* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
*

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
*
L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

*
L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

*
CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


mardi

1er avril 2015 L'ARBRE EN SES SAISONS Le printemps (1)

l'arbre en ses saisons
*
le printemps (1)
*

*
*
    De quelle saison ne pourrait-on dire qu'elle ressortit à un vaste, un insensible dérangement, pour ne pas parler de bouleversements, de chambardement ?
    Mais, entre toutes, le printemps a de quoi surprendre et réjouir : nous n'avions, depuis des mois, que le gris, le bistre, pour animer notre âme. La terre, arable ou non, ne se laissait oublier. Et voici que l'on déploie sous nos yeux, nos pas, une invitation à la vigueur, à la vivacité.
    Le vert ! Oublié, parce que terni, rissolé, il n'étanchait plus une soif qui, au demeurant, ne nous tourmentait guère. Oublié, mais qui reparaît à neuf comme ravivé d'une ondée. Omniprésent, il fait bientôt valoir une girandole de couleurs fixes ou mouvantes. Le rose, le blanc, prennent leur essor avec les flamants et les cigognes. Plus noirs sont les taureaux de Camargue de voisiner les chevaux blancs. De jour en jour, la nature est palette d'Impressionniste qui ne cesserait de s'enrichir.
    La Création pourrait être monochrome. Infinis sont les coloris dont elle nous égaie ; chaque fleur rivalisant, dans sa propre famille, en nuances, en ciselures, et suprême prodigalité, épanchant son orfèvrerie, sa coloration, en odeurs qui nous sont baumes polliniques.
    On comprend donc que l'homme ait célébré, par une débauche de ses lumières, l'inversion du sablier qui règle le temps de nuit et celui du jour ; qu'il ait vu, dans la printemps, la promesse d'une aise croissante dans son regard, sa respiration, la circulation de son sang, de ses humeurs.
 *
    L'été eut ses poètes ; les Romantiques firent de l'automne un usage intempérant ; l'hiver même eut ses chantres qui voyaient en lui « la saison de l'art serein », propice à la contention, au repli sur soi. Mais le printemps !
    Ce ne sont pas seulement les fontaines, les sèves, que les beaux jours délivrent, mais le Souffle, émané de la Création, qu'inspirent les versificateurs.
    De là, que cette saison nous aura valu tant de « chromos » rimés – du « gentil » Rémi Belleau à Anna de Noailles, sans oublier Théophile Gautier ; tant de bimbeloteries relevant du seul pittoresque.
    Pour peu qu'un poète s'avise que la rose ne dure « que du matin jusques au soir » ; que la beauté des femmes est comme elle, éphémère, et le parallèle va se trouver appelé à une longue prospérité.
    Certains détestent le printemps et vous trouveront maintes raisons pour justifier leur aversion. Pour nous en tenir au seul plan littéraire, cette saison implique de telles forces telluriques ; leur champ d'action est si ample et divers, si prodigieux en puissance et en délicatesse, que la poésie qui en procède ne peut que trahir par défaut la surrection des formes, le séisme des couleurs, des sensations, le tumulte des vivats muets, auxquels nous assistons.
*
 *
*
textes
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie
Et s'est vêtu de broderie
De soleil luisant, clair et beau.
                           Charles d'Orléans (1394-1465)
*
Avril l'honneur et des bois
Et des mois :
Avril la douce espérance
Des fruits qui sous le coton
Du bouton
Nourrissent la jeune enfance ;
Avril l'honneur de prés verts
Jaunes, pers,
Qui d'une humeur bigarrée
Émaillent de mille fleurs
De couleurs
Leur parure diaprée ;
[…]
C'est à ton heureux retour
Que l'amour
Soufflé à doucettes haleines
Un feu croupi et couvert
Que l'hiver
Recelait dedans nos veines.
            Rémi Belleau La Bergerie (1565)
*
C'est donc, Amour, par toi que les bois reverdissent,
C'est par toi que les blés des campagnes jaunissent,
C'est par toi que les prés se bigarrent de fleurs ;
Par toi le doux Printemps, suivi de la Jeunesse,
De Flore et de Zéphire, étale sa richesse
Peinte diversement de cent mille couleurs.
[…]
             Philippe Desportes (1546-1606) Diane, Chant d'amour
*
Premier sourire du printemps
Tandis qu'à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit malgré les averses
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle les boutons d'or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer de frimas l'amandier.
La nature au lit se repose :
Lui, descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neige
Et les violettes au bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : « Printemps, tu peux venir ! »
                      Théophile Gautier (1811-1872) Émaux et camées
*
« Écoute.. N'attends plus... La renaissante année
À tout mon sang prédit de secrets mouvements :
Le gel cède à regret ses derniers diamants….
Demain, sur un soupir des Bontés constellées
Le printemps vient briser les fontaines scellées :
L'étonnant printemps rit, viole… On ne sait d'où
Venu ? Mais la candeur ruisselle à mots si doux
Qu'une tendresse prend la terre à ses entrailles…
Les arbres regonflés et recouverts d'écailles
Chargés de tant de bras et de trop d'horizons,
Meuvent sur le soleil leurs tonnantes toisons,
Montent dans l'air amer avec toutes leurs ailes
De feuilles par milliers qu'ils se sentent nouvelles…
N'entends-tu pas frémir ces noms aériens,
ô sourde !... Et dans l'espace accablé de liens,
Vibrant de bois vivace infléchi par la cime,
Pour et contre les dieux ramer l'arbre unanime,
La flottante forêt de qui les rudes troncs,
Portant pieusement à leurs fantasques fronts
Aux déchirants départs des archipels superbes,
Un fleuve tendre, ô Mort, et caché sous les herbes ? »
                      Paul Valéry, La jeune Parque







dimanche

15 mars 15 L'ARBRE EN SES SAISONS L'Hiver

HIVER 
*

*


*
   Le bas de la coupole céleste se serait-il crevassé ? Nullement. L'effeuillaison achevée, l'arbre nous montre son épure. Il était masse d'ombre, verte le plus souvent ; le vent s'y enchevêtrait : il ne lui oppose plus de résistance.
   Son feuillage lui tenait lieu de chair. Voici, récuré, son squelette où se révèle, par ses diversions, repentirs, nodosités, quelles difficultés on eut le plus souvent à grandir. Si la mise à nu du hêtre met en valeur ce que sa membrure a de délié, de féminin, celle du chêne rend le ciel grimaçant. Elle dit une croissance à tâtons, en quête de. D'espace, de lumière ; le mot d'ordre implicite étant de s'éployer en éventail sur toute face.
µ
   Le bois. À cela, l'arbre est réduit, qui seul importe à la plupart.
– Est-il bon à abattre ? Pour quel usage, la matière ligneuse étant si diverse, se prêtant à mille destination ? Car l'hiver nous rappelle que l'arbre est d'abord bois – à fendre, trancher, débiter, distiller … À brûler, et nous lui devons alors, en voie d'extinction, cette modalité de « l'or du temps » quand, au cœur de la nuit, la pivoine d'un feu dans l'âtre induit un climat de songerie intemporelle (sont-ce les flammes des Caravagesques ?), de poignante tendresse, dans « la fraîcheur du feu » pour reprendre l'image d'Éluard …
   Feuillu, on le voyait fuser du sol et donner tous les signes de la prodigalité dispensée à la ronde. Nul tourment apparent, mais la sérénité de qui sait pouvoir subvenir à ses besoins. Une image trompeuse que l'hiver infirme. Comment ne pas voir en ces bras convulsés, en ces longs doigts effilés tendus vers le ciel, implorations, supplications, ainsi qu'en pays de famine ? À moins qu'on n'y voie l'équivalent aérien du système racinaire ; et, par les contorsions des moindres brindilles, de supputer la puissance d'aspiration de l'arbre.
   À moins, encore, qu'on voie là, dressée, l'aire de réception d'un fleuve nourri et bref se jetant dans la terre. Plus justement, l'image d'un ruissellement fossile qui ferait, avec les racines, l'une de ces figures de carte à jouer qui se lisent dans les deux sens.
   Il n'importe. Ce qui fut, sur une patte héronnière, un feuillage profus, effervescent, une éponge gorgée d'ombre, n'est plus qu'une membrure lisible en ses infimes ramifications ; que perchoir à corbeaux qui la chargent de nuit. 
µ
   L'arbre pouvait tenter le coloriste, le poète ; il ne peut retenir que le gaveur. Il appartenait au monde vivant. Coi, plus immobile que jamais, on le rattacherait plutôt au règne minéral, et plus précisément aux empreintes laissées par les végétaux dans les terrains houillers.
*
   Devant un feuillage, une sensation de masse souple, pénétrable, nous gagne, et quelle fraîcheur on éprouverait à enfoncer les avant-bras dans cette eau verdie, suspendue ! L'arbre, en son dénuement, n'est plus que raideur et dureté, et comme réduit aux deux dimensions d'une gravure. Qui s'y hasarderait, serait bientôt agrippé, écorché, captif de rêts rigides – ou de fourches gigognes ! Nul enfant ne s'y percherait pour contempler les horizons ou échapper aux regards d'une mère inquiète criant : – « Où sont les enfants ? »
*
   Le ciel pâli noircît ce nœud de serpents, fines langues dardées, dont il nous donne une radioscopie. De cette étrange cardeuse à nuages, griffue, mais qui ne retient le moindre filament, comme elle ne fragmente plus l'averse en perles, en larmes.

*

*

*

 *
   Mort, cet arbre que nous avons connu si vigoureux ?
   Il reste d'interroger le botaniste, en oubliant la boutade de Gide dans Paludes : «  Quand on a posé une question à un philosophe et qu'il y a répondu, on ne comprend plus du tout ce qu'on lui avait demandé. »
   Mais rien d'inintelligible dans les explications de l'homme de sciences – qui, lui, ne se nourrit de concepts, mais d'observations ; et notre vocabulaire aura chance de s'enrichir de beaux mots.
   L'arbre n'est ni en sommeil, ni en hibernation, mais en dormance, une vie ralentie qui implique de subtiles et multiples métamorphoses pour à le protéger du froid, et rendre possible sa régénérescence.
   Les feuilles tombent quand leur abscission est prête : elles ne résisteraient pas au gel. Si certaines, bien que desséchées, vidées de leur substance qui a migré vers… l'ossature, demeurent en place les mois d'hiver, elles se détacheront des rameux par marcescence, ainsi que chez le chêne pubescent.
*
   J'écoute, sentant bien qu'il faut être familier du microscope pour se représenter les multiples réactions qui vont affecter les molécules organiques de réserve, aux fins d'abaisser, dans les vaisseaux, le point de congélation, cependant que s'épaississent les tissus de protection, telles les écailles des bourgeons.
 *
   J'écoute, une question aux lèvres :
– Mais quel signe détermine l'arbre à faire… la part du feu pour laisser le moins de prise à l'ennemi ; à se retrancher dans une manière de donjon ; en bref, à vivre sur un mode défensif ?
   Question qui rejoint celle-ci : – Quel signe ont perçu les oiseaux, les poissons qui se rassemblent, regard tourné vers une même direction, où se tiendrait un pôle d'attraction dont le magnétisme l'emporterait désormais sur toute motivation ?
   La réponse m'agrée : L'arbre est un grand vivant dont la croissance implique sensitivité, réactivité. Sous sa cuirasse d'écorce, en ses ténèbres, des molécules analogues à nos hormones, le renseignent sur les modulations du jour, de la nuit, de la bénignité de l'air ou de sa rigueur, et elles donnent des inflexions en conséquence. À ces perceptions, s'ajoute l'inexpliqué : pourquoi certains semis effectués en « lune montante » produisent-ils plus que faits en « lune descendante » ?
   Ne faut-il pas toujours en revenir au propos d'Hamlet : – « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horacio, que dans toute ta philosophie » ?
 *
   Savons-nous assez à quel point chaque saison de l'arbre dépend de la précédente et prépare la suivante ? Combien l'hiver même est, dans son apparente inertie, un temps d'élaboration ? Partant, quelle révérence il appelle de notre part.
   Mais qui, de nos jours, où d'immenses territoires forestiers disparaissent, arasés, partage l'indignation d'un Ronsard « contre les bûcherons de la forêt de Gastine ? » Qui a la peau déchirée par le grommellement d'une tronçonneuse ? 

1er mars 2015 SEXES ET GENRE (3)


IV
*
*
    Mes vaticinations feraient sourire, de condescendance, un embryologiste. Je ne les hasarde qu'en homme affirmé, désireux de comprendre qu'on puisse être irrésolu quant à son sexe, avec le sentiment d'une dissension entre l'apparence et le moi intime, sa sensibilité, ses aspirations ; condamné que l'on est à vivre en porte-à-faux parmi les humains, en être à qui la nature aurait joué un mauvais tour, lui attribuant un rôle à contre-emploi. Et n'y a-t-il pas lieu d'avoir mauvaise conscience, à se savoir autre que ce que l'on paraît ? N'y a-t-il pas là une modalité de l'usurpation d'identité ?
L'homme de science, qui supporte mal les approximations, m'interrompt.
    – « Disons que si, dès la conception, l'orientation sexuelle à venir est sous la dépendance des chromosomes (l'un d'eux étant différent pour la fille et le garçon), au tout début de la vie, le nouvel organisme est indifférencié. Les ébauches sont… neutres, plus exactement aptes à évoluer dans un sens ou dans l'autre. Puis viendra le temps de la différenciation. Les ébauches se développant, le plus souvent de façon nette, en réponse au sexe chromosomique et donnant des nouveaux-nés, puis des individus à l'évidence féminins ou masculins.
    Le plus souvent. Hormis les occurrences où l'indécision persiste, au moins partiellement, sous une forme plus ou moins masquée. Cause, pour l'individu, de malaise, de tourment : sa conduite, ses attachements déconcertent ; ils lui attirent mépris, exclusion, et parfois pire, comme si ses moeurs, ses amours, résultaient d'un libre choix. »     
                                    
    Nous devons aux gènes de nos ascendants. Dont à celle en qui, trois saisons durant, nous avons puisé, à même son souffle, son sang. J'ai la faiblesse de penser qu'une femme baguée de chair, chaque jour plus réjouie d'être femme, amoureuse d'un homme plein de révérence pour une compagne au ventre traversé de sursauts, ne donnera naissance à un enfant – fille ou garçon – qui sera en mal d'identité sexuelle.
    Alors que je vois, en revanche, tant de motifs pour que les réticences, les restrictions mentales d'une femme consciente du sort qui attend l'enfant, n'influencent ce qu'elle mettra au monde et ne brouillent le choix qu'eût fait la nature.
     Pensée qui me vient pour avoir entendu une femme d'âge, mère, et non des plus infortunées, me dire, comme je l'interrogeais sur la condition féminine : – « Je dirais d'abord que c'est bien compliqué… »
    Si « compliqué », que des légions de femmes ont vécu, vivent encore leur sort comme un châtiment indéfini ; une malédiction – et l'iniquité absolue ; quand si peu d'hommes de sens se feraient femme s'ils le pouvaient, devant la multiplicité, la lourdeur et la complexité des situations auxquelles le « deuxième sexe » doit faire face.
    Elle est, déclare l'homme, « la promesse qui ne sera pas tenue. » Pourquoi celle-ci le serait-elle ? La femme ne nous a rien promis. C'est notre fatuité qui nous abuse sur elle, en être à qui tout est dû ; si bien que, très tôt, la masse, la nasse de nos attentes, implicites ou non, l'entrave comme un réseau de lianes, avec lesquelles il lui faudra compter dans sa tentative d'être soi.
    Comment s'étonner qu'une femme dégrisée – ce qui est pléonasme – ne soliloque en ses termes, au début de sa grossesse :
     – « Donner le jour à une fille ? Pour qu'elle connaisse une « difficulté d'être » semblable à la mienne, ou plus profonde ? On dirait que, pour l'homme, la voie à suivre, les bifurcations qu'elle aura, procèdent de son libre-arbitre, et que beaucoup pourraient reprendre le "Je suis une force qui va."
    « Il ne se sait attendu par personne que lui-même, s'il a quelque fierté. Mais nous !... Enfants, nous nous devons d'être jolies, gracieuses, et de charmer les regards. Et qui dira que le regard qui se pose sur nous n'est pas plus exigeant que sur un garçon ? Que l'on ne nous conditionne pas à la soumission ? À être des exécutantes, dociles de surcroît ?
    « Jeunes filles, jeunes femmes, un labyrinthe nous attend. " Mille chemins ouverts" ? Nous n'avons pas cette aptitude qu'a l'homme de tenir tête à notre cœur ; de dissocier chair et sentiments ; de raison garder dans l'amour ; de faire la part du feu sans désespoir extrême.
    « Sa force, son autorité, sa position, peuvent bien faire illusion, en imposer. Nous savons, nous, que le roi est nu ; qu'il n'est même qu'un enfant tyrannique, mais démuni, perdu, dès que sa mère ne l'assiste.
    « Femme, nous n'avons de pires ennemis… de l'intérieur, que notre cœur, notre corps : ils nous aveuglent jusqu'à nous livrer aux mains d'un tortionnaire, d'un meurtrier. C'est l'exception ? Plus couramment, d'un oppresseur inconscient, et je revois cette amie que son mari avait rendue telle ces plantes qui s'étiolent sous un grand arbre, et qui, veuve, redevint pimpante, presque jolie.
    « Notre ventre, surtout, se fait le complice de nos malheurs, quand il nous fait pactiser avec l'homme, avec celui qui, seul, peut mettre fin à son dénuement ; à ce besoin qui le tenaille d'abriter un être, de se distendre pour le sentir croître, bouger – et quelle volupté, diffuse, indéfinie, que cette vie qui se nourrit de vous !
    « Faut-il vraiment souhaiter mettre au monde une fille, sachant sa condition d'asservie et d'abord à son corps ? Que, jeune fille, elle sera votre rivale – et ce spectacle, que je vis un jour dans la rue, d'un couple glorieux fait d'un père et de sa fille adolescente ; l'épouse, la mère, toute grise, marchant derrière ?
    « Souhaiter un garçon ? Son père, mieux que par une fille, se verrait perpétuer ; il formerait pour lui des projets plausibles, quand l'avenir d'une fille vous est imprévisible. Mais quel adulte serait-il ? Quelle conduite aurait-il avec "nous" ? Telle que ses pareils ? À moins qu'il ne s'attache à l'excès à moi, au point de ne trouver, dans sa vie affective, nulle autre femme digne d'être désirée, aimée ?
    « Quel coup de dés que de faire un enfant ! Pour son bonheur ? Pour son malheur, et le nôtre ? On n'en ferait aucun, à balancer comme je le fais. Quelle "chance" pour l'humanité que la plupart soient conçus dans l'irréflexion ou par inadvertance ! Mais l'on en voit les fruits... »
    La science lui apprendra bientôt de quel sexe est l'enfant qu'elle porte ; qu'elle va gorger d'elle-même neuf mois durant, et plus si elle l'allaite. Que rien ne passe en le fœtus, dans cette longue symbiose, des réticences de la mère, il se peut.
    Mais je tiens pour concevable, l'embryologiste me donnerait-il tort, que la pensée constante, inquiète, de la perspective des aléas inhérents à la condition féminine, de la somme des vertus qu'elle implique, des aubaines qu'elle requiert pour se sentir femme accomplie, puisse infléchir le libre jeu des chromosomes.

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