******************************SENTEURS II
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N'est-ce pas Judith que je vois se parfumer avant de pénétrer dans le camp d'Holopherne ? Esther que l'on massa six mois avec de l'huile de myrrhe, puis six autres mois avec de l'huile de baumier, avant de la présenter au roi Assuérus ? Et celle-ci qui répand une livre de « vrai nard » sur les pieds d'un homme, ne serait-elle pas Marie de Béthanie ? Cependant que la Reine de Saba prodigue force aromates au Roi Salomon, et que Hatshepsout attend que ses bateaux lui rapportent encens et myrrhe du « Pays de Pount ».
*
Je vois. J'entends aussi. J'entends la Sulamite louanger son époux :
– « Tandis que le Roi est en son enclos / mon nard donne son parfum. / Mon Bien-aimé est un sachet de myrrhe, / qui repose entre mes seins. […] »
Et l'époux de lui répondre :
– « Tes jets font un verger de grenadiers / et tu as les plus rares essences : / le nard et le safran, le roseau odorant et le cinnamome, / avec tous les arbres à encens ; / le myrrhe et l'aloès, / avec les plus fins arômes. […] »
Ah ! il est temps d'avoir part à ce qui suffit aux dieux pour perpétuer leur essence, en ce qu'il transmue l'air en un nectar intemporel proche de « l'or du temps » de l'alchimie poétique.
*
Des hommes, toujours, se sont eux-mêmes parfumés, quitte à voiler leur part virile ; à paraître pactiser avec le féminin.
Les parfums de la Bible ont d'abord le statut d'offrande. Au dieu, au puissant, à l'être qu'on veut séduire. Et que l'arôme valide vos paroles flatteuses ; voire, qu'il tienne lieu d'éloge. C'est alors à bouche close que la femme présente ses lettres de créance à celui qu'elle avoue pour seigneur et maître. Lequel entend distinctement le message :
– « Jette sur moi ton regard. Je suis noire mais je suis belle…, et mon parfum t'est promesse d'une fille à ton exacte convenance. La Terre abonde en épouses dociles, industrieuses – ce que je serai. Mais sens comme l'air, autour de moi, se réjouit que je sois. Ce que tu respires, c'est la succulence de ma chair – à mordiller ; c'est la bénignité d'un cœur qui te fait pleine allégeance. Élis-moi entre toutes : je serai ta servante et bien davantage : la couche où répandre ton loisir. Je serai la belle saison de ta vie. »
Parfumée, la femme se meut nimbée d'une bonne grâce qui l'introduit et plaide sa cause. Qui la prolonge et nous permet, la regardant s'éloigner, de mesurer ce qui nous échappe. Le même parfum qui, se faisant exhalaison de cassolette, donne au présent obligeance, fécondité, peut devenir sillage, soupir ; ainsi quand Cléopâtre quittant Marc-Antoine fait imprégner les voiles de son navire d'essences parfumées, pour que son souvenir s'attarde sur les rivages qu'elle abandonne.
*
« J'ai recouvert mon lit de couvertures, d'étoffes multicolores, de lin d'Égypte. J'ai aspergé ma couche de myrrhe, d'aloès, de cinnamome. »
(Ce sont là paroles d'amoureuse qui veut séduire, et qu'à l'image du dernier parfum nommé, on imagine jeune, agreste, loyale.)
De proches berceaux de verdure, me viennent, par une brise nonchalante, des effluences de tilleul en fleur, de pulpe de pomme sous la dent, combattues d'une âcreté attachée à l'écorce du cannelier d'origine. Et que voilà donc une couche où s'étendre à pleine face, fraîcheur et épices mêlées !
*
Exsudation résineuse, le storax me parle avec mesure de prairie, de pinède s'échauffant, de bouquets de girofliers, d'enclos de vanilliers. Officieux, persuasif, il me promet bénévolence à satiété. Et me voici penché au-dessus d'une coupe d'abricots rebondis. Aux lèvres, le soupçon de sucre qui s'attache au pédoncule d'un pétale d'œillet. Un effluve de benjoin ourlant mes narines.
*
L'oliban aussi sourd d'une écorce. Solaire, il est « l'encens mâle » des Anciens. Il induit la touffeur, appelle le feu de la fumigation qui nous élèvera, décanté, au-dessus de notre état. Pourquoi, dès lors, en tant de chaude clarté, voir pendre des draperies de bure – qui s'interposent entre le divin et moi ? D'où vient que, flatté d'une veine de citronnelle, j'entende la note réitérée d'un glas ?
*
Que louée soit la myrrhe entre tous les parfums pour sa tiédeur de giron, sa cordialité de bon aloi, sa suavité d'héliotrope, de giroflée, que soutient l'exhalaison d'un mandarinier constellé de fruits. Dans l'espace tendu de velours, de gaze, de mousseline, passent des lueurs de l'or même qu'apportent les Rois Mages. On éveille, on caresse mes muqueuses, et c'est un tel contentement, qu'il me tient lieu de manne.
Par cette odeur cérémonielle, j'accède à la Fable ; soustrait à la durée, à la corruption de la chair – l'odeur dite de sainteté ! –, je suis témoin d'un avènement continu.
*
J'avais, avec la myrrhe, part au divin. Le nard me confère la divinité. Mellifluent, il fait plus qu'oindre, féconder, mon espace interne. Ample, intense, il s'empresse, me déborde, m'enveloppe, me convertit à sa suprême exquisité. Il me fait captif d'une félicité chamarrée d'accents de viole de gambe.
De son origine racinaire, le nard se souvient de l'humus, mais c'est pour mieux me faire priser le miraculeux dosage de géranium, de rose ancienne et de framboise que j'y perçois. Élixir aérien, il me hisse en une région éthérée où le seul état concevable, admis, a nom Béatitude.
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Les Murmures de l'amour
L'amoureuse
Avec toi, je puis accepter ce qui altère ou détruit – et d'abord le temps. Avec toi, je consens à vieillir.
Le scandale n'est pas de devoir mourir, mais de vivre médiocrement ce qui, pour moi, se traduirait par : ne pouvoir plus graviter autour de toi.
*
L'amoureux
Même si elle mène à la mort, quelle belle pente s'étend devant nous… À l'image de celles que le vent développe quand on le fournit de sable, et qui sont une caresse pour l'œil — à l'égal de ta chute de reins !
Pourtant, pourtant, comme il va être plus amer de mourir, à présent que je te connais !
François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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N'est-ce pas Judith que je vois se parfumer avant de pénétrer dans le camp d'Holopherne ? Esther que l'on massa six mois avec de l'huile de myrrhe, puis six autres mois avec de l'huile de baumier, avant de la présenter au roi Assuérus ? Et celle-ci qui répand une livre de « vrai nard » sur les pieds d'un homme, ne serait-elle pas Marie de Béthanie ? Cependant que la Reine de Saba prodigue force aromates au Roi Salomon, et que Hatshepsout attend que ses bateaux lui rapportent encens et myrrhe du « Pays de Pount ».
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Je vois. J'entends aussi. J'entends la Sulamite louanger son époux :
– « Tandis que le Roi est en son enclos / mon nard donne son parfum. / Mon Bien-aimé est un sachet de myrrhe, / qui repose entre mes seins. […] »
Et l'époux de lui répondre :
– « Tes jets font un verger de grenadiers / et tu as les plus rares essences : / le nard et le safran, le roseau odorant et le cinnamome, / avec tous les arbres à encens ; / le myrrhe et l'aloès, / avec les plus fins arômes. […] »
Ah ! il est temps d'avoir part à ce qui suffit aux dieux pour perpétuer leur essence, en ce qu'il transmue l'air en un nectar intemporel proche de « l'or du temps » de l'alchimie poétique.
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Des hommes, toujours, se sont eux-mêmes parfumés, quitte à voiler leur part virile ; à paraître pactiser avec le féminin.
Les parfums de la Bible ont d'abord le statut d'offrande. Au dieu, au puissant, à l'être qu'on veut séduire. Et que l'arôme valide vos paroles flatteuses ; voire, qu'il tienne lieu d'éloge. C'est alors à bouche close que la femme présente ses lettres de créance à celui qu'elle avoue pour seigneur et maître. Lequel entend distinctement le message :
– « Jette sur moi ton regard. Je suis noire mais je suis belle…, et mon parfum t'est promesse d'une fille à ton exacte convenance. La Terre abonde en épouses dociles, industrieuses – ce que je serai. Mais sens comme l'air, autour de moi, se réjouit que je sois. Ce que tu respires, c'est la succulence de ma chair – à mordiller ; c'est la bénignité d'un cœur qui te fait pleine allégeance. Élis-moi entre toutes : je serai ta servante et bien davantage : la couche où répandre ton loisir. Je serai la belle saison de ta vie. »
Parfumée, la femme se meut nimbée d'une bonne grâce qui l'introduit et plaide sa cause. Qui la prolonge et nous permet, la regardant s'éloigner, de mesurer ce qui nous échappe. Le même parfum qui, se faisant exhalaison de cassolette, donne au présent obligeance, fécondité, peut devenir sillage, soupir ; ainsi quand Cléopâtre quittant Marc-Antoine fait imprégner les voiles de son navire d'essences parfumées, pour que son souvenir s'attarde sur les rivages qu'elle abandonne.
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« J'ai recouvert mon lit de couvertures, d'étoffes multicolores, de lin d'Égypte. J'ai aspergé ma couche de myrrhe, d'aloès, de cinnamome. »
(Ce sont là paroles d'amoureuse qui veut séduire, et qu'à l'image du dernier parfum nommé, on imagine jeune, agreste, loyale.)
De proches berceaux de verdure, me viennent, par une brise nonchalante, des effluences de tilleul en fleur, de pulpe de pomme sous la dent, combattues d'une âcreté attachée à l'écorce du cannelier d'origine. Et que voilà donc une couche où s'étendre à pleine face, fraîcheur et épices mêlées !
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Exsudation résineuse, le storax me parle avec mesure de prairie, de pinède s'échauffant, de bouquets de girofliers, d'enclos de vanilliers. Officieux, persuasif, il me promet bénévolence à satiété. Et me voici penché au-dessus d'une coupe d'abricots rebondis. Aux lèvres, le soupçon de sucre qui s'attache au pédoncule d'un pétale d'œillet. Un effluve de benjoin ourlant mes narines.
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L'oliban aussi sourd d'une écorce. Solaire, il est « l'encens mâle » des Anciens. Il induit la touffeur, appelle le feu de la fumigation qui nous élèvera, décanté, au-dessus de notre état. Pourquoi, dès lors, en tant de chaude clarté, voir pendre des draperies de bure – qui s'interposent entre le divin et moi ? D'où vient que, flatté d'une veine de citronnelle, j'entende la note réitérée d'un glas ?
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Que louée soit la myrrhe entre tous les parfums pour sa tiédeur de giron, sa cordialité de bon aloi, sa suavité d'héliotrope, de giroflée, que soutient l'exhalaison d'un mandarinier constellé de fruits. Dans l'espace tendu de velours, de gaze, de mousseline, passent des lueurs de l'or même qu'apportent les Rois Mages. On éveille, on caresse mes muqueuses, et c'est un tel contentement, qu'il me tient lieu de manne.
Par cette odeur cérémonielle, j'accède à la Fable ; soustrait à la durée, à la corruption de la chair – l'odeur dite de sainteté ! –, je suis témoin d'un avènement continu.
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J'avais, avec la myrrhe, part au divin. Le nard me confère la divinité. Mellifluent, il fait plus qu'oindre, féconder, mon espace interne. Ample, intense, il s'empresse, me déborde, m'enveloppe, me convertit à sa suprême exquisité. Il me fait captif d'une félicité chamarrée d'accents de viole de gambe.
De son origine racinaire, le nard se souvient de l'humus, mais c'est pour mieux me faire priser le miraculeux dosage de géranium, de rose ancienne et de framboise que j'y perçois. Élixir aérien, il me hisse en une région éthérée où le seul état concevable, admis, a nom Béatitude.
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Les Murmures de l'amour
L'amoureuse
Avec toi, je puis accepter ce qui altère ou détruit – et d'abord le temps. Avec toi, je consens à vieillir.
Le scandale n'est pas de devoir mourir, mais de vivre médiocrement ce qui, pour moi, se traduirait par : ne pouvoir plus graviter autour de toi.
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L'amoureux
Même si elle mène à la mort, quelle belle pente s'étend devant nous… À l'image de celles que le vent développe quand on le fournit de sable, et qui sont une caresse pour l'œil — à l'égal de ta chute de reins !
Pourtant, pourtant, comme il va être plus amer de mourir, à présent que je te connais !
François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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