VI
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Cette plage m'est familière. Tel pointillé, parmi ces alvéoles de pas, pourrait être mien. Mais c'est à l'aube, quand la marée nocturne a fait, du sable, une page sans macule humaine, qu'il faut la contempler.
Au plus loin, indécise, « improbable », une ligne de montagnes nous rappelle que nous sommes habitants de la Terre, depuis le Partage primordial. Que ceux qui vivent de la mer ont une attache terrestre où ils retrouvent fixité, stabilité, après des jours de fluctuations et de vicissitudes.
Car l'Océan est la mobilité même : pas un grain de sable qui n'illustre sa propension à réduire en poussière la roche la plus rétive.
Le vent, les eaux courantes et le temps sont ses alliés, mais je suis tenté de le créditer seul de la transformation d'une côte rocheuse en l'aire plane qui s'étend au pied du reste de la falaise.Ce qui est changer l'hirsute en suave étendue, la rudesse en souple et ferme douceur, la réticence, la ténacité, en matière conciliante.
On peut préférer les côtes accores de Méditerranée au pied desquelles une mer languide oscille, balance, entre deux emportements de bête captive; où nulle transition n'est ménagée entre le fluide et l'inébranlable. Je sais gré à l'océan de se donner de grandes marges où pactiser avec la Terre ; où lui faire apparemment soumission; ses vagues amincies en théories de tributaires, image de hordes de barbares civilisés par leur conquête.
D'une plage s'élève, pour qui sait l'entendre, une nef de rumeur faite de tout le chuintement qui continue d'enrober chaque grain de sable. Le plus petit d'entre eux qui s'évanouirait dans notre paume, se nimbant du plus vaste murmure.
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Le rebord des terres et ses reliefs sont corps étrangers au bas de la voûte céleste ; ils brisent l'élan de l'horizon marin. La plage, elle, semble le dépôt de décantation de l'espace - qui s'en agrandit. Elle procède de cette horizontale intangible qui divise ciel et onde; elle en est l'avatar, aussi le flot y a-t-il sa couche et s'y étire-t-il avec des expirations d'aise.
La patience a maintes figures. En une plage s'amoncelle des millénaires de patience : celle du polisseur, du préposé au chamoisage, lesquels ne se tenant jamais pour satisfaits, reviennent encore et encore parfaire la tâche.
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S'offrent au marcheur sentiers, allées, et voies de toute sorte. Voici, avec la plage au reflux quand, rectiligne, elle se perd en un banc de brouillards, la pure esplanade où s'engager, pieds nus, sur le liseré de cendre – celle du grand brasier froid ? – que le flot a damé, au plus bas ; ce qui est, au propre, marcher sur du velours.
Nos pas scandés par la retombée de la vague proche, aiguillonnés par le large en migration, c'est griserie que d'aller, dans la vivacité des airs, les mates acclamations des flots, sur un socle qui boit à mesure notre fatigue; étourdi, comme sur une cime, d'immensités conjointes, infime mais faisant prévaloir sensation et conscience au sein des éléments.
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Cliché Ph. Giraudin