LA FEMME selon JULES MICHELET*
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I
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Privé par Napoléon III de tout enseignement, dont son cours au Collège de France, démis de ses fonctions de chef de la section historique des Archives nationales, le grand historien Jules Michelet se retire à la campagne et publie des monographies consacrées aux forces de la vie et du monde, aux phénomènes de la nature. (L'Oiseau, L'Insecte, La Mer, La Montagne) et pourquoi non ? La Femme (1860), La Sorcière.
Je n'abordai pas sans prévention La Femme, honnie des féministes - même si Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir en reprend des thèmes -, livre modèle à leurs yeux de ces ouvrages d'homme qui déifient la femme en la maintenant dans son statut traditionnel de serve, sans parler de La Sorcière, préfiguration de la femme-magicienne, pourtant chère aux Surréalistes.
Mais tant d'années se sont écoulées ; le sort de la femme a tant évolué en maints pays, que cet ouvrage de Michelet ne pouvait être que désuet.
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De fait, l'auteur procède trop souvent par assertions péremptoires dont certaines ne craignent pas le ridicule : « On reconnaît la femme seule au premier coup d'œil » ; « En France, on épouse une femme. On la prend de faible appétit, de taille mesquine et petite, dans l'idée qu'elle mangera moins. [historique.] » ; ou bien : « il faudrait laisser à chacune [des candidates] le choix du jour de l'examen. Pour plusieurs, l'épreuve est terrible et, sans cette précaution, peut les mettre en danger de mort. » Le vocabulaire tend en outre vers le religieux, le mystique : « La femme est un autel, la chose pure, la chose sainte, où l'homme, ébranlé par la vie, peut trouver la foi, retrouver sa propre conscience conservée plus pure qu'en lui »
On conçoit l'irritation des féministes devant d'autres affirmations encore : « Elle doit aimer et enfanter, c'est là son devoir sacré. » ; « Être mère, c'est le meilleur de l'amour ». Et d'invoquer, pour caution de ses propos, un éminent homme de sciences ; un ami, son expérience personnelle, une scène qu'il a vue… Sans parler du parallèle entre la physionomie du cerveau et la figure d'un individu, qui ferait sourire un anatomiste.
Ce livre se voulant aussi un manuel d'éducation sexuelle d'une fille par son père, on se dit : - « Du diable si, devant tant de circonvolutions, d'images en une langue vague, éthérée, la pré-adolescente peut se faire une idée de la menstruation ! Voilà un livre qui pourrait être lu en un réfectoire de couventines sans troubler quiconque. »
Texte d'une extrême décence, donc, sentencieux au possible, qui véhicule des idées reçues, de niaises considérations volontiers passéistes.
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Le lecteur se demande si la jeune Madame Michelet, épousée en seconde noce par l'historien, fut pour La Femme l'inspiratrice de son mari, le garant de son personnage. Dans l'affirmative, elle aurait bien dû lui dire de se défier des généralisations : « La Française est pour son mari une admirable associée en affaires, même en idées […] L'Anglaise est la solide épouse, courageuse, infatigable, qui suit partout, souffre tout […] L'Allemande ne veut rien que l'amour […] c'est toujours l'épouse humble, obéissante, passionnée pour obéir, c'est, d'un mot, le mot amoureuse. » – autant d'extensions alors que chaque femme aspirant à séduire, à être choisie, entend l'être en étant soi, avec ses armes propres, en se distinguant de ses semblables, à preuve l'ombre de dépit qu'elle éprouve à voir une autre femme porter leurs mêmes effets que les siens, et jusqu'aux colifichets. Et Mme Michelet aurait dû poursuivre :
– « A te lire, le mariage parfait impliquerait que chaque jour on se dise tout sans réserve, affaires, idées, sentiments ; qu'on ne garde plus rien pour soi jusqu'à mettre en commun son âme tout entière – où je vois, moi, une modalité de l'Enfer.
« Tu voudrais qu'une femme prêchât l'abstinence à son mari 'de la fenaison aux vendanges', car Dieu ne réclame-t-il pas, alors, l'emploi exclusif des forces de l'homme ? Au risque de susciter, chez maints lecteurs des deux sexes, un sourire affligé. »
Et l'on s'étonnera qu'un historien de profession, s'il veut passer pour digne de foi, puisse intituler, contre toute vraisemblance, l'un de ses chapitres. « La femme comme ange de paix et de civilisation. »
On ne peut que penser au mot de Gide : « C'est avec de bons sentiments qu'on fait de mauvaise littérature. »
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*Jules Michelet, LA FEMME
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*Jules Michelet, LA FEMME