l'amante (1)
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Tu voudrais savoir quels vœux forme une amoureuse ? Je ne puis te dire que quelques-uns des miens :
N'être pas seulement femme, mais féminine comme la pluie.
Trouver les paroles qui entreraient en toi comme une musique, pour que tu saches la vie que tu me fais !
Être pour toi la praline (avec un soupçon de poivre blanc) que tu mettrais à fondre doucement sous ta langue.
Être le feu de sarments devant lequel les mains jointes dressées se font fleur de sang à cinq pétales.
Être un bouquet où tu plongerais le visage jusqu'au cœur. Et ta bouche lui donnerait soif.
Être la rivière d'été dont les sablons te feraient des mains fluides.
Te voir sans être vue… Quel visage a-t-il quand il est seul ? C'est façon de t'approcher, vacant, quand rien ne te distrait de toi.
Que nos embrassades, quand nous nous retrouvons, aient toujours l'emportement des vagues de ressac. Et que tu m'enfouisses toute dans le climat de fenaison, ombreux et odorant, que tu dis humer sous ma chevelure.
Que « demain » ait encore et encore l'âpre saveur des commencements.
Que, pensant à toi, me viennent toujours ces très fines larmes de tendresse qui me font des bords de paupières dentelés.
Et que nous soyons toujours inconsolables l'un de l'autre.
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Toute amoureuse bien née ajouterait : Avoir un enfant de toi. Mais il vient de m'en échoir un – à entourer, protéger, consoler… Et, merveille !, à ta parfaite ressemblance.
En bref, et parce qu'il n'est pas tant d'existences accomplies : que tu sois ma chance de vivre dense, unifiée – renouvelée, un amour en devenir.
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Mais j'ai des regrets aussi. Dont celui-ci :
Nous venons de confluer ; nous aurons, je le voudrais, le même aval. Mais je me sens lésée de ne rien savoir de ton cours en amont. Et je jalouse ceux et celles qui te virent passer, couler.
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Que n'as-tu partagé les nuits dès mes quinze ans ! Je n'aurais jamais eu peur du noir. Tu aurais vu, caressé, mes petits seins d'alors, et je n'aurais pas eu honte de ma féminité. Je sais à présent comme ces nuits de pure tendresse m'ont manqué, même si tu me remets dans le climat de mon adolescence.
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Mon inclination pour la nudité ? Elle fut précoce. Je la date de ce jour d'été de mon enfance où je décidai un matin, de ne pas mettre ma petite culotte. Pour découvrir les sensations qui, tout un jour, m'en viendraient. Je n'ai jamais oublié celles qui naissent du frottement de cuisses que rien ne sépare, vers l'enfourchure ; le chatouillement des hautes herbes traversées ; le picotement de fesses qu'on asseoit sur du gazon ; le simple contact de l'air sur mon ventre, sous ma robe.
Mais ce n'est que plus tard, au temps béni où je fus la fillette qu'un jeune garçon ausculte, que je pressentis les fastes promis à celle qui se dénude.
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Avec toi, je suis nue pour être mieux embrassée de partout à la fois !
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Nue par nécessité, pour ma peau, de se distendre afin d'accueillir tout ce qui alors lui échoit. Pour te faire pressentir combien je suis ouverte.
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Nue comme le fruit mûr sur lequel une paume se referme.
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Si j'aspire à être nue, c'est aussi pour me rendre immédiats le sable, l'écorce des arbres, le mur au soleil auquel on s'adosse, l'herbe où l'on s'allonge – et ta caresse qui file en moi comme une pierre jetée dans l'eau. La flamme aussi est nue, quand on fait l'amour comme on ferait un feu.
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Je connais ces hautes glaces nommées psyché. Mais nue, seule m'importe l'image que me renvoie le visage de l'amant.
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Ton sourire et ma nudité qui se fondent et s'échangent, me promettent merveilles !
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« Ma gloire est sur les sables ! », s'est écrié le Poète. Toi, c'est de tes mains que tu t'exclames : « Ma gloire est sur ton corps ! Elles font de lui une île où s'enlacent les plages nues, suaves à l'œil. Et dont les rares sources ne désaltèrent, dis-tu.
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Mais que ne dis-tu pas ! Que la saveur de ma nuque est soleil et nuit mêlés, galette cuite au four d'argile, bâton de réglisse, sainfoin séchant…
Que mes seins, durs comme coloquinte quand je te chevauche, sont chacun à l'exacte mesure de ta paume, les tétons à celle de ton empan. De quoi le Bernardin de Saint-Pierre des Harmonies de la Nature aurait bien dû s'aviser !
Que devant mon ventre, ta paume retrouve ce geste de planer que lui donne la vue d'une plage.
Que toi aussi, « si tu avais 53 minutes à dépenser, tu marcherais tout doucement vers une fontaine » où trouver, confondues en une seule gorgée, la liqueur et « l'onde amère », l'eau douce et l'eau âpre, la satiété et la soif. – Serait-ce moi ?
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Quelles mains profondes tu as ! Je les écoute me raconter comment je suis faite – et pour qui. L'avenir qu'elles me présagent. Je m'étonne que tu puisses m'aimer, mais à peine sont-elles sur moi, que je n'ai plus le loisir d'y penser ! Tiens-moi fort, oui, pour que je ne doute plus de rien, n'importe si la charpente en craque !
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Ce pouvoir qu'a ta main de me lester, de m'entraver à peine se pose-t-elle sur moi. De me faire à l'instant silencieuse, recueillie dans l'attente d'une visitation !
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Sous ta main, je ne sais plus ce qui relève de la peau, de l'âme, du cœur. C'est le désordre de l'indifférenciation. C'est l'exaltation de l'unité. On s'émerveillerait à moins.
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Ta main qui me caresse selon le fil, fait, de ma peau, une paupière close sous laquelle je vois ma vie migrer en surface. Avant toi, je n'étais qu'une forme ébauchée en quête de ses contours définitifs. (Et que de femmes ne seront jamais que cela ! ) Je suis, sous ta main, la statue qui, du dedans, se verrait modeler, polir – et toujours mieux donner sur le jour.
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Par toi, il n'est de partie de mon corps qui ne pressente sa destination, sa nécessité.
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Le profil de mes seins est offrande contenue. À ta seule bouche réservée. Tant pis pour les passants qui s'y méprennent et que dépite leur faculté d'esquive. (Ils font, de leurs regards, ainsi que de l'eau de la douche !)
Ils sont exactement conformés pour que s'y apposent tes deux paumes. Qu'ils te soient le galet qui point de persuasion la main que s'en saisit.
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Une proue dédoublée, mes seins ? Mais l'étrave qui me divise en deux longues lèvres écarlates !...
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À les empaumer, tu fais de mes deux seins des bulbes près de germer.
À moi, me vient alors l'image de la gorge des pigeons qui roucoulent au bord du toit.
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C'est ta main qui m'apprit comme est long le chemin de ma nuque à mes reins, et combien il croise de sentiers de traverse.
Déliée comme fougère grand-aigle, comme elle sait échancrer mon flanc !... Le rendre fluide… Et m'éparpiller dans la soie, le velours pourpre.
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Ce mot qui m'est venu, à voir une main d'homme sur un genou de femme assise : la conformité.
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Une femme rompue, fissurée, saurait gré à tes mains : c'est un tel miracle d'en rencontrer, chez l'homme, qui sachent vous restaurer, vous jointoyer, et vous polir de caresses chatoyantes !
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Je voudrais, de mes mains, explorer ton corps d'homme en aveugle-née.. Toi, bien sûr, tu sais comment c'est conformé, une femme, si j'en crois la minutieuse mémoire que ma peau a de ta main.
Mais découvrir chez l'homme – s'ils existent ! – les défauts de la cuirasse…
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Te caresser me ferme les yeux : tu m'éblouis par mes mains à peine te touchant.
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