En écoutant André Breton...
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Tel, de ma connaissance, tire de l'analyse graphologique des portraits qui se révèlent saisissants de vérité pour qui fréquente le scripteur. (Si tant de gens usent, de nos jours, du clavier, est-ce seulement par commodité, ou pour ne pas risquer de livrer leur moi à un œil exercé ?)
J'ignore tout de la graphologie, mais je tiens que la voix – par sa formation, les régions du corps qu'elle traverse, les résonances qu'elle y suscite, son… débouché à l'air libre (ah ! les voix nasillardes !) – peut nous apprendre beaucoup sur l'être intime.
J'écoute, je me force à écouter, celle de Breton dans ses entretiens avec André Parinaud, devenue le fil conducteur d'un documentaire sur l'écrivain. Une voix « oraculaire » dit Gracq. Certes ! De mage vaticinant, aussi convaincu de détenir seul la vérité qu'un Savonarole ; et malheur à qui s'éloignerait du dogme : – dans les ténèbres extérieures ! C'est au scalpel qu'on cisèle ses propos (préalablement écrits) en « pion lyrique » puant de suffisance, conscient du magistère qu'il exerce, d'étranges accents faubouriens où perce l'aigreur, venant altérer la majesté ostentatoire de la profération.
Une voix minérale, glaçante, teintée de morgue, participe de la pose permanente qu'on se donne, des postures ridicules qu'on adopte pour mieux se payer de mots très « nobles », avec majuscule. Tels ceux de Révolution, de Pureté, de Liberté, et bien sûr d'Amour – alors que prude, puritain en diable, on se montrait fort sourcilleux sur le chapitre de l'érotisme.
Au terme de son prône, l'homme déclare, toujours pontifiant : « J'ai le sentiment de n'avoir pas démérité des aspirations de ma jeunesse […] Ma vie aura été vouée à ce que je tenais pour beau et juste. »
« Beau et juste ». C'est ici qu'il faut se souvenir, entre maintes infamies, de ce que rapporte Gide dans son Journal, à la date du 1er septembre 1931 : « "Les surréalistes préparent un numéro antireligieux sensationnel", me dit Pierre Herbart. Il me raconte avec enthousiasme le courage de Breton qui, dans le métro, lorsqu'il voit un curé, a soin de se mettre contre lui, puis, après quelques instants, à voix très haute :
"Est-ce que avez bientôt fini de me tripoter comme ça ? Espèce de salaud ! Vieux cochon !... Et dire qu'on confie des enfants à des êtres pareils…" »[1]
J'ignore si l'on a rassemblé, pour combattre la vénération que les beaux esprits continuent de nourrir à l'égard du personnage et de son œuvre, les petites et grandes ignominies qui jalonnent cette vie « belle et juste ». Si oui, on devrait y trouver la publication, dans « La Révolution surréaliste », d'une photographie de « Benjamin Péret insultant un prêtre » ; l'appel au meurtre, en 1935, pour « Contre attaque », et d'abord ces lignes du Second manifeste : « L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue, et à tirer au hasard tant qu'on peut, dans la foule ». Acte que Breton – fils de gendarme ! – n'eut garde de commettre, ce qui ramène le propos à une rodomontade, et son auteur à un pleutre, à un lâche aussi car, fait remarquer Gide malgré son antimilitarisme virulent, il ne se fût pas conduit avec un officier comme avec un prêtre.
Un tel recueil de petitesses, fanfaronnades, erreurs graves de jugement tant politiques que littéraires, de « bluff » pour reprendre le mot d'Artaud sur le Surréalisme, devrait reproduire, en conclusion, la lettre magistrale que Saint-Exupéry écrivit, en février 1941, à… l'embusqué de New York qui l'avait publiquement diffamé.
« Vous vous réclamez, certes, de la lutte pour la liberté. Mais je vous refuse absolument ce droit. Vous êtes l'homme le plus intolérant que je connaisse. […] Vous êtes exclusivement défenseur de la liberté d'André Breton. Vous êtes l'homme des excommunications, des exclusives, des orthodoxies absolues, des procès de tendance, des jugements définitifs portés sur l'homme à l'occasion d'une phrase de hasard, d'un pas, d'un geste. Si vous n'êtes pas l'homme des Bastilles, c'est faute de pouvoir. Mais dans la mesure où votre faible pouvoir peut s'exercer, vous êtes l'homme des camps de concentration spirituels. Votre châtiment ne dispose comme arme que du manifeste, mais vous en usez contre quiconque ne pense pas absolument comme vous. Il est exact que vous avez pris position. Vous avez pris position, résolument, pour André Breton. […]
« Tant que votre liberté de pensée n'engagera votre liberté qu'à propos de la liberté de penser d'André Breton, elle m'apparaîtra comme formule creuse.
« […] Vous parlez à chaque occasion des ouvriers, mais vous ne connaissez rien d'eux. […] Je sais très bien ce dont je parle, si je parle des ouvriers, et si je les aime. Mais vous n'avez connu, comme ouvriers, que les garçons de café de la place Pigalle. C'est insuffisant. »[2]
Et si le pape, le mage, l'oracle que l'on célèbre, était d'abord un imposteur – doublé d'un couard travesti en matamore ?
Mais tout le monde, en fait de courage, ne peut être Char… Et il est si avantageux, quand on se gargarise du mot de Liberté (avec majuscule !) de s'en remettre aux autres du soin de la défendre ! Au diable donc, ce Pascal qui ne croyait qu'aux témoins qui se font égorger !
[1] André Gide, Journal, Tome II, 1926-1950, p.301, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1997.
[2] Saint-Exupéry, Œuvres complètes, Tome II, pp.54-63 et « Note sur le texte » pp.1238-1241, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999.
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« Celui qui veut connaître un homme, qu'il le cherche moins dans ses paroles que dans la musique qu'elles font. »
Pierre Emmanuel
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Murmures
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L'amoureuse :
Que c'est étrange : quand je te lis ou t'écoute, j'ai envie de me rouler en boule pour mieux t'entendre !...
Parle-moi encore : je sens que de mes jambes, de mon ventre, de mes seins, monte le plus beau sourire qui ait jamais éclairé mon visage.
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L'amoureux :
Tu es de ces femmes édifiées autour de leur voix comme le paysage autour de la source. D'emblée, elle m'engage en un labyrinthe de feuilles neuves. Je me tiens à son ombre ainsi qu'en une châtaigneraie par un beau jour de mai.
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Les Murmures de l'amour , François Solesmes, éd. Encre marine.
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