II
Dénué d'intérêt La Femme de Michelet ? Le style est certes sans recherche, et le livre fervent, effusif – exclamatif, comme écrit au fil de la plume, revêt continûment le ton du pédagogue, du prédicateur (« Notez aussi que » … ; « voyons la condition de la femme ... ») du prédicateur, qui aurait un message capital à délivrer aux mécréants que nous sommes. Il est au vrai d'un historien fondé à invoquer les pays étrangers, les civilisations disparues, l'art italien ou la légende d'Isis et Osiris. Si le « plaisir du texte », les bonheurs d'expression en sont quasi absents, relevons néanmoins ceci : « Du dieu qu'on croit si loin, la vive étincelle est au seuil » ou encore « Effaçons de la langue ce mot immoral et funeste : consommation du mariage. Celui-ci est progressif, n'a sa consommation que dans l'ensemble de la vie. »
Combien de livres, réputés illisibles, nous seraient, à les lire, de quelque profit. Je ne sais si beaucoup d'hommes ont lu La Femme depuis qu'il a paru, ont consenti à progresser dans une langue volontiers allusive quoique sans ambiguïté, entre autres au chapitre intitulé : « Comment la femme dépasse l'homme. »
La femme n'est pas toujours la sainte qu'on nous dépeint. L'outrance est trop souvent de mise dans le propos de Michelet qui a voulu écrire un livre moral dans lequel ne sont évoqués non plus que dans son livre L'Amour, l'adultère ni la prostitution.
Tel quel, à ces réserves près, l'ouvrage n'en contient pas moins maintes vues qui emportent l'adhésion et nous croyons l'auteur quand il distingue la femme qui donne sa fille et dit : « Je marie ma fille » de celle qui dit : « Je marie mon fils ».
On y trouve surtout des pépites telles que : « Nulle grossesse sans son consentement exprès. À elle de savoir si elle peut accepter cette chance de mort » – à prendre au pied de la lettre en des temps où la fièvre puerpérale faisait tant de victimes.
Seconde pépite aucunement dévaluée : « Nul plaisir, sinon partagé » – et le tableau qu'on nous fait de la femme frustrée est-il sans vraisemblance ?
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Je conçois l'irritation d'une lectrice, même « lettrée » de ne pouvoir se reconnaître dans un livre dont le titre – défini, infini – appelait la totalité de l'espèce désignée ou du moins tout ce que les grands artistes avaient su mettre au jour d'une héroïne ou d'un modèle d'atelier. Car il est singulier que soit passé sous silence, ou implicitement traité, ce dont nous créditons en premier lieu la femme : avoir été, du paléolithique à nos jours, l'inspiratrice du sculpteur, du poète, du peintre ou du graveur, n'importent les âges, les techniques, les supports, comme si l'artiste, si grossier fût-il, n'en revenait pas que la nature lui offrît un tel assemblage de courbes, une telle combinaison de volumes, gorges, éminences, combes et dépressions propres à décanter nos propres formes, à nous faire des mains inspirées, des « yeux fertiles » – l'aubaine même, sans répondant, la nudité comme assomption du féminin, toute lampe soufflée, et le soleil même sur lequel passe l'envers de nos paupières. D'où notre question d'homme à l'auteur : – « Avez-vous jamais vu Madame Michelet se dévêtir « aux derniers feux du couchant », comme disent les médiocres poètes ? »
Et de poursuivre : « Serait-ce par les seules vertus ou ressources que vous faites d'elle un autel, une religion, un dieu de bonté, et autres appellations bien plus amples que la réalité – dont elle, se satisfaisait ? Je sais : vous étiez tenu par l'état des mœurs, la décence du langage ; mais, tel un Baudelaire, n'auriez-vous pu braver la pudicité des chaisières et nous camper une créature sensuelle, pesant sur terre, goûtant les nourritures terrestre et non un pur esprit confit en dévotion, en qui nulle femme ne saurait se reconnaître car si elle consent qu'on l'affuble de toutes les faiblesses et carences que les misogynes lui prêtent, qu'on la traite en niaise la blesse. »
Aussi, dans les notes du livre, manque-t-il celle qui nous eût rapporté la réaction de Madame Michelet à la lecture de l'oeuvre. L'accablement ? – « Être le dimanche de l'homme comme il dit, je le puis, mais la sainte qu'il invoque ? » À moins que, dans un accès de fureur elle ne mette à sac le bureau du mari et, parodiant Figaro, ne crie à l'époux. « Aux qualités que vous attendez de la femme, connaissez-vous beaucoup d'hommes dignes de l'être ? »