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Mais oui, et la mer nous montre qu'elle peut être première main dans une maison de couture, experte à ourler une tunique d'un volant de vigogne.
La laine est, dans l'instant, cardée, peignée sous nos yeux. Tissée sur un métier de basse lice, ou peut-être à rouleaux ; transformée en guipure à circonvolutions, voile de mariée, tapis de haute laine.
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Quel étrange organisme, que l'océan ! On le voit, sur ses confins, manier – de quelle poigne ! – la bêche qui fait de si beaux luisants en glaise verte, bleue ; la dame du paveur, la taloche du plâtrier.
Et, le jour d'après, engager des doigts de dentellière en des volutes vaporeuses, foisonnantes de dentelures et de bouclettes. On le voit alterner la rudesse, la brutalité du rustre, et la délicatesse, la dextérité des brodeuses d'Alençon, de Valenciennes ou de Venise.
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La candeur n'est plus feinte. S'y introduire, s'en éclabousser, serait plaisir de dieu ; l'humain, baigné d'une eau lustrale, d'un coup absous, sans mémoire ni passé, tout à la séduction de l'instant, à la puissance de la douceur, au corps-à-corps avec un adversaire traitable, plein d'onction, qui vous revêt de fourrures et vous mêle à ses culbutes, à ses bourrades de jeunes oursons du cercle polaire.
Comment, devant une mer débonnaire qui vous laissera, intacts, votre amour-propre, votre présomption, ne pas oublier celle qui vous humiliait de sa grossièreté sans réplique ?
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Comme toujours, en ce nouveau matin, la mer, inépuisable pourvoyeuse d'images, fait se presser en nous, figures et représentations. Ce tas de cristal bulleux qui vient de jaillir sur la frange littorale, serait-ce pas, bouillonnante, une source vauclusienne se débondant au pied de la falaise ? La brusque floraison d'un cerisier qui ne serait que pétales ? Une roche calcaire taraudée par des pholades ? Une formation corallienne ? Le dos d'une gigantesque grue de Numidie ébouriffant ses plumes ?
L'eau. Ceci va, dans l'instant, s'effondrer et raviver, de soubresauts, la nappe d'écume du premier plan. Mais quelle mutation de l'eau massive, compacte, de l'Élément, en eau alvéolée, sans consistance, qui donne forme, en un sursaut, à l'effervescence du vide.
Sans interstice est la masse des eaux marines, et le sel semble leur donner un surcroît de cohésion, partant, d'hostilité envers l'homme ; leur tintement abusant un palais d'assoiffé. L'austérité leur sied, et leur sourire, qui se démaille au soleil, n'est que de façade.
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Pourtant, ce buissonnement d'aigrettes est bouffée d'allégresse ; promesse, pour un enfant, d'un danger pour rire, qui le laissera sauf, victorieux – et ravi, dans un air dilaté, accru de ce qui vient de lui être insufflé par l'effondrement d'un monceau d'ombre bleue à pointes de gypse.
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Images Ph. Giraudin