XI L'ÉGALITÉ DES SEXES
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« Hypocrite, mon semblable, mon frère », dis-nous quel chemin suit ton regard quand tu vois – sur un périodique, un album, un écran, au musée – un nu féminin. Quand une femme rencontrée se montre à toi, pour la première fois, « dans le simple appareil ». Avoue qu'après avoir soupesé ses seins comme pomelos à l'étal, tes yeux se portent sur le triangle pileux.
On appréciera plus tard, « si affinités » comme disent les annonces matrimoniales, ce que valent l'esprit, le cœur. Mais ce premier regard de découverte est-il si différent de celui des acheteurs de jeunes esclaves, jadis, sur les marchés de Louisiane ? Il ne s'agit jamais que d'augurer les délices qu'on peut attendre de ce sexe, la poitrine vous étant fournie en prime.
Elle est debout devant toi, mais, « hypocrite mon frère », c'est allongée que tu te la représentes, jambes ouvertes à la jointure desquelles jeter l'ancre, moelleusement étendu sur la couche suave, ployante et ferme de son corps.
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La plupart des femmes – c'est notre chance – ne se voudraient pas de l'autre sexe. Elles occupent leur peau avec plus ou moins de plaisir, mais sont résolument, continûment femmes dans leurs façons de se mouvoir, leur perception de la nature, leurs accointances avec les éléments, les étoffes et toute chose comestible – à transformer pour en exalter la saveur.
Ce sont femmes qui, de manière ténue ou exubérante, goûtent d'être telles et d'abord dans leur conformation, à laquelle beaucoup doivent la plus délectable des vêtures : la caresse d'une main aimée.
La faveur d'être femme se paie de maintes servitudes physiologiques. Mais, tout bien considéré, l'aise l'emporte, que je dois à ma peau, à des chairs prodigues en courbes, volutes, rondeurs. (Et jamais je ne m'apparais plus fondante que dans la bouche de l'espace marin…) Les joies l'emportent, oui, et pourquoi tairais-je les plus étourdissantes : celles d'être un palais aux entrées ourlées, tout velours incarnat, où un homme vient vous présenter ses lettres de créance. Et je n'envie alors ni Sémiramis, ni la Reine Christine. »
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Un Musulman, dit-on, remercie le Ciel, chaque matin, de ne pas l'avoir fait femme ; mais que d'hommes par le monde, de toutes races, reprendraient ce propos ! Que de mâles avantageux le formulent implicitement, quand ils ne s'emploient pas, sans vergogne, à le justifier.
Il est mal venu d'opposer un genre à un autre. Mais tant que « l'amour [sera] l'obsession du sexe », selon le mot de Bourget – ce qui vaut d'abord pour l'homme et ne cessera d'être la norme –, force est bien de se demander si masculin et féminin seront jamais à égalité.
Le membre viril est extérieur – un appendice ! – et il engage peu le moi ; de là que la dissociation entre cœur et chair soit si aisée et quasi naturelle au mâle, jusqu'à faire, de l'accouplement, un acte sans tenants ni aboutissants. Le sexe de la femme, lui, est intérieur et donne accès à un corps conformé, organisé pour la perpétuation de l'espèce. Et qu'on sache déjouer ses trames ne lui retire rien de sa nature. Renfoncement charnel, il est du plus intime de la personne. Le physiologiste en définit les limites, mais, ramifié comme madrépore, il pousse ses arborescences jusqu'à la pointe des seins, la pulpe des lèvres « honnêtes », la langue, la nuque, le fil des cheveux. On le blesse en rudoyant tout point où il affleure et s'épanouit.
Car il est vulnérable – et rancuneux. Le sexe de l'homme n'a guère à craindre les sévices, hormis quelque acte barbare. En celui de la femme, interne, se propage tout manquement à la parfaite consonance du cœur, de la chair, de l'esprit. Toute violence qui lui est faite ravage l'être jusqu'à anéantir son appartenance au féminin.
La femme n'a pas la musculature de l'homme – ce par quoi elle peut nous dispenser la grâce ; son infériorité physique ne se figure jamais plus qu'en un sexe dont on peut outrepasser les faibles défenses. Il arrive qu'un sang trop liquoreux, trop instant, vous y trahisse. Il arrive aussi que ce sexe auquel vous devriez d'insignes sensations doive céder à la force – vous jetant dans l'humiliation, le désespoir de qui voit son logis violé, saccagé, bouleversé. De quoi bannir, de votre espace sensoriel, affectif, un sexe devenu blessure inguérissable aux bords purulents.
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Des femmes cyniques auront tiré, de leur « nature », pouvoir, fortune, renommée ; mais la plupart de nos compagnes n'ont pas la vocation de courtisanes. Il est donc à craindre que l'égalité des sexes demeure illusoire et ne soit, pour reprendre le mot de Mauriac, que celles « des biches et des chiens ».
« À moins, objecte l'optimiste, que dans quelques siècles, sur une Terre recrue de matérialisme, se produise une restauration du sacré. »
Il faut lui laisser le dernier mot.
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A suivre