* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

*
CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


lundi

1er octobre 2018 SIRENES Pièce en 5 actes



SIRÈNES
PIÈCE EN 5 ACTES
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PERSONNAGES

            Les sirènes :         LEUCOSIA
                                    LIGEIA
                                    PARTHENOPE

       Le pêcheur :        MELISSOS

       Le jeune berger:  DELPHIS

       Les dieux :          APHRODITE  (déesse de l'amour) 
                                   IRIS  (messagère des dieux)
                                   ORPHEE  (demi-dieu, héraut de la musique et de la poésie)
                                   PERSEPHONE  (déesse des enfers)
                                   POSEIDON  (dieu de la mer)
                                   PROTEE  (gardien des troupeaux marins)
*

La scène se passe environ 2500 ans avant J-C.

( L'acte II pourra être supprimé à la représentation.)






ACTE I

Le rivage d'une petite île dans la moitié occidentale de la Méditerranée. A mi-profondeur de la scène, saillant de la grève, quelques rochers bas. On entend par intermittence un léger clapotis.

Scène 1

PARTHENOPE - LEUCOSIA.

La partie inférieure de leur corps est masquée par les rochers. Elles regardent, en silence, dans une même direction.

LEUCOSIA. - Crois-tu qu'il passera? Nous le verrons?

PARTHENOPE. - Voici son heure. Quand le soleil touche l'écueil. De sa maison, là-bas, il se rend à sa barque - et part.

LEUCOSIA. -Qu'espères-tu?

PARTHENOPE. - La douceur, la détresse. A peine est-il dans le sentier, qu'on me distend, qu'on me déchire. Et quand il disparaît, toutes mes forces vont à la mer.

LEUCOSIA. - Une fois encore, raconte-moi l'histoire. Je me sens, à l'entendre, et bien et mal...Mais surtout bien.

PARTHENOPE. - Très loin en mer, j'ai vu sa barque et j'ai chanté sa hardiesse. Longtemps nageant; longtemps l'entraînant de ma voix vers un récif. L'y devançant.
Par une fente de la roche, je le regardais s'approcher. Sans l'avoir jamais vu, je le reconnaissais; je savais tout de lui jusqu'au tréfonds de son enfance...Je le halais; mais comme je me sentais happée, aussi... J'ai su ce qu'ils éprouvent quand notre chant leur croche l'âme - et il faut bien que le corps suive!...
Toujours tendue, la corde diminuait. Bientôt, à pleine face, nous allions nous heurter...Je sentais sur mes paupières une bienveillance d'écume.

LEUCOSIA.- Il te voyait?

PARTHENOPE.- Dissimulée - la maîtresse du jeu - , je goûtais son pouvoir sur moi et n'aspirais qu'à ma défaite :" Qu'est-ce donc, en moi, qui veut mourir? Ou naître? Et qui appelle une plage pour s'accomplir?".
Quand il fut au plus près, j'ai surgi. Le temps de m'élever jusqu'à la taille. De figurer l'exclamation que je lus dans ses yeux : "O Femme!..." Et puis d'un coup de m'enfoncer.
Pour lui, le bruit d'un bloc tombant dans l'eau - et un grand cercle de stupeur; pour moi, l'attente désormais...

LEUCOSIA.- L'attente?

PARTHENOPE.- Un temps étroit, obstrué...Et l'on ne sait plus qu'une seule direction comme les oiseaux migrateurs.

LEUCOSIA. - Pourquoi, au lieu de le guetter, ne pas l'entraîner au large et là, le contempler à loisir?

PARTHENOPE.- Quelle tentation, alors, de l'attirer en nos profondeurs!...Je l'ai cent fois vécue en songe, cette scène: son bateau se déchirant sur un rocher; l'eau qui l'emplit, et cet homme dressé dont je ceins les jambes...
Il serait bien trop lesté d'angoisse et moi de joie pour que nous flottions!... Ah, cette chute - comme d'une pierre torsadée... A pieds joints, une ascension inverse. La mer, l'amour, la mort: quelles plus vastes noces? (Un temps.) Il y faudrait le goût de tuer. Je ne l'ai pas.

LEUCOSIA.- Ni moi. Cet instant où, dans leurs yeux extasiés, le regard s'effondre et se répand... Et leur dernier cri d'homme trompé...

PARTHENOPE.- "Maman!"

LEUCOSIA.- Ah, toi aussi, tu l'as entendu, ce mot qui vous heurte le ventre...

PARTHENOPE.- Voilà pourquoi je me défie de mes pouvoirs et me tiens sur la côte quand il est en mer...Je lui dédie un coquillage. Je modèle, dans le sable humide, un homme étendu et je m'allonge et rêve auprès de lui: "Suis-je dans l'éventail de mes cheveux? Ou le sillage de sa barque?".

LEUCOSIA.- Qu'espères-tu?

PARTHENOPE.- Je ne sais... Le voir passer. ( Montrant la mer.) Et c'est vouloir se désaltérer avec cette eau... Ah, le toucher! Mais j'en aurais une secousse comme à frôler certains poissons... Et plus encore être touchée - et le ciel, j'en suis sûre, s'en gercerait d'émoi.

LEUCOSIA.- Que ferait-il chez lui d'une sirène? Un objet d'agrément?

PARTHENOPE.- Ne raille pas. Je n'ai, je le sais trop, que mes bras pour m'ouvrir... Que de fois ai-je observé la charnière des coquillages qui bâillaient, leurs ligaments... Être double aussi à hauteur de hanches pour se jeter, tout au long, de part et d'autre - et puis se refermer, des bras, des jambes, sur celui qui prit place selon le fil de votre corps...


Scène 2

PARTHENOPE, LEUCOSIA, LIGEIA.

La tête et le buste de Ligéia apparaissent derrière un rocher latéral, un peu en retrait.

LIGEIA, à Parthénopé.- Tu as bientôt fini de divaguer?

LEUCOSIA.- Ligéia!...

LIGEIA.- Depuis que je vous entends...

LEUCOSIA.- Sans t'être annoncée...

PARTHENOPE,  à Ligéia.- On te dit l'Aiguë, mais la Sournoise t'irait mieux encore.

LIGEIA.-...Je suis, en tout cas, édifiée. Vous rechignez à tuer un homme? A-t-il égard, lui, à la mer qu'il égratigne, aux poissons qu'il en tire? Et l'on dirait des pleurs qui jailliraient d'une face...
Qu'un homme tombe entre mes mains, et dix fois je l'immerge et dix fois le sauve de justesse. Il faut qu'il sache l'angoisse du poisson quand celui-ci se noie dans l'air... Ah, le plaisir de le voir osciller entre l'espoir et l'effroi - jusqu'à ce que je l'expédie chez Hadès, d'un coup d'incisives dans la nuque!

PARTHENOPE.- Je hais ta cruauté.

LIGEIA.- La sienne est pire. Avec les bêtes, avec les arbres... Je l'ai vu de loin: il ne sait que détruire... Il faut que soient punis ceux qui viennent en mer défier le dieu!

PARTHENOPE.- Attention! Le pêcheur...

( Pendant quelques instants, les sirènes ne sont plus visibles que par une tempe, un oeil. Le bruit d'un double pas, mêlé à des propos indistincts, s'élève puis s'estompe, cependant que les trois visages réapparaissent peu à peu et que les regards, tournant de conserve, suggèrent le passage et l'éloignement.)

LIGEIA.- Qu'ils sont patauds avec leurs jambes!... Ne sachant guère que hacher l'espace... En face des arabesques du poisson, de la flèche de l'oiseau, ils n'auront découvert que la ligne brisée.

PARTHENOPE.- Mais ils suivent les sentiers; ils gagnent les hauteurs, quand à peine pouvons-nous, à la force des bras, gravir cette grève.

LEUCOSIA.- Avez-vous vu marcher l'adolescent? Une avancée de vague... (Un temps.) Ah, se trouver sur son chemin!... (A Parthénopé.) Ce doit être son fils: je les vois qui s'étreignent...

PARTHENOPE.- Un peu bien longuement...Non, ce n'est pas son fils, hélas!

LEUCOSIA.- Que sa vue m'épanouit les paupières; ...me rassemble sous leur ombre!... Et quelle inertie m'en vient - heureuse...

LIGEIA.- Qu'il s'avise, celui-là, de s'en venir en mer! L'hameçon de mon chant l'entraînera jusqu'à l'écueil où se rompre les os.

PARTHENOPE.- Tu n'auras pas ce plaisir: il est berger et non marin.

LIGEIA, à Leucosia.- Je t'invite à l'oublier. (Radoucie, puis insinuante.) Tu es si candide, qu'il me faut t'avertir: nul bien ne te viendrait d'un être brusque et sans esprit, qui malmène jusqu'aux pierres du chemin... C'est ta semblable seule qui peut pressentir tes désirs - et seule s'apposer sur toi, sein à sein, souffle à souffle. Penses-y, et viens me retrouver, l'après-midi, quand je me délasse en une crique, passé le cap qu'on voit là-bas. Le sable y est d'une finesse à vous dissoudre les doigts...

Elle s'éloigne, suivie du regard par Leucosia et Parthénopé. Durant quelques secondes, le clapotis se prononce.

Scène 3

LEUCOSIA, PARTHENOPE.

LEUCOSIA.- Que me veut-elle, au juste? Conviens que l'homme est parfois singulier... Ainsi d'un berger que j'ai vu l'autre jour, sur le versant... Une fille était là, debout sous un pin. Il s'est avancé vers elle et l'a serrée si fort qu'elle est tombée à la renverse. Eh bien, au lieu de l'aider à se relever, il s'est étendu sur elle, au risque de l'étouffer. Surtout qu'il appuyait sa bouche sur celle de la fille pour l'empêcher d'appeler... Elle devait avoir si peur, qu'elle s'est laissée dévêtir... Puis - et tu ne le croiras pas -, il lui a pris un sein! Moi qui pensais que les femmes n'allaitaient que leurs petits... Après, et toujours à plat-ventre, il s'est beaucoup démené. Elle essayait bien de le contenir - ses jambes croisées sur les reins du garçon -, mais il y mettait un tel acharnement... Elle y est enfin parvenue. Alors, il s'est arrêté tout d'un coup, et s'est couché près d'elle, comme inanimé... C'est se conduire étrangement, non?

PARTHENOPE.- C'est de tout près que j'ai surpris la même scène. Du fond d'une grotte marine... Ils se laissèrent tomber, devant l'entrée, comme s'ils n'avaient pas plus de jambes que nous. Ou que le sol, soudain, les eût appelés. Et je revois l'homme pesant, d'une cuisse, sur celles de la femme - pour les disjoindre. Puis qui s'allonge en la barque qu'il vient de creuser; cependant qu'en moi, à mi-corps, quelque chose s'exaspère de n'être qu'un fuseau.
Et l'homme, alors, s'est mis à boire - à longs traits, sans reprendre haleine...

LEUCOSIA.- A boire?

PARTHENOPE.- Dans cet espace voué à la soif, il semblait avoir trouvé une source d'eau douce. Et moi, je faisais aller ma langue entre mes dents, et je me disais qu'en ma bouche aussi il eût pu se désaltérer.

LEUCOSIA.- Il s'agitait?

PARTHENOPE.- Beaucoup, après qu'il eut plongé son dard dans l'enfourchure de la femme. Quatre bras, quatre jambes qui s'enlacent, se déprennent et s'ajustent de plus belle. Et cela oscille comme par gros temps - et la chevelure est une aile qui dérive... Ligéia, bien sûr, eût trouvé cela grotesque...

LEUCOSIA.- Quel sens, en effet, lui donner?

PARTHENOPE.- Je te dirai ce que j'ai vu: un visage de femme qu'un sourire submerge, et qui devient vaste et beau comme la face de la mer quand l'Aurore l'anime.

LEUCOSIA.- Que se disaient-ils, qui  puisse m'éclairer?

PARTHENOPE.- Rien. La femme s'est mise à geindre...

LEUCOSIA.- Cela fait mal; je m'en doutais.

PARTHENOPE.- Je l'ai cru, moi aussi. Ces soupirs, ces râles, ces abois, ce souffle qui trébuche et cette voix blessée par où s'épanche au jour le plus profond de l'être, je voyais là une douleur abrupte, un rauque chagrin - et quelle solitude!
Mais elle a dit: "Encore!..." avec un tel engorgement de joie, que je sus sa détresse un excès de délice.
Ah, voir ce qu'elle a vu lorsque son corps arqué se décocha une flèche - et retomba en tressautant!...
Avoir part à cela qui se peignit sur son visage à la renverse, et telle qu'une libation qu'elle aurait faite aux dieux...
Connaître enfin sa convoitise comblée - et l'on croyait entendre l'assouvissement du sable sous la vague expirante...

(Un silence.)

LEUCOSIA.- On m'avait dit l'homme ingénieux, mais qu'il sache tirer d'une femme de si beaux accents...

PARTHENOPE.- Terribles, je t'assure, et terrifiants. Comme autant de secrets arrachés à sa nuit - et l'on suffoque d'angoisse et d'aise avec une femme ainsi mise à mal, mise à bien, en proie à ses visions.

LEUCOSIA.- Je ne me résoudrai jamais plus à perdre un homme.

PARTHENOPE.- Parle plus bas: on risque de t'entendre.

LEUCOSIA.- Nous sommes seules.

PARTHENOPE.- Que fais-tu de la brise douceureuse? De ces vagues qui se propagent comme autant de lèvres d'Écho? De l'oreille nacrée du ciel, grand ouverte sur nous?

Un instant, l'ombre envahit le plateau. Quand la clarté revient, Perséphone se tient sur le côté, entre le décor de rochers et la rampe.


Scène 4

PARTHENOPE, LEUCOSIA, PERSEPHONE.

PERSEPHONE.- La terre aussi conduit les propos des vivants. Au reste, l'entrée du Tartare n'est pas si loin. On voit même d'ici, certains jours, le petit bois de peupliers noirs. (Un temps.) Je suis Perséphone.

PARTHENOPE et LEUCOSIA, ensemble, avec effroi et en baissant les yeux. - La reine de l'Erèbe...

PERSEPHONE.- Et l'épouse d'Hadès. Lequel est irrité à votre égard. Une hargne que je comprends, pour bienveillante que je sois. Vous voulez épargner ceux qui prennent la mer? Vous dont la mère est Muse de la tragédie, oublieriez-vous à quelles fins on vous créa? Et que tout vivant se doit de venir grossir la tourbe des Ombres? Or, ce sont les vivants en la fleur de leur âge qui font les plus beaux morts...
Nous recevons trop de vieillards à qui manquaient la force et le coeur d'inventer plus avant leur vie. S'il flotte chez Nous une si salubre odeur de cyprès - vivifiante, vraiment! -, c'est parce que nous recevons des morts très amers de devoir si tôt quitter le jour - en son matin, en son midi.. Et leur bouche est de celles qui ont mâché de la gentiane, de l'aloès.

PARTHENOPE.- Faut-il donc, O Déesse, abréger ce qui semble n'être, au vieillard même, que le temps d'un soupir?
Quel humain, quand il plante un arbre, verra le tronc outrepasser l'anneau de ses bras?
Et quel enfant peut espérer que la plage de gravier qui grince sous son pas, soit un jour souple et gracieuse?
C'est un dur châtiment, avant toute faute, que ne pouvoir jamais qu'entreprendre!

LEUCOSIA.- A peine l'homme émerge de la Nuit, le pied d'un dieu se pose sur sa tête et l'y renfonce pour toujours.

PERSEPHONE.- Car la clarté vous plaît, bien sûr, et le clinquant d'Hélios - qui est bien l'être le plus béat et le plus fat de la Création; le plus simpliste aussi, avec son bond quotidien d'un bord à l'autre, à pieds joints.

LEUCOSIA.- Nous aimons la lumière. Verticale et drue, ou rasante, ou réfléchie, elle tire de nous un perpétuel sourire.

PARTHENOPE.- Elle nous redonne la vue! Et il y a de la surprise et du bonheur à retrouver toute chose en place - acclamée par le bleu.

LEUCOSIA.- Nous aimons le soleil qui tiédit l'eau des criques; et l'aise, alors, efface nos contours...

PARTHENOPE.- Et quel champ d'oliviers, que la mer, passé midi...

PERSEPHONE.- Et moi le jour m'ennuie, instable et nu mais grand faiseur de féeries en tout genre, et changements de couleurs à vue... Je les hais, ces couleurs - et surtout le bleu qui persuaderait bien l'homme d'ici que le Ciel est tombé à ses pieds.
J'oublie toujours, en ma demeure, la présomption de la lumière... et me voici telle la chouette qu'on a tirée de son trou d'arbre. Au moins, ma Nuit, elle, ne ruse ni ne déguise; elle ignore les halos, les fumées, les chatoiements et les paillettes. Elle a la fixité, elle a la consistance... Il faut être homme pour voir de l'or dans la tignasse d'Hélios ou sur une plage au couchant. L'or? Il est en lieu sûr - dans les coffres de la Nuit. Une main tout osseuse ne cesse de l'y étreindre.

PARTHENOPE.- La nuit comme un poing fermé, oui. Puis le poing se desserre et s'ouvre au jour; et les bêtes et l'homme prennent leur essor...

LEUCOSIA.- Je consens à la nuit à cause du matin, quand le monde s'étire, paumes tendues vers le ciel.

PERSEPHONE.- Ma Nuit est à jamais scellée - aussi l'homme s'y trouve-t-il hors d'état de nuire. Car ce sont ces intermèdes de clarté qui l'induisent à l'ambition, à l'âpreté, à la violence. Ils sont enfin inoffensifs, les habitants du Tartare!...
J'aime la Nuit, et, au delà, l'Obscurité sa mère qui fait si bien le tour de l'univers. La sphère originelle. Dont sont issus le Chaos, la Nuit, le Jour, l'Erèbe et l'Air. Il est donc juste que tout y retourne et d'abord l'homme, afin qu'elle recouvre plénitude et pureté d'avant la Création.


Scène 5

LES MÊMES PLUS  LIGEIA.

LIGEIA, encore invisible, appelant.- Leucosia!...(Cependant que sa tête puis son buste apparaissent, l'ombre se fait autour de Perséphone.)  Que m'arrive-t-il? Où tu n'es pas, l'espace m'examine et m'interroge...

PERSEPHONE, à nouveau en pleine clarté.- Celle-ci, c'est Ligéia, bien sûr... Je reconnais ces yeux si vastes dont maints noyés m'ont parlé - les uns, comme de barques près de sombrer, envahies par l'eau glauque; d'autres comme d'une échancrure où se massaient toutes les séductions du naufrage. (Répondant à la muette interrogation de Ligéia.) Je suis Perséphone.

LIGEIA, courbant la tête.- Oh, Déesse...

PERSEPHONE.- Hadès m'a bien des fois vanté ton zèle.

LIGEIA.- Il est vrai, Déesse, je suis Ligéia; et mon cri n'est pas seul perçant: je tends à l'homme un regard si affilé par mon désir de meurtre, par son désir de mort, qu'il s'y transperce en un ravissement qui se voudrait indéfini.
Je feins d'être, inespérés, l'hommage et l'offrande - et l'aubaine. Je le tue en mimant l'avidité extasiée, l'étonnement indicible: "Ah, se peut-il que tu m'aies enfin rejoint, toi que j'attendais du fond des temps?" Et mes yeux, d'un trait, de humer sa vie. Aussi, quand il croit se noyer, ce n'est plus guère que sa dépouille qui se débat - à la façon du congre dont on vient de trancher la tête.

PERSEPHONE.- D'où te vient tant de haine pour l'homme?

PARTHENOPE.- Le sait-elle au juste?

LIGEIA.- Il est l'intrus. Qu'il se tienne donc sur terre avec ses bêtes qui bêlent du plaisir d'être asservies, et qu'il méprise du haut de ses deux pattes.
Et pourtant, qu'il est gauche! Et anguleux... Autant que son logis ou la falaise. Comment priser celui qui, de ses bras, de ses genoux, contrarie et débite l'espace? Qui appartient au discontinu, au discordant - quand je vis dans l'arabesque, selon sa course flexueuse?...

PERSEPHONE.- Les dieux furent donc bien avisés, qui vous changèrent de femmes-oiseaux en femmes-poissons...

LIGEIA.- Révérence gardée, ils eurent une idée singulière de nous créer femmes-oiseaux pour affrioler des pêcheurs! De quoi leur rappeler leur volaille ahurie...Et puis tout, de nous, était visible: quelle méconnaissance de l'homme!

LEUCOSIA.- J'aimais voler de place en place ou me poster sur la colline d'où l'on voit terre et mer se chercher noise et s'enlacer...

PARTHENOPE.- C'est à le voir de haut , que l'homme m'a émue: qu'il soit sur son île ou sa barque, comme il est petit - mais si habile en toutes choses!...

LIGEIA.- Il s'entend, oui, à couper les arbres, mettre le feu, ouvrir des carrières, détourner une source, et rapiner en mer. Il est bien tel, pour la Nature, que la vermine qui logeait sous nos plumes.

PERSEPHONE.- Prométhée, je le crois, eut tort de le créer. Je dis souvent à mon mari: "Ah, régner purement, sans le souci des Ombres... Ne faire qu'un avec la Nuit, son noir éclat..." Hadès, hélas, aspire à dominer toujours plus d'âmes.

LIGEIA.- Écourtons la vie de l'homme, puisqu'il existe... Moi, je surgis près de sa barque et lui soutire en premier son regard. Il est alors comme un aveugle qui vous suivrait en suppliant qu'on lui rendît la vue. A peine s'il est besoin de recourir au chant.

PERSEPHONE.- Tu m'intéresses... Que lui dis-tu?

LIGEIA.- Des fadaises pour enfant. Et, par exemple: (Elle chante.)

                               Regarde-moi, ô mon seul maître:
                               Femme je suis - et ne suis pas;
                               Et si tu veux me mieux connaître,
                               Viens avec moi dans l'En-deçà.

                               J'ai longs cheveux et fraîche bouche;
                               J'ai des yeux verts et des seins lourds.
                               Ma main polit ce qu'elle touche
                               Pour le ravir de ses contours.

                               Femme je suis jusqu'en mes hanches;
                               Mais, le sais-tu? Je suis Triton
                               Sous le miroir qui me retranche.
                               Ah, jette-moi ton fier harpon!

                               Regarde-la, ta belle prise
                               Ardente et nue pour t'enlacer;
                               Regarde-la, si bien éprise,
                               Qui veut t'aimer puis te bercer;

                   Te dispenser l'oubli qui d'un coup t'éternise.

PERSEPHONE.- Cela me paraît pauvre, en effet...

LIGEIA.- En femme-oiseau - en volatile hétéroclite! - il nous fallait nous mettre en frais. Nous avons à présent de tout autres pouvoirs...
Poisson, je sais le plaisir de se glisser dans l'onde lisse et fluide et sans interstice - qui se caresse ainsi à soi.
Mais celle qui surgit jusqu'à la taille, c'est bien la femme - que l'étendue vient d'ériger pour qu'elle atteste qu'il n'est de noces que de mer.
Au vrai, j'unis la femme et le poisson - le torse à empaumer et le fuseau qui se revêt d'insaisissable.
Et le pêcheur, au vu de mes ondulations et de mes voltes, augure bien de l'amante. Il se met à rêver de maints accouplements contre nature... Ah, que louées soient mes formes - faites pour engendrer le dépit! Et comme je peux suivre, dans les yeux de l'homme, la longue éraflure de mon esquive...

PERSEPHONE.- De tels propos réjouiront fort Hadès... (A Parthénopé et Leucosia.) Et vous les faites vôtres, bien sûr. Vous vous préférez, vous aussi, en ondines...

LEUCOSIA.- User de la beauté - d'un corps ou d'un chant - pour perdre quelqu'un, n'est-ce pas une traîtrise, ô Déesse? Avec Méduse, au moins, l'on doit mourir moins amer, de l'être par l'horreur..

PERSEPHONE.- La beauté même et surtout doit servir l'Ombre...

PARTHENOPE.- Ce qu'il y a en moi de femme ne veut plus que j'en mésuse. Ce sont des morts privés de rites funéraires que nous précipitons aux Enfers...( Un temps.) Il plaît à Ligéia d'être une créature composite? J'aspire, quant à moi, à n'être plus femme à demi. Ah, quel dieu, quelle déesse fera de moi une femme entière - avec des cuisses, des genoux et des orteils?...

PERSEPHONE.- Ce souhait me semble extravagant!

PARTHENOPE.- J'aime un homme!...

LIGEIA.- Entendez-là se faire gloire de sa trahison!

PARTHENOPE.- J'aime un homme, et je veux être non sa perte mais sa sauvegarde; non une vision qu'il poursuivrait, mais ce sur quoi se referme sa main. De haut en bas, sous ses doigts, le dévidement de la douceur. Et comment, à mon tour, pourrais-je le réjouir si mes formes m'entravent? Il n'est pas trop, je le pressens, de quatre membres...

PERSEPHONE.- Dans notre monde, riche en métamorphoses, on vit certes des nymphes et des déesses être changées qui en un cygne, qui en jument ou en tilleul... Mais, je le crois, ton voeu est sans exemple... (Un temps.) Pourtant, puisqu'il s'agit de nous donner un jour une mortelle de plus, j'en parlerai au Conseil de l'Olympe.
Pour l'heure, je me retire: c'est avoir trop longtemps soutenu la lumière corrosive, les criardes couleurs... Ah, quel velours, que l'ombre...

 L'obscurité se fait quelques instants. Quand la scène s'éclaire à nouveau, la déesse a disparu.

Scène 6

LEUCOSIA, LIGEIA, PARTHENOPE.

LIGEIA, à Leucosia, désignant Parthénopé.- Tu l'as entendue, cette idiote, en son délire?

PARTHENOPE.- Si c'est folie de s'insurger contre un destin qui vous fait, à chaque instant, violence, alors oui, je suis folle. Toi, il te suffit bien d'être l'instrument des Puissances; il te suffit d'être. Moi, je voudrais devenir.
Je me retire pour y penser: je dois pouvoir, s'ils m'interrogent, parer leurs objections, vaincre leur résistance. (Elle disparaît.)

Scène 7

LEUCOSIA, LIGEIA.

LIGEIA.- S'enticher d'un homme...Sais-tu rien de plus absurde?

LEUCOSIA.- Hier encore, je t'aurais approuvée...

LIGEIA.- Quoi? Tu priserais des mâchoires qui ont la grâce des galets plats? Des genoux et des coudes qui vous heurtent à distance? Ah, si l'eau ne comptait que sur l'homme pour se sentir caresse, enlacement... Tandis qu'elle se murmure, au moindre de mes gestes: "Facile! Comme celle-ci me fait facile, de son seul passage me torsadant..."

LEUCOSIA.- Mais leur assise sur la terre... La façon qu'a leur pied de s'approprier le chemin... Quand ce garçon s'avançait, tout à l'heure, le sol vibrait jusqu'en mon ventre.

LIGEIA.- Tu m'irrites, à la fin, à ne vouloir comprendre...

LEUCOSIA.- Quoi?

LIGEIA.- ... Vers qui montait mon éloge de la femme-poisson. Sais-tu mon rêve? Te regarder à loisir et te raconter avec minutie ton visage, la vie fantasque de tes cheveux, celle des bras entre impulsion et nonchalance - et ces deux fruits pour qui je donnerais toutes les pommes des Hespérides...

LEUCOSIA, ironique - N'oublie pas cette queue écailleuse qui nous achève avec tant d'esprit... Après s'être appliqué, le Créateur, à court d'idées, s'en est tiré par une dérobade. Et nous voilà assimilées au subterfuge.

LIGEIA.- Ne médis pas de notre appendice: il nous affine; nous lui devons nos voltes et le feston de notre nage...On ressent, en le voyant, le regret d'une douceur qui s'enfuit. C'est ce qu'il faut aux hommes - dont l'ergot n'est que bravade et menace.

LEUCOSIA.- Je n'ai guère, pour me voir, qu'un peu d'eau dans un creux de rocher - et souvent j'aspire à un autre miroir. Mais ce n'est pas en tes yeux que j'apprendrai pour quoi, au juste, je suis faite.

LIGEIA.- En tout semblables, nos corps ont les mêmes attentes. Qui mieux que moi saurait peigner ta lente chevelure? Y attacher un lys de mer? Ou distinguer, dans la jonchée des coquillages, le mieux assorti à ton oreille?
Je te caresserais selon nos intimes faiblesses; je te polirais à ton étroite ressemblance... A peine t'enveloppant, une écume qui ne se déferait pas; l'évanouissement d'un sable... (Un temps.)
Tes seins n'ont pas envie de s'éprouver à une bouche?

LEUCOSIA.- Je ne sais. (Un temps.) Une bouche qui, tour à tour, les couronnerait? Si, oh si! ... Mais pas la tienne.

LIGEIA.- Il est si difficile de se laisser aimer - comme la plage par le flot?

LEUCOSIA.- Il y a, je le pressens, des passivités qui vous exténuent.

LIGEIA.- Seulement nager de conserve et puis s'étendre, flanc contre flanc, tes paupières scellées par ma sollicitude... Pour l'une et l'autre, une vie redoublée de ses reflets - ainsi du soleil, vers le soir, qui se propage sur les eaux.

LEUCOSIA.- Et je devrais, bien sûr, te suivre en tes chasses...

LIGEIA.- Pourquoi pas?... Ou plutôt non: l'instant ultime et ma jubilation, alors, ne sauraient être partagés. Ce n'est que seule que je m'en sens foudroyée.

LEUCOSIA.- Et je te verrais, à ton retour, la prunelle repue de haine, et striée du cri de détresse qu'un homme aurait poussé...

LIGEIA, avec vivacité.- J'ai quelque orgueil: je ne vais donc pas te supplier. Si tu te ravises, tu sais où me trouver.

LEUCOSIA.- Laisse-moi, oui: s'il revenait rôder par le rivage...

Ligéia se retire en maugréant: "Ah, pouvoir les tuer tous!" Leucosia demeure immobile, le regard fixe.

RIDEAU





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