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XVIII
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Il y a les temps où les forces qui meuvent les eaux leur laissent aligner des vagues parallèles au rivage, au dos qui luit sous l'étrille, et qui sont, dans leurs évolutions, la ponctualité même.
Chose ordonnée, attendue, notre attente jamais déçue, quitte à engendrer en nous un sentiment d'uniformité ; de servilité aussi, cette discipline jurant avec notre image d'un océan aux foucades indéfinies.
Il y a des jours de presse, où les avant-postes n'ont le loisir de se disposer en formations régulières ; où l'entrechoquement est de règle ; et l'espace et le temps en sont bousculés. Notre respiration mentale, qui se conforme si aisément à une ponctuation réglée, au tempo que notre oreille perçoit, se trouve désaccordée par le souffle entrecoupé, haletant, des flots.
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Les échines successives des vagues, leurs roulades, nous valaient, en nuage, en tapis, une profusion de neige poudreuse.
À présent, l'heure est au plâtre, en hâte gâché, jeté sur des parois mouvantes qui en font des lambeaux de glacier striés de séracs.
Nous voici en altitude, où la rugosité prévaut, où l'agressivité latente érafle le regard. Un fort vent y souffle, qui durcit la neige en masse rocheuse toute d'aspérités.
La mer, à l'arrière-plan, est prairie d'herbe bleue, une prairie d'alpage sur quelque épaulement. Il faudrait, pour la gagner, affronter un désordre de plâtras en perpétuelle translation, et progresser dans un tumulte d'affairements, aveuglé d'un sourd tohu-bohu.
Demain sera peut-être moins hargneux et dissuasif.
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Mais oui, et la mer nous montre qu'elle peut être première main dans une maison de couture, experte à ourler une tunique d'un volant de vigogne.
La laine est, dans l'instant, cardée, peignée sous nos yeux. Tissée sur un métier de basse lice, ou peut-être à rouleaux ; transformée en guipure à circonvolutions, voile de mariée, tapis de haute laine.
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Quel étrange organisme, que l'océan ! On le voit, sur ses confins, manier – de quelle poigne ! – la bêche qui fait de si beaux luisants en glaise verte, bleue ; la dame du paveur, la taloche du plâtrier.
Et, le jour d'après, engager des doigts de dentellière en des volutes vaporeuses, foisonnantes de dentelures et de bouclettes. On le voit alterner la rudesse, la brutalité du rustre, et la délicatesse, la dextérité des brodeuses d'Alençon, de Valenciennes ou de Venise.
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La candeur n'est plus feinte. S'y introduire, s'en éclabousser, serait plaisir de dieu ; l'humain, baigné d'une eau lustrale, d'un coup absous, sans mémoire ni passé, tout à la séduction de l'instant, à la puissance de la douceur, au corps-à-corps avec un adversaire traitable, plein d'onction, qui vous revêt de fourrures et vous mêle à ses culbutes, à ses bourrades de jeunes oursons du cercle polaire.
Comment, devant une mer débonnaire qui vous laissera, intacts, votre amour-propre, votre présomption, ne pas oublier celle qui vous humiliait de sa grossièreté sans réplique ?
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Images Ph. Giraudin