ou la paralysie : « Avez-vous jamais vu un lapin pris dans la lumière de vos phares ? Pétrifié, comme s'il savait qu'il va y passer ; c'est ce qui se produit. » Ce sont là des propos de femme violée. Oui, on est un petit gibier sur lequel une poigne s'est abattue ; on va y passer. Et de cet instant, ne vous quittera plus la peur panique d'être tuée ou pour le moins, frappée, défigurée.
De fait, après les injures, les coups pleuvent, qu'on essaie de parer, de rendre. Mais comme on est peu entraînée à se défendre ! Comme frapper, blesser, est peu de votre nature – et que vos coups semblent dérisoires ! … Lui, ce bloc hideux, aveugle, à forme d'homme, lui sait vous tordre les bras, vous gifler à toute volée, encore et encore jusqu'à ce que vous pliiez les genoux, que vous vous laissiez tomber, suffoquant, pleurant, criant. La guerre, c'est la guerre. Le monde a basculé, tout se convulse. Pour seul ciel, un visage de brute, flambant de haine et de désir. Et à présent, tout en vous maintenant rudement au sol, il entreprend de vous mettre nue, déchirant ce qui ne s'ouvre ou ne glisse pas assez vite… Mais, à nouveau, écoutons témoigner une femme violée : « Après les coups, après la mise à nu, il y a cette chose dure qui pénètre en vous, qui vous transperce comme un poignard ; il y a cette douleur insupportable et le sang qui coule, des mains qui vous manient avec rudesse, une bouche hideuse qui se colle à la vôtre. Il y a, même l'acte accompli, de nouveau les coups – qui pleuvent jusqu'à vous faire perdre conscience ».
La guerre ? Ou une perversion des règnes ? Couverte par un animal mi-bouc, mi-sanglier, frappée au ventre de bas en haut par la foudre, cette femme va former avec son agresseur, pour un interminable moment, l'un de ces couples monstrueux nés sous le burin d'un Goya. Et dans cette copulation contre nature, la Bête ne se contente pas de vous ouvrir de force et de vous injecter son ignoble semence. Elle promène son mufle sur votre peau glacée, révulsée ; elle vous frappe encore et toujours pour vos sursauts de répugnance, pour vous contraindre à des privautés qui n'étaient que pour l'aimé ; elle ravale en vous la femme sous les mots les plus orduriers.
« Mourir… Si cela continue, je vais mourir, je le sens. Je n'y vois plus, ma tête est tuméfiée… Cela ne finira donc jamais ? Faites qu'il me laisse, que quelqu'un vienne ! Je voudrais… je ne voudrais pas mourir… »
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A suivre