* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

*
CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


samedi

1er juillet



En marge du site de Mireille Sorgue



II - Les coupures



On trouve, sur le site Mireille Sorgue, dans la rubrique: Son oeuvre - Quelques extraits , l'avertissement suivant :

« … il convient de remarquer que l'édition des Lettres a été établie par leur destinataire. Que ce soit avec la meilleure volonté et la meilleure conscience du monde, celles que l'on est en droit de supposer, elles ont été choisies et élaguées à son appréciation ou à sa convenance. »

Ces circonlocutions, où chaque mot fut pesé aux plus fines balances – celles d'un avocat ? – doivent se lire ainsi : « Sans doute n'avons-nous pas les moyens de montrer que celui qui a établi le texte des Lettres a outrepassé les garanties qu'on est en droit d'attendre d'un "éditeur" honnête et consciencieux, mais on ne saurait écarter un soupçon d'arbitraire de sa part. »

Voilà qui va me donner l'occasion de faire le point sur les coupures.


J'avais trouvé logique de publier les Lettres en cinq volumes, à raison d'un volume par année scolaire ou universitaire puisque cette division rythme la vie des lycéens et des étudiants et que les étés sont plus propices aux rencontres qu'aux échanges de courrier.

Outre qu'une publication intégrale des lettres, pour chacun des deux premiers tomes, passait de loin ce à quoi consentaient les éditions Albin Michel, s'agissant d'un auteur dont la renommée ne reposait que sur un mince volume paru une quinzaine d'années auparavant, j'avais à l'oreille la réaction de Mireille quand, peu avant sa mort, je lui avais dit que ses lettres, eu égard à leur insigne qualité, devraient paraître un jour : « Soit, mais longtemps après moi, et avec des coupures. » (Je regrette, pour les incrédules, que cela ne figure pas dans l'une de ses lettres.)


« Avec des coupures ». Ce mot ne visait en aucune façon ce qui eût pu blesser certaines susceptibilités, mais ce qui lui eût paru indigne de sa plume. Car telle était son exigence intellectuelle, qu'elle reniait (j'en fournirai, par des citations, maintes preuves) ce qu'elle ne pouvait détruire – à commencer par ses souvenirs d'enfance parus dans la « Revue du Tarn ». En quoi je l'approuvais si peu, que nombre de pages ne furent sauvées que par sa crainte de me déplaire.

Ses lettres ne sont pas dépourvues de passages où elle relate tout uniment un fait de la vie courante, sans qu'y paraissent sa personnalité ni son bonheur d'écriture – et les coupures qu'elle souhaitait ressortissent à l'évidence à ce registre. Mais cette correspondance allait de surcroît paraître alors que la plupart de ceux qu'y s'y trouvent évoqués étaient encore bien vivants. Comment apprécieraient-ils de voir exposés sur la place publique leurs faits et gestes, leurs propos, leurs faiblesses ou les traverses qu'ils avaient connues ? Ne s'estimeraient-ils pas trahis ou du moins blessés par des jugements vifs, non toujours amènes ? Une telle publication ne devait pas susciter des rancunes posthumes, et non plus donner le sentiment que Mireille était « potinière » (on trouve l'épithète dans un article de G Brisac paru dans « Le Monde », au moment de la parution du Tome I) – ce qu'elle n'était en aucune façon.

Par ailleurs, j'ai cru sans intérêt de conserver les échos à mes activités d'Inspecteur départemental de l'Éducation Nationale ; à ma situation de famille d'alors : en instance de divorce quand commence notre « liaison », il m'a paru inconvenant d'impliquer, dans la correspondance à paraître, celle qui ne manquerait pas de la lire.

Enfin j'ai supprimé les éloges faits aux feuillets manuscrits du roman auquel je travaillais et que j'adressais de temps à autre à Mireille – en attendant de lui soumettre une dactylographie complète des Hanches étroites.


J'ai bien le sentiment que seule une publication à laquelle on n'aurait retiré que le strict anecdotique, donnerait la pleine mesure du talent épistolaire de Mireille. Du moins a-t-il pu se déployer dans ce qui parut, et avec une autorité, un éclat, auxquels on n'était pas accoutumé.


*


Une fois établi, le texte du Tome I fut soumis à la « petite sœur » à qui ses parents avaient délégué leurs pouvoirs. Laquelle ne trouva rien à redire et pas même sur le passage où, dans sa lettre du 10 juillet 1963, Mireille étrille un certain poète Bernard Aurore (le personnage étant tout entier dans son pseudonyme), dont j'ignorais qu'il était toujours en relation avec la famille.

Et mal m'en prit ! Découvrant le passage une fois imprimé, M. Pacchioni envoya à l'éditeur un télégramme comminatoire aux fins de suspendre la diffusion du livre. Puis le poète exigea que parût, en tête du Tome II, une note précisant qu'il était « apprécié de ses pairs » ! C'était bouffon ? À l'évidence, aussi l'éditeur refusa d'insérer la note ; ce que voyant, M.Pacchioni lui adressa un second télégramme interdisant la sortie du Tome II. (Qui s'étonnera que le PDG des éditions Albin Michel n'ait pas voulu entendre parler d'un Tome III ?)

Je fus tancé pour le Tome I, et le texte du Tome II donna lieu à un examen sourcilleux par les « femmes* ». Et d'autant que la petite sœur s'était avisée, en relisant, imprimé, le premier volume, qu'on y trouvait sur sa personne des remarques sans bienveillance, dont celles-ci :

« Elle est femme et l'a toujours été, infiniment plus que moi […] oui, chatte, un brin ; câline et malicieuse ; mais elle griffe parfois, terriblement…[…]

« L'amour peut-être décapera le vernis "mode" de Marie-France. » (Lettre du 31 janvier 1963)


*


J'avais déjà, sans qu'on m'en prie, édulcoré le passage de la lettre du 1er octobre 1963 où Mireille évoque son amour malheureux pour un Michel dont elle se croyait aimée et qui avait une… égérie. Passage que voici intégralement restitué :

« Quant à moi, je ne me souviens d'avoir été jalouse qu'une fois – jalouse jusqu'à m'avilir ; ce fut l'été dernier, lorsque Michel, ce jeune fou, échangea un soir ma main contre celle de ma sœur, à qui je fis, dans la nuit, lorsqu'elle revint se coucher une « scène » dont j'eus honte le lendemain, et dont je m'excusai. Il est vrai que la déception avait été brutale – et puis il y avait cette espèce de stupeur d'une dépossession rapide comme un rapt, cette inconscience de M[arie]-F[rance]…Scène d'autant plus pénible que, nos parents dormant dans la chambre voisine, nous parlions à voix basse, sifflante. J'ai bien failli la gifler, lui faire mal – et je l'entends encore me répondant ceci, ahurissant : – "Après tout, pourquoi est-ce qu'il ne serait qu'à toi ? C'est à mon tour maintenant !" Mais je sais que plus tard elle eut de la peine de m'avoir ainsi blessée ; elle m'écrivit pour m'en demander pardon… Je me souviens aussi que les jours précédents, j'avais de toutes mes forces essayé de cacher ma jalousie croissante, de sauver les apparences… Et c'était difficile. Mais Maman ne s'était aperçue de rien".


* Ce qui appelle diverses remarques :

N'est-ce pas faire preuve, à 16 ans, d'un excellent naturel, que se prêter à une manœuvre au terme de laquelle on ravirait à sa sœur le seul garçon dont, en toute son adolescence, elle ait pu se croire aimée ?

Mireille eut très vite honte de la scène, si justifiée, qu'elle fit à sa sœur.

Elle fit tout pour cacher à sa mère la bassesse dont elle était victime.

Où l'on voit où se tenaient noblesse et générosité de cœur.


*


J'avais donc veillé à éliminer du tome II tout ce qui pouvait fâcher quiconque. Aussi fus-je surpris de recevoir de Mme P. une page d'épreuves avec des phrases barrées (Lettre du 9 juillet 1964) :

« Marie-France doit passer l'oral de contrôle, ce qui rend mon père furieux. Et certes, elle n'est pas irréprochable. Un tout petit effort supplémentaire, et les lauriers pleuvraient. Mais elle aime vivre et se laisser vivre. Elle, la meilleure élève du lycée en philosophie, a bâclé son devoir en une heure ; elles a écrit ce qui lui passait dans l'esprit, n'importe quoi…

Elle m'explique : "Je suis sortie pour retrouver Minou [ !] – Et lui ? – Lui non ! Ces garçons ne comprennent rien… " Peut-être, mais le dit-Minou, lui, est reçu ! Si mes parents savaient cela ! Pour moi, je ne veux pas la gronder (et Papa m'accuse d'indulgence coupable) ; il me faut cependant reconnaître qu'elle agit parfois avec désinvolture. C'est un très mauvais calcul que de donner toujours le pas aux préoccupations amoureuses ; on néglige de se libérer… Papa va se montrer à présent très sévère ; elle n'ira pas en Espagne en août […] »

Il est vrai, si j'en crois sa mère, que l'intéressée avait une raison irrécusable de demander qu'on… allège le texte : « Si mes enfants lisaient un jour cela, ils pourraient se prévaloir de mon exemple pour négliger leurs devoirs. »

En d'autres termes, peu importe que l'on tripatouille l'original pourvu que l'image maternelle ne risque pas d'être le moins du monde altérée.


La publication des Lettres se serait poursuivie, il eût été peu probable d'y trouver, non plus, ce passage du 27 septembre 1965 : « Le repas s'achevant, nous avons eu, Marie-France et moi, une très méchante dispute. […] Quelques jours auparavant, j'avais demandé à ma sœur si Charles [ son fiancé] savait notre situation et ce qu'il en avait dit ; elle m'avait avoué qu'elle-même lui ayant demandé si cela le choquait, il avait répondu que oui ; et qu'elle le comprenait car il fallait toute l'affection et l'estime qu'elle a pour nous pour qu'elle-même ne le soit pas. Nous n'en avions plus rien dit, mais je m'irritais sourdement ; pensant quelque chose comme : C'est un peu fort tout de même ! nous connaître, venir chez nous, sembler se plaire en notre compagnie, savoir ce que vaut notre amour, et permettre, sans protester, qu'on le prenne ainsi à la légère ! […] Hier, Marie-France a eu cette phrase imprudente, exaspérante : - "Tu es faite pour avoir des enfants… Ne t'imagine pas que tu serviras assez l'humanité en écrivant"… J'ai dit que l'on est fait pour ce que l'on veut faire (approuvée par mon père), et qu'on ne vivait pas pour servir ; que si même je le devais, je le ferais par mon travail[…] "Et, dit M-F., quand on veut élever des enfants, il faut se marier " Peut-être, en effet. […] Pour moi, je ne troublerai pas davantage ma sœur, je crois que je lui ferais du mal, puisqu'elle aspire à l'évidence à ce qu'on appelle une vie normale. »


Un tel passage aurait été censuré, et c'eût été dommage, car on y voit :

- qu'aux âmes bien nées, la pruderie, comme la valeur, n'attend pas le nombre des années ;

- qu'on peut n'avoir que 19 ans et connaître la casuistique. (Sans doute sommes nous, nous aussi, amants, mais nous nous marierons, nous !) ;

- qu'en fait de mariage et de maternité, on possède déjà un solide et sentencieux conformisme petit-bourgeois ;

- que s'agissant de « servir l'humanité » ( !), la création littéraire se voit assigner sa juste place, subalterne, bien sûr, tandis que faire des enfants, n'est certes pas à la portée de la première venue !


Que ceux qui croiraient qu'établir le texte d'une correspondance sous haute surveillance tout en ayant égard à des considérations multiples, est une entreprise de tout repos se détrompent : elle peut être proprement harassante !



* Expression qui figure dans les Lettres et par laquelle Mireille entendait se distinguer – et se dissocier – de sa mère et de sa sœur.



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jeudi

15 juin





De l'élégance en édition



*Nous avions échangé quelques lettres. Assez pour que je voie, en Jacques Neyme, un homme de bonne race, éminemment loyal et fiable quand, à l'expérience, tant

d'êtres trébuchent sous nos yeux, que nous pensions sûrs. Il me dit son intention de

se faire éditeur et me demanda un texte. Je lui adressai D'un rivage. Nous ne nous

sommes plus quittés.



J'avais l'expérience de maisons d'édition ayant pignon sur rue, où la considération dont jouit l'auteur est à l'exacte mesure de son audience. Dépourvu à un rare degré des qualités requises pour « faire carrière » dans les Lettres, je tins pour une aubaine d'être édité par quelqu'un qui m'estimait, s'informait de mes vœux et me dispensait des servitudes inhérentes à la parution d'un livre.



Solitaire par nature, ami de l'ombre, je découvris un homme qui, à l'écart, en un creux de montagne et sans ressources, entendait maîtriser seul toutes les opérations qui donnent corps au rêve de l'écrivain : voir sa pensée, sa vision, partagées par quelques-uns.



Gide a parlé d'une revue dont il fut « l'unique laborateur ». Pendant des années, les ouvrages qui parurent sous la bannière d'Encre Marine durent tout, hormis le texte, à un homme qui, sachant qu'« il n'est pas de détail dans l'exécution », cumulait les fonctions de lecteur de manuscrit, correcteur d'imprimerie, attaché de presse, diffuseur, expéditeur et comptable. Sans préjudice d'un enseignement dispensé avec un bonheur égal à celui de l'auditoire.



(Cet homme dort-il ? L'appelant à cinq heures du matin, je ne crains pas de le déranger. Au dernier étage d'une longue et belle demeure qui se souvient, par ses murailles, ses poutres, son âtre, ses entours, de son passé de ferme, quelqu'un est devant ses claviers et ses écrans. Et si notre œil doit, de loin, accommoder à cause d'un recours intempérant à la pipe et au cigare, la voix, précise et feutrée, est celle de qui, ayant avec patience écouté vos soucis et vos regrets – et quelques geignements –, éclaire l'auteur et l'apaise et l'absout. Et l'on raccroche avec le sentiment d'avoir distingué, sur la table de travail de l'interlocuteur, toujours à portée de main, un exemplaire de Montaigne.)



Il est des lignées d'imprimeurs, d'éditeurs. Ici, nulle ascendance mais un attrait opiniâtre, depuis l'adolescence, pour les tirages à petit nombre, les grands papiers, une typographie qui rivalise en dignité avec un texte majeur. Joint au déplaisir de voir la philosophie publiée sur un support médiocre, quand elle mériterait de singuliers égards. Nulle ascendance, mais l'exemple de ce que firent, avec des moyens d'artisan, un Guy-Levis Mano, un Pierre-André Benoît, ou le Marc Barbezat de l'Arbalète : des volumes apparentés à la haute couture.



Le labeur consenti par Jacques Neyme, son héroïque ténacité par gros temps – non moindre que celle du timonier dans Le Typhon de Conrad, à cela près qu'ici l'homme était, à soi seul, l'armateur, le pilote et le reste de l'équipage – tout témoigne de l'une de ces vocations qui vous dispensent, n'importent les traverses, la sourde euphorie de ceux qui ne distinguent pas entre leur passion et leur métier. Et c'est en quoi ils nous donnent le sentiment de vaquer quoi qu'ils fassent.



(Des mots, à les écrire, vous donnent du contentement. Vocation est de ceux-là, et je l'écris avec faveur, comme je le ferais de vasque, par essence débordante, ou de vélique, qui ont à voir avec lui.)



*

Je ne crois qu'aux intellectuels qui ne surent « demeurer dans une chambre » ; dont la paume, le poignet, ont éprouvé – ô densité de la douceur ! – la masse d'un galet ardoisé ; qui distinguent, par leur seule écorce, le hêtre du charme ; qui, les yeux fermés, vous diraient : – Ce que vous me donnez à humer est un héliotrope, un lilas, et ceci, une fleur de laurier-rose.



Jacques Neyme a connu la condition ouvrière la plus harassante : celle qui ne vous laisse, au soir, que la guenille d'un corps. Il sait, en outre, bâtir un mur. Est-il indifférent, quand on est éditeur, d'avoir prise sur la matière ? D'appliquer à celle-ci les vertus requises et du tourneur et du maçon soucieux de belle ordonnance, surtout quand elles sont rectifiées par une culture d'humaniste et une amplitude, une agilité intellectuelles toujours promptes à entrer en jeu ?



Je vois assez Jacques Neyme en prince de la Renaissance qui priserait en secret la turbulence sociale, la gaillardise, le « libertinage érudit », voire la transgression, mais s'interdirait, dans ses réalisations, ce qui en menacerait l'harmonie.



Éditeur, on peut être sans illusion sur l'homme et refuser de le flatter par des livres aux dehors alléchants mais qu'une lecture épuise ; refuser un manuscrit assuré du plus large succès mais qui ne correspondrait pas pleinement à votre exigence. Publier des livres non dénués de mérite n'est pas hors de portée ; constituer un catalogue où nul titre n'a sa nécessité propre, c'est véritablement accomplir une œuvre. Ce que nous voyons déjà de l'édifice a la stricte noblesse d'un Palladio ; les briques qui le composent étant, à celles de l'édition courante – argile crue et paille mêlées –, les briques vernissées de Babylone, avec leurs « lions passant ».



Que deux seuls genres littéraires y soient accueillis accroît encore la cohérence du catalogue. Au demeurant, les deux vagues « affrontées » du logo ne sont pas antagonistes : elles rappellent l'intrication, depuis les présocratiques, de la philosophie et de la poésie – la première transcendant la seconde mais devant, aux éclairs, aux irisations de celle-ci, de n'être pas fuligineuse. Ce que Shakespeare, toujours définitif, avait ainsi formulé, par la bouche d'Hamlet : « Il y a plus de choses sur la terre et le ciel, Horatio, que dans toute ta philosophie ».



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On a beaucoup raillé le goût de certains auteurs pour les tirages restreints sur papier prestigieux, destinés aux bibliophiles. Et si ceux-là n'étaient pas mus par le seul lucre ? S'ils s'étaient avisés que la nuance, la tenue du papier, la typographie, la composition, peuvent ennoblir un texte ou lui retirer tout éclat, ainsi qu'un comédien, de sa diction, le rehausse ou nous le fait paraître banal ? Paul Valéry, qui fut orfèvre en ce domaine, a noté : « Rien de plus agréable et de plus inquiétant pour un poète que de se voir typographié dans le plus grand style et comme revêtu d'une parure qui ne convient qu'aux plus nobles écrits. »



Quand je présentai à Jacques Neyme mon Éloge de l'Arbre, il songea d'emblée à un format si déraisonnable que je lui fis observer que tout le monde ne dispose pas d'un lutrin – et nous convînmes d'un livre plus maniable. Le rouvrant, ainsi que l'Ode à l'Océan, Océaniques, L'Inaugurale, j'ai conscience de ce que le texte doit à un tel apparat. De quoi nourrir l'inquiétude dont parle Valéry : « N'a-t-on pas fait trop d'honneur à ces proses poétiques ? Que vaudraient-elles si les versets ne pouvaient s'éployer à l'aise ? Si les grandes marges de gauche n'appelaient une ample inspiration ? Celles de droite, une expansion du souffle jointe au mouvement d'yeux qui se portent dans les franges du paysage, en quête de l'arrière-pays ? Oui, que serait le texte, corseté comme l'onde marine entre les quais d'une rade, alors que chaque page est telle un œillet de marais salant dont la clarté de ciel, de sel, s'emparerait de votre face à chaque feuillet tourné ? »



On a parlé du « plaisir du texte ». Il est ici redoublé, n'importent le tirage ou le format, par des raffinements d'un autre âge. Tactiles, puisqu'il n'est de papier qui ne pactise avec les doigts qui l'effleurent ; visuels par la grâce d'un Garamond expert collection de haute origine.



Il est des caractères guindés, statiques, qui rebutent l'œil et semblent faits pour des textes utilitaires de nul agrément. Par son maintien, sa lisibilité, ce Garamond-là accueille le lecteur de bonne grâce et s'offre, dirait-on, à collaborer avec lui. Par ses discrètes ligatures, c'est un caractère volubile comme on le dit des plantes grimpantes, un caractère à l'œuvre, et partant, le mieux propre à préserver la palpitation, la scintillation d'un texte. Je n'en voudrais pas d'autre.



Il n'est pas jusqu'à l'oreille qui, avec les volumes brochés, ne découvre, ponctuant le silence, le chuintement bref du coupe-papier – ce qui vous dissuade de feuilleter, de parcourir le livre et vous rappelle que l'écrit se mérite à moins qu'il ne soit vain. Ce qui, encore, en alentissant votre avancée, rapproche, quoique de manière infime, le temps intérieur du lecteur de celui de l'écrivain élaborant son œuvre.




Tout ce qui précède n'est pas sans conséquences pour un auteur désireux d'« habiter son nom ». Mauriac assurait apporter autant de soin à un article de journal qu'au reste de son œuvre. Peut-être. Mais l'écolier s'applique davantage sur le cahier « du jour » aux feuilles satinées que sur celui dit « de brouillon ». Savoir qu'on sera publié avec la considération due aux meilleurs vous « oblige », comme il est dit de la noblesse ; et, puisqu'il y aura nécessairement discordance entre votre texte et les égards dont il sera l'objet, faisons en sorte qu'il n'en soit pas trop indigne !



Et c'est ainsi qu'un auteur avisé se montre obstinément fidèle à un éditeur modeste mais qui lui procure un surcroît de talent.



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*Le blog proprement dit de François Solesmes s'interrompt à ce jour et reprendra ultérieurement.



Une nouvelle rubrique s'ouvre ici, qui sera poursuivie de quinzaine en quinzaine.



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*en marge du site de Mireille sorgue



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I la légende dorée



Quelques-uns de mes lecteurs savent que je fus le destinataire des Lettres à l'Amant de Mireille Sorgue, le dédicataire de L'Amant du même auteur, et que j'en ai établi et annoté le texte.



Or, un site vient d'être créé par sa sœur, ayant-droit « patrimoniale » de l'œuvre. Comme les allégations, approximations et contre-vérités risquent d'y fleurir (j'en ai déjà rencontré plusieurs), je crois devoir à la mémoire de l'auteur des Lettres de les relever et de les commenter à mesure et, documents à l'appui, de faire justice, le cas échéant, d'affirmations incomplètes ou inexactes. Sans parler, hélas – mais imparable – de ce qui était le plus éloigné de Mireille : la niaiserie satisfaite, et dont voici quelques exemples tirés de la notice biographique, faite maison (comme les confitures, ce sont les meilleures) « pour aider les futurs biographes ».


*


J'ai lu beaucoup de telles notices, entre autres celles qui ouvrent les volumes de la Bibliothèque de la Pléiade, mais jamais je n'y ai rencontré autant de faits significatifs, de précisions capitales sur l'écrivain. À commencer par son ascendance.



Le père et la mère de Mireille enseignant à distance, on nous apprend que

« Francis Pacchioni [le patronyme véritable de Mireille] va retrouver sa femme et sa fille tous les soirs à bicyclette. » (Et quel lecteur, ayant du cœur, ne va pas s'exclamer, en apprenant cela : « Quel bon mari, et quel père aimant, cet homme ! )» ?



Autre détail combien révélateur pour qui veut approcher le mystère du génie :

« Quand arrive Noël 1947, Mireille sait lire, elle a appris pratiquement seule, après les cinq ou six premières pages dans un livre aux grandes images. » (Encore que ce ou nous plonge dans l'incertitude car il n'est pas sans importance, pour qui veut mesurer la précocité de Mireille, que ce soit après la page 5 ou la page 6 qu'elle ait su lire.) Mais que « la légende dorée » ne nous détourne pas de nous reporter à la délicieuse lettre de Mireille du 19 décembre 1962 où elle conte sa scolarité primaire : « Mon père m'avait appris à lire lorsque j'avais quatre ans, maître inflexible sans violence, et pour cela vénéré. »



D'autres précisions, non moins éclairantes, nous sont fournies sur ses aïeules. Sa grand-mère paternelle, prénommée Maria, « une lingère, une forte femme, avait dû renoncer au chant lyrique » (mais, tout de même, « un impresario l'avait remarquée au casino de la ville . » Ce qui prouve bien qu'il y a, quoi qu'on en dise, une justice : certes, l'infortunée dut faire le deuil d'une carrière artistique – mais elle eut la consolation d'être remarquée – et par un imprésario !) Cependant que la grand-mère maternelle, Louise, qui vivra plus tard avec le reste de la famille, « ouvrière dans une usine textile », nous est présentée comme une femme « que le travail n'effraie pas. »



Je le demande : comment, avec une telle ascendance, ne pas devenir un être d'exception ?



Mais à quoi bon poursuivre ? Il est patent que ce site s'adressera en priorité aux lecteurs des antiques « Bonnes soirées », et que si l'On eut un père, une mère, des grands-mères exemplaires, On ne saurait avoir toutes les chances en fait de parenté.



Du moins, au fil de cette rubrique, ceux qui s'étonnèrent que la publication des Lettres demeure inachevée vont-ils apprendre quels motifs me conduisirent à… jeter l'éponge. Ainsi, les responsabilités seront-elles établies aux yeux des gens de bonne foi, les seuls qui importent. Les autres s'enchanteront de l'hagiographie sororale, nulle fadaise ne leur étant épargnée.



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