A partir de ce début janvier, sera mis en ligne, avec la périodicité habituelle (1er et 15 de chaque mois), un long texte inédit, intitulé: "CORPS FEMININ QUI TANT EST TENDRE..."*.
Subdivisé en douze chapitres, de longueurs inégales, ce texte fera l'objet de mises en lignes étalées sur 2018.
*Ce titre est l'un des vers d'un poème de François Villon: "Je plains le temps de ma jeunesse..."
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NOTE
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Même les dévots de la femme ont des accès de misogynie, tout en sachant qu'il est injuste de prêter, à l'espèce entière, les défauts qu'énumère le Perdican d'On ne badine pas avec l'amour : « … toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ». Au vrai, ceux qui reprennent les railleries, les blâmes dont nos compagnes sont communément l'objet, se revanchent de quelqu'une dont ils eurent à pâtir.
Travaillant à ma « Poétique de la femme », j'eus moi aussi le dessein de dire leur fait à nombre d'entre elles : « Non, vous n'êtes pas toutes des anges et trop, parmi vous, justifient les reproches que l'homme vous adresse – de futilité, niaiserie, vénalité, petitesse, fourberie, malignité. »
Au surplus, comment celui qui tient la femme en haute estime, pardonnerait-il à celles qui usurpent ce titre ?
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Outre que le dénigrement me sied mal, j'entends trop bien ce que les prévenues me rétorqueraient, en parodiant le mot de Figaro au Comte : « Aux qualités que vous réclamez des femmes, connaissez-vous beaucoup d'hommes dignes de l'être ? » Et de fait, il n'est sur terre pas plus de femmes que d'hommes qui soient fourbes, rapaces, cyniques ou arrivistes.
Évoquant, par esprit de justice, leurs faiblesses, leurs fautes, je crois ne m'être jamais départi d'une bienveillante indulgence proche de la complaisance, voire de la … considération, quand je voyais, en tel de leurs comportements, la revanche d'une sujette sur son oppresseur.
Mais surtout, on ne peut lire une histoire des femmes sans se sentir pénétré de honte à la pensée des forfaits et des crimes dont l'homme, imbu d'une supériorité qu'il s'arrogeait, s'est rendu coupable, au long des millénaires, envers le féminin.
L'histoire récente a dû inclure, dans sa relation, la notion de génocide. Celle-ci vaut pour le peuple des femmes, même si, diffus, il prit la forme d'un asservissement universel qui retirait autonomie et dignité à la moitié de l'humanité, et justifiait l'assassinat, s'agissant de qui était tenu pour des « sous-hommes ».
Nous manquons d'imagination ; notre pouvoir d'empathie est fugace, sélectif. Et il est si avantageux d'ignorer délibérément l'ignominie et présente, et surtout inhérente à des siècles reculés, tenus pour barbares.
Je me suis contraint à considérer longuement ce qu'il en fut du sort des femmes en des temps qui, à maints égards ont ici et là leurs prolongements. Et j'ai sinon souscrit aux propos les plus outrés des féministes, du moins compris que, femme, on pût les tenir.
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CHAPITRE I
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sur quelques rencontres
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sur quelques rencontres
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Y eut-il un temps où l'amour était tenu pour la valeur primordiale et la modalité la plus exaltante de l'existence ? Un temps où un poète pouvait écrire, sans craindre de voir son vers tourné en dérision : « Rien ne vaut le malheur d'aimer » ?
À présent que l'amour n'a plus de chantres et peu, dirait-on, de servants ; qu'il ne confère plus, à nos romanciers, la survie que vous octroie une Emma Bovary ou une Lolita ; qu'il peine à se distinguer de l'érotisme, l'amour renâcle à s'incarner durablement. Par nature capricieux, capricant, nos mœurs – quand il ose encore s'avouer – l'ont rendu volatil à l'extrême.
Je vois bien pourquoi il a toujours tôt déserté la plupart des hommes : il ne trouvait pas en eux les soucis, les égards qu'il réclame ; les… suspens, tête inclinée, où il se considère, et se complaît. Mais j'ai croisé quelques femmes chez lesquelles il n'aurait pas davantage trouvé ses aises.
Je ne songe pas à renouveler la galerie de portraits qu'un Francis Jammes esquisse dans Trente-six Femmes avec une cruauté pateline ; et moins encore à rivaliser avec François Couperin traçant, pour le clavecin, la silhouette crépitante de La Superbe, de L'Étincelante, de La Voluptueuse ou de L'Évaporée, mais à évoquer quelques rencontres où, à l'écoute de mon interlocutrice, je pesais ses chances d'être longuement aimée.
Sans me dissimuler que nous avons, au masculin, l'équivalent de telles figures.
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La brièveté de la vie désespère et paralyse certains êtres, tant la tâche qui leur tient à cœur appellerait une durée quasi indéfinie. D'autres, que l'ennui habite à demeure, semblent toujours se demander : – « Comment venir à bout du temps ? »
L'homme sait fort bien se montrer futile ; pourtant, à ses yeux, la frivolité est de la femme. – « Sans doute se sent-t-elle le devoir de plaire, mais y faut-il des heures, ainsi qu'on le voit chez les oisives ? Ne saurait-elle être seyante et fraîche, sans d'interminables stations devant la glace, dans un désordre de pots, brosses, pinceaux, tubes et flacons ? Une fois coiffée, est-il capital que pas une mèche ne reprenne son autonomie, qu'on rajustera encore et encore, d'un bout de doigt ? Le temps passé à combiner, assortir avec raffinement maquillage, robe, accessoires et parfum, ne devrait-il pas être perçu comme un temps dilapidé, qu'on devrait vivre tout autrement ? »
Un pareil étonnement est de qui sait avec consternation son temps compté, quand l'être frivole le croit inépuisable et se conduit en conséquence. Nous vivons tenaillés par la fuite des jours, obnubilés par l'échéance ultime ? D'autres, à la façon des enfants, dissipent le temps en des riens où ils s'appliquent avec un sérieux extrême ; où ils s'engagent entiers. Non, il n'est pas du tout insupportable à certaines de passer des heures chez le couturier ou la manucure, des heures à inventorier des étalages en quête d'un colifichet.
Et sans doute les êtres frivoles sont-ils les plus avisés, puisqu'une même fin attend ceux qui, par l'action, tentèrent de faire pièce au « sentiment tragique de la vie », et ceux qui n'auront cessé d'aller à la rencontre du futile – hommes occupés de jeu ou assoiffés d'honneurs, femmes toutes en dehors.
Qu'il est significatif, le dépit de certaines femmes estimables, à découvrir leur robe ou leur manteau porté par une autre... La singularité de leur moi leur paraît donc de si peu de poids ? Serait-ce à leur apparence qu'elles demanderaient, pour l'essentiel, de témoigner en leur faveur ?
Les faits leur donnent raison. Si des hommes aspirent à rencontrer une compagne adulte et souffrent de voir qu'on puisse, femme, se répandre en vains propos et dépenser pour l'insignifiant, combien parmi eux, et parfois de grand sens, font route, leur vie durant, avec une enfant attardée dont ils craignent qu'elle n'ouvre la bouche en société !...
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Si, encore, on était frivole avec entrain, avec rage... Et nous connaissons de ces êtres puérils qu'il est un moment plaisant de regarder vivre. Tandis que cette jeune fille que j'observe, que j'écoute...
On a soif d'autonomie. La tutelle ombrageuse du père se fait par trop pesante et l'on songe à quitter la maison. Non sans appréhension, accoutumée que l'on fut à trouver ses repas, son linge prêts. Mais avec un peu de chance…
Quand vous me dites, évoquant l'amour dont vous rêvez : « J'ai tant à donner... », je crains que vous n'entreteniez sur vous de grandes illusions, tant l'élan, la générosité, semblent vous faire défaut. Les grandes amoureuses ne sont pas de votre étoffe : on les sent disposées à se jeter à pieds joints dans la vie, le feu. Avant même de concentrer sur un être l'essentiel de leur sollicitude, de leur aménité, de leur ferveur, elles débordent de ces vertus, quand vous ne vous montrez jamais préoccupée que de vous.
Vous avez beaucoup à donner ? Pas même votre corps, à l'évidence languide, qui demain accueillera passivement l'Autre. Vous ne savez pas, bien sûr, qu'au physique, il n'est pas trop de quatre mains pour entretenir l'amour. Aussi rejoindrez-vous la cohorte des femmes qui, se laissant aimer, se prêtent juste ce qu'il faut pour retenir l'homme.
Un cœur qui bat à votre seul usage, un corps en léthargie... Reste l'esprit. Mais qu'on vous parle de livres, de musique, de théâtre ou de peinture, un « Je n'ai pas envie » définitif décourage toute suggestion. Et quand on vous demande ce qui vous anime ou vous émeut, on ne tire de vous que monosyllabes embarrassées. Aux plus graves questions, vous répondez en trois mots qui laissent l'interlocuteur déconcerté, appauvri surtout. On se dit : « Comment, par quoi la toucher ? Quel paysage, quel spectacle lui arracherait un cri ? » et l'on finit par renoncer devant une telle cohérence, puisque vous alliez, en un corps dans les limbes, pauvreté du cœur et désert de l'esprit.
J'ai conscience que vous avez un fin visage et de beaux yeux. Et peut-être pensez-vous que cela tient lieu de tout. Ce n'est pas un faux calcul : quels manques ne rachèteraient... pour un temps, un dehors séduisant ? Un temps de plus en plus bref, néanmoins, tant l'usure du couple devient rapide ; tant s'accélère la consommation de visages et de corps. Et savez-vous, Mademoiselle, que l'aimantation d'une peau, les pouvoirs d'un minois, sont d'autant plus précaires que rien ne les nourrit du dedans ? Ah ! j'en ai peur, comme vous allez vite vous évaporer ! Quelques baisers suffiront à faner votre fraîche carnation ; quelques étreintes, à révéler à l'homme au-dessus de quel abîme il se démène.
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Suite et fin du chapitre I le 15 janvier
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Suite et fin du chapitre I le 15 janvier