*
*
*
Il me souvient d'un album intitulé Arbres souverains qui montrait, par le monde, des arbres d'une taille, d'une longévité, exceptionnelles. Cela allait des séquoias géants d'Amérique aux arbres de nos climats au tronc si vaste, si creux, qu'on l'avait aménagé en autel, en offertoire.
Les uns siégeaient en forêt – ô chênes de Tronçais !; d'autres avoisinaient un édifice religieux – et lequel l'emportait en âge ? Les visiteurs admirant qui la circonférence du tronc ; qui la hauteur du fût ou l'éploiement de la ramure. Peu, sans doute, se représentant le système racinaire par lequel l'arbre portait haut en toutes saisons.
*
Certains arbres ont une racine pivotante. D'autres, superficielles jusqu'à bosseler le sol autour d'eux ; dès lors, pour peu que leur feuillage donne prise au vent, ne sont-ils pas à la merci d'une torsion des airs qui, les empoignant, les décollant, les jette à bas ?
L'orme, le chêne, semblent avoir, comme le « César » valéryen, « le pied sur toute chose ». Aussi, face à la bourrasque, font-ils front comme les taureaux.
– « À la poussée des airs, nous répondons par un raidissement de nos fibres qui nous fait, tout entiers, de bois. Nous n'avons que notre cramponnement pour résister au torrent aérien ; que notre obstination à demeurer, notre feuillage donnerait-il des signes de désarroi. »
C'est prêter à ces arbres notre propre raidissement en pareille circonstance. Ils ont seulement une membrure peu disposée à composer, à multiplier les révérences comme le peuplier, ou les courbettes du cyprès. Nul besoin d'un surcroît de constriction : on ne ferait pas plus lâcher prise à leurs racines qu'à une main d'avare crochée sur son or.
L'âge, l'opiniâtreté native, nous valent ces empilement d'êtres mafflus qu'eût dessiné un Jérôme Bosch pour son Enfer. De bois ? De pierre meulière ?
Mais l'arbre est bien vivant : son feuillage l'atteste. Tout ce qui n'est pas parenchyme s'est comme minéralisé, gage de pérennité.
*
*
Que la tempête ait jeté bas un platane de nos routes, un pin de nos forêts, et l'on voit jaillir du tronc et s'entre-mordre une mêlée de pythons noueux.
Il est rare de pouvoir observer le réseau des racines d'un arbre organisé, tel l'olivier, pour résister aux vents assidus que sont le mistral et l'autan, et surtout à une sécheresse endémique qui nous vaut par son fruit, l'âpreté du sel de la terre, par son bois poli, la suavité des paupières closes.
Les très vieux oliviers exhaussent leurs racines à l'image de certains arbres souverains ; mais sont-ce encore des racines, que ces nodosités convulsives, au revêtement écailleux d'iguanes ? que ces coulées de bois à l'aspect de ciment, quand le regard s'attend à rencontrer l'élan, la rectitude ?
Voici le règne de l'informe, racines et troncs contrefaits comme les éclopés de la Cour des Miracles. Un arbre semble fait pour gagner, d'un jet, la lumière ; pour puiser à satiété dans le sol eau et sels nourriciers. L'olivier rassemble les contorsions – souterraines, aériennes – que lui imposent des siècles, voire des millénaires de privations, d'affrontements internes. Ici, sont des larmes énormes, solidifiées ; là, des besaces qui pendent, à moitié vides, ou des seins flasques qui n'ont plus de lait.
Tel est, du moins, ce qu'on exhibe des racines ; mais que sont celles qu'on nous dérobe ? L'érosion les a en partie dégagées chez tel olivier de rebord – de restanque ? Racines maîtresses issues du collet de l'arbre, racines adventices, toutes, elles sont le discernement. L'avancée sans repentir des plus importantes, les fourches et méandres des secondaires, figurent la quête, à tâtons, d'une once d'humidité, d'un soupçon de sels minéraux, avec l'entêtement des bêtes fouisseuses, mues par un mystérieux tropisme.
*
Comment ne pas rapporter l'ensemble du système racinaire à un branchage – et l'inverse ? Celui-ci puise dans l'espace ; celui-là dans la terre ; mais ce sont mêmes étoilements, mêmes quêtes nourricières, pour des assimilations qui se parachèvent, le soleil maître du jeu.
Je ne verrai plus l'arbre d'hiver qu'en figure réversible de carte à jouer ; l'arbre d'été, qu'en trait d'union entre deux systèmes d'absorption. Que l'arbre en toutes saisons en (grand) être à imiter, terrien bien établi puisant en des millénaires de façons culturales ; rêveur, contemplateur, filtrant le fluide, le mouvant des autres éléments, pour s'en accroître et « vivre mieux ».
*
*
*
*
*
*