* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


mercredi

15 décembre






MIREILLE BALIN



III



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« La beauté, promesse de bonheur », dit Stendhal. Et de revers. À contempler des peintures de jadis, des photographies de naguère, qui ont fixé les attraits de favorites, de courtisanes de haut vol, nous avons peine à croire que les modèles possédaient, sur leur entourage, sur un public, le magnétisme que la chronique atteste.



La beauté, quand elle s'incarne, se démode, fût-elle représentée, fixée, dans sa plénitude. Humaine, elle se désaimante comme il advient à ceux que l'amour, le désir, ont jetés l'un vers l'autre. Le temps craquelle, érode, délite, les visages de porcelaine ; il travaille à contrefaire les corps sous les plus riches vêtements.



Si l'on a pu, avec Mireille Balin, parler de « beauté foudroyée », c'est que le temps seul ne l'a pas décrépite, à l'instar de la Gloria Swanson de Sunset Boulevard. L'homme, que toute beauté agresse ; qu'humilie une beauté féminine si distante et raffinée, qu'elle le nie ou le défie, l'homme, servi par les circonstances, va se venger avec, pour sûre alliée, la maladie. Les modalités multiples de celle-ci paraissant dériver les unes des autres pour rendre interminable, irréversible, la déchéance de l'actrice.



*Par le cinéma, par sa liaison avec un homme politique fastueux, elle avait, dès ses 21 ans, vécu dans un climat de féerie tel que la jeune fille la plus romanesque n'eût osé le rêver. Fallait-il y renoncer dans un pays asservi, quitte à s'aveugler sur le cynisme, la crapulerie, les exactions, les crimes, des puissants de l'heure ? Nantie de l'aura, du statut de star, n'avait-on pas le devoir de maintenir, en montrant au conquérant que la beauté, l'élégance, le luxe, avaient encore droit de cité dans une capitale mâchurée de croix gammées ? Née frondeuse et têtue– ce qu'avaient appris les rustres d'Hollywood –, devait-on infléchir sa conduite parce qu'on essuyait injures et menaces ? Elle aimait. Non plus un chanteur auprès de qui – la mésalliance spirituelle, intellectuelle, même–, elle s'était ennuyée, mais un jeune officier viennois au fier maintien, cultivé, musicien, doué de superbe et d'ironie. Pour des êtres épris d'absolu, la passion a des devoirs imprescriptibles. Dans le monologue si juste de ton que lui prête Roger Grenier[1], qui l'approcha, on lit : « Pendant la guerre, il aurait peut-être fallu que nous nous cachions. Que nous nous comportions à la façon d'un couple adultère. Comme si j'étais mariée avec la France et que je doive recevoir en cachette mon amant, l'officier autrichien. Pas même nazi. Un Viennois. Il n'aurait pas compris que je refuse de l'accompagner au restaurant, au théâtre, dans les boîtes. Alors on a dit que je m'affichais. […] »



*Je rouvre Au rendez-vous allemand, de Paul Eluard, poète de la Résistance : « En ce temps là / pour ne pas châtier les coupables / on maltraitait des filles. / On allait même jusqu'à / les tondre. // Comprenne qui voudra / Moi mon remords ce fut / la malheureuse qui resta / Sur le pavé / La victime raisonnable / À la robe déchirée / Au regard d'enfant perdue / Découronnée défigurée // Une fille faite pour un bouquet / Et couverte / Du noir crachat des ténèbres // Souillée et qui n'a pas compris / Qu'elle est souillée / Une bête prise au piège / Des amateurs de beauté […] »



Souillée, oui, et violée à plusieurs reprises, le 28 septembre 1944. Par des amateurs de beauté !

Ni la femme – malade, ruinée, à la beauté ravagée –, ni l'actrice en disgrâce, sa figure, ses emplois étant jugés révolus, n'auront, dans les multiples interviews qui jalonnent sa déchéance, de propos amers, rancuneux, pour sa condition, les amis décevants, le public versatile.


On dirait que, la gloire évanouie, l'adversité allait permettre aux vertus inhérentes à la jeune fille de se manifester sans que rien ne vienne plus les gauchir ou les voiler. Avec l'élégance m

orale, la délicatesse de réactions, c'est une exemplaire dignité dans le malheur qui frappe le lecteur des souvenirs de l'actrice. Très tôt, elle s'était dite fataliste Très tôt, elle eut le sentiment d'un quiproquo, et elle dira plus tard : « J'étais couverte de bijoux. Je n'étais pas faite pour cette vie-là. »


Après un intermède où la célébrité, la fortune, l'éloignèrent, la détachèrent jusqu'à l'inconscience de son moi profond, une adversité opiniâtre allait lui permettre de… coïncider à nouveau avec le meilleur d'elle-même. Le malheur allait assouvir à satiété son humilité infuse, son goût de la solitude, sa mélancolie invétérée, sa faim de l'authentique.



*Elle n'est plus – et l'esprit bronche à cette pensée –, qu'un peu de poussière, d'esquilles d'ossements dans le cimetière de Saint-Ouen. Pourtant, des hommes, découvrant son image fixe ou animée, s'étonnent de subir, avec un particulier agrément, la magie de ce visage dense à la clarté de givre ; et d'abord celle d'un front tel que ces « grands pays plus chastes que la mort », qu'évoque Saint-John Perse, mais qui pourrait non moins figurer le mur d'enceinte, sans fissure, d'un fort intérieur aussi avenant qu'inexpugnable. Ils voudraient percer le secret d'une fascination qui perdure en dépit des modes. À moins qu'ils ne lui demandent de conjurer les tares d'une époque où fleurissent négligence, vulgarité, bassesse, violence. À moins, oui, qu'ils ne soient en quête de quelque trace d'un état d'esprit, d'un comportement, en voie de disparition, qu'on les nomme classe ou race. Lesquelles intègrent et fondent fidélité à l'enfance, rigueur, intransigeance envers soi, distance prise avec la gloire et ses hochets – et non moins avec les revers, la défaveur, le dénuement.

Dans la constellation des « étoiles » éteintes dont la lumière nous parvient toujours, celle de Greta Garbo a la plus grande magnitude. L'éclat de son visage immaculé dont le halo estompe les contours, s'impose à nous avec l'ascendant des cimes inviolées.

La clarté tenue en bride du visage de Mireille Balin appellerait plutôt les termes de chatoiements, de moirures, où se peignent les états d'âme de l'actrice. Intense et comme réservée, on y percevrait, selon la scène du film, des reflets de saline, de nappe aquatique ou de filon argentifère. La distinction du maintien inhérente à la femme, ajoutant encore à cette radiance, une nuance de rare, de précieux, où l'opaline aurait sa place, non loin de la fleur épanouie du magnolia.


[1] "Mireille" dans La fiancée de Fragonard, Gallimard, 1981.

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Murmures…



*L'amoureuse

On me croit distraite, absente, depuis que je t'aime ; au vrai, c'est l'immobile contemplation intérieure d'un grand dérangement.


Muette, fascinée, terriblement attentive, ma vie alentie ou engorgée par un constant dialogue mental, j'oscille désormais entre l'alarme et l'impatience.



*L'amoureux

Fille, sœur, amie, amante, tour à tour ou tout ensemble, selon le vœu d'Héloïse, mais compagne d'abord – solide, égale. Compagne (de vocation) de l'homme. Ce qui n'est jamais plus sensible que dans nos silences, côte à côte, quand nos pensées vont de conserve. Quand, jusque dans nos muettes dérives, nous allons… de compagnie.



*François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.



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1er décembre

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MIREILLE BALIN

*

II




Dans la curée des regards dont elle fut l'objet, la « divine » se fit, de sa beauté, un masque impénétrable et un refuge. Les dieux et les hommes firent durement payer à Mireille Balin le lustre singulier que, pendant dix ans, elle donna à l'écran.

La gloire livra son visage aux maquilleurs, aux coiffeurs, afin de le rendre conforme aux signes extérieurs de la vamp, complice ou instrument de la ruine, de la mort, promises à l'homme assez téméraire pour s'éprendre d'une femme triomphale.




Et si les rôles d'aventurière qu'elle accepta, la renommée venue, étaient profondément des contre-emplois qui contribuèrent à sa perte ?




C'est à ses premières apparitions – le mot juste ! – que je demanderai le secret du charme, au sens premier d'incantation, qu'elle exerça d'emblée sur le public. À la jeune fille de bonne famille fourvoyée dans un bal graveleux ; à la paysanne, nièce de Don Quichotte ; à la secrétaire de Si j'étais le patron (photo ci-dessus) ; à la servante de restaurant napolitain qui écoute chanter « Catari ». C'est là se pencher sur de l'or natif et non sur ce que les joailliers en feront ; c'est là vouloir saisir la clarté originelle d'un visage avant que l'éclat des bijoux, des fourrures, ne vienne l'adultérer.







Joliesse et beauté ne se recouvrent pas exactement, et l'on sent bien la gradation de l'une à l'autre. La jeune actrice est jolie, mais elle n'enfoncerait pas en nous, et fort avant, une écharde aussi dérangeante – et délicieuse – que celle que nous dûmes à la frimousse de Simone Simon dans Lac-aux-dames, si cette joliesse se résumait en une simple harmonie de traits, commune, au reste, à maintes figurantes.




Une bonne grâce, une distinction innées, la belle santé de qui est proche d'une nature perçue comme fiable et savoureuse, se massent dans l'ovale d'un visage qui appellerait l'exclamation du poète : « Dieu ! qu'il la fait bon regarder ! » La tête se présente en sommité florale d'un corps qui a la gracilité de l'osier. Et l'on pourrait filer la métaphore en invoquant, pour cette face, la fraîche candeur d'un buisson d'aubépine en fleur.




Ce visage me serait-il si proche, si je ne le savais latin – sans la prodigalité d'une Anna Magnani, d'une Sylvana Mangano ? Davantage : par sa mesure, son équilibre, la lumière qui l'affleure, c'est aux paysages du Val de Loire, plus qu'aux rives méditerranéennes, que je le rattache.




Le front surtout retient par son ampleur où lire à livre ouvert une limpidité d'eau captive, au reflux, d'un creux de rocher ; et que pure est donc la plage de marée basse, à l'aube, quand nul pas ne s'y est encore imprimé !




On ne décèlerait, en ce large bandeau, trace de vanité, de présomption. Décence et probité s'y épandent, affermies par un regard qui interroge, et où l'expectative se nuance d'incrédulité : « Malgré les certitudes sur lesquelles je règle ma vie, comment être sûre de ce que je vaux, de ce que je fais ? De la droiture des êtres qui m'approchent ? De la sincérité de leurs éloges ? »




Ce regard droit, déterminé, une velléité de sourire (le rire ne sied pas à ce visage) nous persuaderaient qu'on possède l'assurance que donne aux femmes une mine plaisante à voir. Mais la lucidité de qui n'est pas dupe des apparences ne cessera guère de faire douter de soi et d'autrui, celle qui, très vite, aurait pu faire siens le « Faire sans croire » valéryen, ou le « Je me voyais me voir» de la Jeune Parque.




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Vinrent la gloire et le statut de star. Poncé, épuré, enfermé en des contours quasi incisifs – tels ceux, péremptoires, définitifs, qui s'imposent à l'artiste au terme de ses ébauches... –, le visage atteint à une extrême présence, et la Beauté, irrécusable, peut y exercer à plein son empire ; un frémissement de surface suffisant à suggérer les dispositions d'un personnage qui, de compagne loyale de l'homme, est devenue une icône maléfique. Une icône, au demeurant, aussi datée à nos yeux qu'une Marlène Dietrich.




Qui voit Mireille Balin de ses débuts à son apogée, a le sentiment d'une glaciation qui s'étagerait de la bouche trop bien dessinée, de la meurtrière des paupières, de sourcils réduits à un trait décisif de fusain, à un front qui vous oppose une inflexible fin de non-recevoir. Toute la Beauté – ascendante – de la créature culminant dans ce pan de sereine arrogance, qui vous donne « ce coup de poing, vite, au cœur, en passant », comme dit Cocteau.




En vain demanderait-on à ce front de laisser transparaître un reflet des vertus que l'on sait pourtant intrinsèques à cette femme : une timidité foncière, qui va jusqu'au manque de confiance en soi, une clairvoyance corrosive quant aux conventions sociales, aux mondanités, au luxe, aux faux-semblants de toute espèce ; une propension à la solitude, au recueillement, que la foule vorace, futile, ne comprend ni n'admet ; et qui jugera sur les apparences la femme musicienne, cultivée – lectrice de Marc-Aurèle – et grande voyageuse éprise des hauts lieux de l'art mondial.







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Murmures…




L'amoureuse

Appartenir à tes larges mains, chaudes et sagaces, est une garantie de grande aise. Ce n'est qu'entre elles que je me sens… surélevée !




*L'amoureux

Je ramène tout à toi. A-t-il neigé ? (Et c'est alors, sur la plaine, la même clarté aiguë qui monte de l'écume, à l'heure du flux ; le même étincellement universel. A vol d'oiseau, une plantation de cerisiers en fleur dont l'éclat eût envahi, subjugué toute couleur… ) Oui, a-t-il neigé ? Je pense alors : La neige est un drap frais bien tiré, de toile un peu rude – pour l'amour. La nappe est mise pour ceux qui s'aiment, dans une lumière latérale de verres de cristal. *




François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.




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lundi

15 nov



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MIREILLE BALIN

*****************************************I

(Monte-Carlo, 20 juillet 1909* - Paris, 9 novembre 1968)


*


Peintres, sculpteurs, historiens, chroniqueurs, en témoignent : toujours des femmes surpassèrent en attraits leurs congénères et justifièrent le mot de Cocteau : « Les privilèges de la beauté sont immenses. » Mais longtemps, ces prérogatives, les faveurs attachées à la perfection d'un visage, à la grâce d'un maintien, se limitèrent aux dimensions d'une cour, d'un cercle, d'un milieu. Quand elles ne relevaient pas du seul lyrisme d'un poète célébrant sa maîtresse.


La photographie, le cinéma, qui se repaissent du monde féminin, fournissent à foison à notre imaginaire des images de créatures qui rendent crédible le pouvoir prêté à telles favorites sur le monarque, à telles courtisanes conduisant leur amant à la ruine et au suicide.


Il n'est pas de « petites » séductrices. Sur celles que l'on qualifie de « grandes », l'accommodation se fait d'emblée, alors que reste flou ce qui les entoure, les autres femmes comprises.


Chacune est une émissaire que l'espèce nous délègue pour nous rappeler l'hégémonie du féminin. Elle n'est porteuse d'aucune revendication puisque sa souveraineté est flagrante, quasi palpable, et que nous subissons avec gratitude sa tyrannie. Car c'est tout un panorama du féminin, avec ses arrière-plans, que la séductrice feint de déployer à nos yeux, quand nos compagnes font au mieux office d'échancrure, dans le réel. De là que les bords d'une photographie, de l'écran, où s'encadre une « grande » séductrice paraissent exigus, et que son image envahit les marges d'une sorte de profusion d'être.


*


À peine certains acteurs entrent-ils en scène, qu'ils nous enveloppent d'un contentement analogue à celui que nous procure la rencontre fortuite d'un familier à la chaleureuse et franche aménité. De tels acteurs obtiennent d'emblée de nous un surcroît d'attention, d'adhésion à leurs répliques, à leur comportement, tant ils s'insèrent avec justesse dans l'espace ; tant leurs propos, leurs réactions, ont une véracité qui rend aise et l'air environnant, et le silence aux froissements de papier de soie qu'assemblent les souffles de l'assistance.


Ainsi des femmes – dont beaucoup deviendront actrices – ont-elles une présence innée qui s'impose à notre système sensitif à la façon dont certaines œuvres d'art nous empreignent l'âme. Comme pour un tableau, une sculpture, un monument, cela tient d'un accord musical et d'une fécondation à distance.


Nous savions la nature inépuisable en ses productions ; elle nous aura une fois de plus surpris par cette vivante dont l'image vient combler une attente – de l'ordre de la nostalgie ? – que nous ne pensions pas posséder, en homme gavé d'effigies.


Elle est. Par elle, ce monde usagé, hirsute, se revanche des dommages que nous lui causons. Par elle, par les alliances que nous lui supposons, nous vient la pensée de tout ce qui, sur cette terre, échappe encore à la rapacité de l'homme : de l'oiseau planant sous l'horizon marin à la strate faîtière d'un cèdre du Liban, de l'évasure de la conque, du buccin, au spath de l'arum…


Elle nous est plus étrangère encore que ses sœurs ? Elle légitime la ferveur, la gratitude, que nous vouons à celles-ci. Elle conjure tout ce qui blesse nos regards ; elle les tire de leurs effleurements distraits, à la façon d'une heureuse surprise qu'on nous ferait, inconcevable. Le mot d'aubaine nous venant aux lèvres devant ce qui ressortit au rare, au captivant.


Nous n'avons pas l'outrecuidance de penser qu'elle nous distinguera dans la foule de ses sujets ; il nous suffit qu'elle accrédite le mythe des déesses, des nymphes, des vestales, des sirènes ; qu'elle soit leur incarnation, sculpturale, mais humaine. Vulnérable donc, ce qui la rend proche, émouvante, à ceux qui savent que le temps passera sur ce visage lisse comme la risée sur une mer de demoiselle, et qu'elle ne sera plus, un jour, qu'une ombre figée ou mouvante, sans plus de compacité qu'une étoffe élimée. Les plus menacées étant celles qui proclament bien haut, par l'arrogance de leurs formes, l'emphase de leur chevelure, l'ourlé de leurs lèvres entrouvertes, qu'elles sont, plus que leurs sœurs, promesse, et promesse de chère exquise, indéfinie, à l'instar des houris que le Coran promet au fidèle.


Il est des hommes mâles et l'épithète est laudative. Il est aussi, parmi les « grandes » séductrices, des femmes femelles chez qui la bouche, les cils, les narines mêmes, préfigurent la voie d'accès majeure, comme si le sexe s'y avouait sans vergogne ; leur chair, faussement immédiate, paraissant une invite explicite à l'étreinte, au… déduit. Une once de vulgarité pour piment.


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Aux séductrices pulpeuses, onctueuses, qui nous font augurer un enfoncement profond dans le charnel (et toute une Amérique gorgée de confiseries – meringues, religieuses, crème fouettée, arrosées d'une flûte de champagne – s'est reconnue dans une rose mousseuse prénommée Marilyn), est-il permis de préférer la beauté close, butée, d'une Louise Brook, casquée de fibres d'ébène, détachée d'une frise égyptienne, à moins qu'elle ne soit la sœur de la reine Karomama, et dont le profil de médaille incise continûment l'espace ?


Est-il permis d'accorder, dans la foule des idoles qui passèrent pour représenter la plénitude, l'universalité du féminin, une place suréminente à Greta Garbo ? Je ne pense jamais à elle sans voir, en un pays neigeux, un faisceau de lumière matinale traverser un banc de brume. Puis s'imposent, comme on parlerait de l'imposition des mains, des traits dont la perfection relève de la plus haute statuaire – le grain de la peau ayant le poli des figurines des Cyclades à l'effigie de la Terre-mère.


On oublie le corps : nous n'avons d'yeux que pour cette clarté de nébuleuse qui nappe et déborde le visage, faisant de celui-ci, dans La Reine Christine, l'archétype des figures de proue.


La séduction peut être provocante. Il lui arrive d'être chaste. Par la lumière propre aux pays nordiques – calvinistes – qui semble avoir modelé Garbo ; par la sexualité de celle-ci, ambiguë, tenue pour un… « exercice salutaire », l'actrice illustre une féminité inconnaissable, inaccessible. Jusque dans les scènes d'amour où elle se montre entreprenante, hardie, émane d'elle un Noli me tangere qui, joint à la solitude dont se nimbe l'extrême beauté, nous maintient à distance, remâchant le vers de Baudelaire : « Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre ! »

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*1911 est la date mentionnée sur de nombreux documents. 1909 serait la date exacte.


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Murmures…


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L'amoureuse


Je peux, avec toi, rêver du plus banal puisque jamais rien ne l'est. Et c'est ainsi que je rêve d'un chemin d'île – sans bien savoir ce qu'ils sont ! D'une chambre aux murs tapissés de recueils de vers, de ceux qui suscitent la soif – une chambre ardente.


Je rêve d'un temps lisse, indéfini, pour t'aimer avec constance.


Je rêve d'être autour de toi comme un sommeil entre soleil et ombre. D'être une boule fourrée sur laquelle tu reposes la main.


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L'amoureux


J'ai connu la boulimie et la frustration de l'amateur de musées ; et voici que ceux-ci ne me sont plus de rien : quelle galerie de peintures ou de sculptures m'accablerait de grâce comme tu le fais sans cesse ? Mais je m'avise qu'être condamné à fréquenter la beauté est un supplice raffiné. Sommes-nous en sa présence ? Elle nous essouffle, elle nous contraint. Se livre-t-elle à d'autres regards ? Un sentiment de dépossession, de sourde rancune nous en vient. Présente, absente, elle est l'écharde qui nous rappelle notre dépendance, nous signifie on ne sait quel exil.


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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.


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1er novembre

Dans les marges marines

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Le tamaris

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On ne planterait pas un charme, un érable, un bouleau, un hêtre, en vue de l'océan. Le tamaris compose avec l'ennemi. De fréquents émondages parviennent à faire, d'un arbrisseau buissonnant, un petit arbre contrefait, au port déjeté, au tronc boursouflé que hérissent les multiples aisselles des branches élaguées. Et l'on doute, à voir l'écorce, que celle de l'olivier se montre plus hargneuse envers la main ; qu'elle nous dénonce autant de sévices subis – torsions et flagellations conjuguées, âpreté d'un espace à laquelle répondre par le nœud et l'excoriation.

À qui le harcèle et le harasse sans répit, le tamaris oppose la souplesse de ses rameaux et ramilles portant d'étroites feuilles en écailles – ainsi du navire qui réduit sa voilure par gros temps. La ténacité se lit dans ce feuillage aux déliés d'asparagus, qui tient des tailles du graveur, et que la densité, l'intrication de ses ramifications, son mépris de la symétrie, font paraître touffu.

Mêlant panache et stoïcisme, il ne résiste si bien au souffle massif, acrimonieux qui le houspille, que par cette épure, ce filigrane de feuillage où l'on verrait aussi bien une nuée verdie à l'attache, que les fougères qui se haussent à nos carreaux d'hiver.

L'homme se l'asservit, l'homme le défigure : le tamaris n'a pas vocation à jalonner les promenades des cités balnéaires, mais à se fixer sur un rehaut de dune en s'y ramifiant dès le sol. Qu'on se pelotonne, par un jour inclément, à l'abri de l'une de ces touffes, et l'on connaît une aise singulière.

La sauvagerie de l'immense achoppe sur ce bouquet, tente de le dissocier, y insinue l'inquiétude et la zizanie. Elle en fait un assemblage de balances de précision qui se contredisent – les rameaux regimbant par des hochements désordonnés. Et c'est alors, par la grâce des longues antennes végétales, que la migration de l'espace nous apparaît dans sa puissance et son ampleur. À des vitesses diverses. Au plus bas, la scintillante trémulation des herbes ployées ; puis la masse sans interstice des airs, assurée de sa trajectoire, avec la feuille quadrilobée d'un oiseau qui tangue en dérivant ; et au plus haut, un effilochement de nuages gagnés par la vélocité universelle – tout cela fuyant la mer comme la faune s'échappant éperdue, d'une savane en feu.

Mais des délices plus poignantes encore attendent celui qui, par temps maussade, demande au tamaris de s'interposer entre l'océan et lui. Quel feuillage ferait, mieux que le sien, office de filtre – l'eau dure et âpre accourue du large, se muant, à le traverser, en brise d'eau douce ? Ce qui était souffle de brasier et qu'atteste ce champ de flammes, au pied de la dune, n'est plus que chuchotements de feu qui s'affaisse. Et l'on se tient, au sein de l'invasion, en une enclave de tiédeur et de bénignité où l'immortelle peut enfin jouir de son arôme.

Me levant, je serai à nouveau appréhendé par l'invisible et transformé en torche. Mais pour l'heure, qu'on me laisse savourer le miracle d'un jour de printemps qui se serait fourvoyé en janvier : en ce tiède réduit épargné des vicissitudes des airs, la sorte de constriction de la chair la plus trouble, que j'éprouve, le ternissement de mon âme et son obstinée distraction, joints au sentiment d'être, dans la tourmente unanime, en une place inexpugnable, m'inclinent invinciblement à la délectation morose.

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Le panicaut de mer

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On peut avoir l'acerbité gracile. Le panicaut de mer, résolument ramifié, étage feuilles et fleurs à claire-voie. Ainsi n'offre-t-il que peu de résistance au vent du large – qu'il égratigne au passage. Car de la dune douce à l'œil, accueillante à la paume qui, se détachant de vous, l'effleure et la flatte à distance, surgit la plante la mieux agencée pour s'opposer à la prise. Ses feuilles coriaces se convulsent pour multiplier les dards ; l'inflorescence mime, en miniature, la bogue de châtaignier. Au dessus de la bénignité du sable, on brandit l'acrimonie ; on rayonne de hargne : que le téméraire se le tienne pour dit !

Pourtant, que celui qui jugerait cette plante malgracieuse se penche sur elle. Pour admirer l'étoilement des feuilles acuminées, au blanc liséré, sur quoi repose le capitule. Pour se pénétrer d'un vert d'argent qui, dès que le panicaut se rencontre en colonie, se mue en ce bleu léger, cendreux, qui monte d'une mer unie, par les matins d'été.

Il me plaît de trouver, dans la flore dunaire, l'oyat, le lys, l'élyme, l'immortelle, sans omettre l'épervière laineuse ou l'astragale, pour me rappeler ces jours où l'océan polit patiemment l'espace de sa rumeur égale, assourdie, où s'enchaînent les soupirs. Mais je sais gré au panicaut de témoigner pour un autre visage de l'étendue : celui où, dans un climat de subversion unanime, on vous oppose une volée ininterrompue d'aiguilles de glace. Aussi ne médirai-je pas de lui qui distribue avec agrément l'hostilité.

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Sur le silence III (suite du 15 octobre)

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Quelques citations d'Eugène Merser*

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**Le silence appartient à la vie, non à la mort.

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La musique est plus digne que les mots de rompre le silence, et le silence plus digne que les mots d'interrompre la musique.

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Si la parole est, selon Beigbeder, « un acte où l'individu s'abolit », le silence est le non-acte où l'individu s'affirme.

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Le silence est au bruit ce que la transparence est à la lumière.

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Le silence est la clé de voûte de l'édifice sonore.

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C'est avec les pierres du silence qu'on érige le temple de la musique.

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La musique se crée à partir du silence, se propage à travers lui pour, finalement, se perdre en lui, où tout commence et tout finit.

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Le silence se propage par ondes, comme la lumière et les mouvements de la passion.

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Le prélude aérien de Lohengrin, l'élévation de la Missa Solemnis, atteignent aux frontières du silence idéal.

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Les paroles s'envolent, le silence reste.

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Minute de silence, minute de vérité. L'homme a besoin de la parole pour dissimuler ses pensées.

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Le silence prépare les rendez-vous du cœur et de l'esprit.

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Le silence panse les blessures de la parole.

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Rien n'est plus impressionnant que le silence des grandes orgues dans une cathédrale déserte.

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******** *Né en 1911, mort dans les années 1980, il se disait « un non-violent passionné », fidèle, depuis sa jeunesse, à la tradition libertaire.

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Murmures...

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L'amoureuse:

Je suis essoufflée, rompue, en grande détresse: je t'aime! Laisse-moi le temps de reprendre mon souffle, d'accepter, d'assumer le bonheur de t'aimer.

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L'amoureux:

J'ai changé? Oui, comme la sève brute, effervescente, du printemps devient, en se composant avec la lumière, la sève élaborée, riche de minéraux, qui va nourir la plante.

Comme la rivière un peu folle, turbulente, de l'amont devient un fleuve - ample par définition, assuré de sa route et de son but.

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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.

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vendredi

15octobre

L'AMBRE GRIS

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J'ouvre un tiroir rarement visité et j'avise un petit pot de verre fermé par un couvercle de métal – que je descelle. Et aussitôt, ainsi que dans ces contes orientaux où, d'un flacon qu'on débouche, surgit, se dresse, un génie, un magicien aux pouvoirs prodigieux, un esprit s'élève, s'appose à mon visage et le déborde. Il s'assujettit mes narines, en tapisse les muqueuses d'une pruine immatérielle si capiteuse, que l'âme bronche et se jette à la renverse.

J'avais oublié qu'on m'offrît jadis un cube d'ambre gris ; et le voici intact et ses pouvoirs préservés. On aurait tort d'augurer du plumage terne du rossignol ce que sera son chant. Et tort de n'attendre qu'une senteur commune de cette substance couleur de sucre caramélisé qui scintille d'une très fine sueur.

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En se référant à ce qui est connu ou pressenti, en invoquant similitudes et contrastes, on peut tenter d'évoquer un paysage, les mouvements d'une symphonie, la saveur d'un mets. Mais par quels mots, quelles images, rendre compte, à qui les ignore, d'une couleur ou d'un son pur ? Comment donner, non plus à voir, à entendre, à goûter, mais à sentir ? Pour avoir, carnet en main, humé les effluves dont un printemps réjouit les airs – de l'aubépine au robinier, du seringa au chèvrefeuille -, je puis témoigner de la difficulté, si l'on se refuse à l'approximation, au flou poétique, de traduire le spectre d'une odeur et ses effets sur notre sensibilité.

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Sauf à provenir d'un arbre, d'une haie en fleur, les essences végétales sont souvent mesurées, voire retenues. Il faut s'approcher de la rose, se pencher sur la violette, pour en goûter la fragrance.

Nous n'avons pas même à inspirer l'ambre gris : une bouffée chaleureuse, d'une cohésion qui ne laisse de chance au moindre interstice d'air libre, colonise d'un coup notre face et y dépose une mince miellée. On baigne notre tête dans une exhalaison grisante et statique. Et le temps même s'en suspend, gagné par la bienheureuse inertie de l'air.

Si notre respiration reprend, c'est moins pour faire droit aux exigences du corps – nous pourrions rester sans mouvement, telle la bête fascinée – que pour favoriser, par l'inspiration, la minutieuse mainmise de notre hôte sur l'être entier ; l'espèce de fécondation qu'il y opère en y instillant des lueurs de couchants par les sables, et jusqu'à la mélancolie qui s'attache à cette heure.

D'aucuns décèlent, dans l'arôme de l'ambre gris, un soupçon de mousse noire, d'épices, de vanille, de clou de girofle, de tabac. Même si, le respirant, je revois l'ombre que faisait, sur un ciel brillant, un champ d'algues séchant par marée basse et grand soleil, c'est bien là l'émanation d'une matière organique. Expulsée de l'intestin du cachalot, la concrétion flotte sur la mer ou s'échoue sur un rivage. Assez longtemps pour que le soleil, faisant office de cassolette, concentre et transmue les éléments d'origine en un or doué de volatilité, et si précieux qu'il fut jadis vendu au prix de l'or natif.

Sans doute aurait-il moins de pouvoirs, s'il ne procédait de l'organique ; s'il n'avait d'évidentes affinités – dans le louche ! – avec la civette et le musc. Avec la glande d'excrétion.

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J'aurais, découvrant qu'un homme use de l'ambre gris, le sentiment d'une incongruité, le temps des dandys et des muscadins étant révolu. En revanche, ce parfum doit trouver, dans les recoins du corps féminin, des fumets charnels auxquels s'amalgamer pour mieux incliner nos pensées vers un Orient d'odalisques, ou ces Iles du Sud où un peintre de vahinés a célébré « l'or de leur corps ». Au demeurant, cet arôme ne fait-il pas paraître plus sombre et lourde une chevelure ? Plus mate la peau, au point qu'un décolleté, un dos nu, tiennent, sous le lustre, de l'armoirie ? Ne développe-t-il pas, autour de celle qui l'a choisi, un climat de nonchalance ? Ne fait-il pas présager de l'opulence d'un corps non de tendron, mais de femme plénière ?

Lestée, elle est lestée, et comme agrandie. Une robe de velours, à traîne, ralentit sa marche. Elle ne dédaigne pas nos hommages, mais ne les sollicite. Consciente de son prix, elle s'encense elle-même d'un nectar qui nous fait entendre qu'elle est, à présent, à l'âge qu'une chair onctueuse rend délectable.

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J'ai refermé le pot. Afin que la rare substance ne se sublime et ne s'évanouisse à l'air libre ? Bien plutôt parce que l'esprit abdique devant ce baume si persuasif, impérieux - et tenace ! - qu'il vous place devant un excès de suavité propre à vous occulter tous les pores ; à vous infuser une satiété qui vous inclinerait à la démission.

Il est des messagers discrets. C'est à voix imperceptible que le myosotis murmure : « Ne m'oublie pas… » ; que la violette se hasarde à nous héler, d'entre les feuilles. Dans ce qu'il a à nous signifier, l'ambre gris se montre exubérant, intempestif. Il nous parle tout de go, en termes fort explicites, des prémices de la volupté dans le demi jour d'une alcôve aux lourdes tentures.

- Mais patience, mes narines, que je vais priver d'un air liquoreux et, à souhait, équivoque : vous retrouverez, dans quelques mois, des senteurs déliées, enclines à se diluer dans l'espace. Agrestes, des odeurs à claire-voie où l'on ne perd jamais le ciel de vue.

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SUR le silence (II)

D'un lecteur humaniste nommé Eugène Merser**, je reçus, il y a fort longtemps, une lettre où il me disait d'une part recueillir, dans la littérature universelle, tous les propos relatifs au silence ; d'autre part, consigner lui-même des réflexions sur le même sujet, propres à nourrir l'éloge du silence qu'il projetait et qui aurait pour titre Le Tombeau d'Harpocrate**. Nous échangeâmes quelques lettres jusqu'à ce que sa mort mît fin à notre correspondance.

Je donne ci-après quelques phrases que l'auteur m'avait communiquées, et je prie ses héritiers de m'excuser de le faire sans leur autorisation : je n'ai pu trouver trace de sa descendance.

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Entre la dernière parole et le dernier soupir, il y a toujours place pour un dernier silence.

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Qui veut rompre des lances contre mon silence ?

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Le silence est aussi indispensable à l'amour que les mots au savoir.

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Yeux clos, lèvres closes : le silence parfait..

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C'est lorsqu'elles sont closes que les lèvres sont les plus belles.

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C'est ce que tu n'as pas dit qui m'a le plus blessé.

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Tu enfanteras dans le silence.

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Le silence, qui peut tout traduire, est lui-même intraduisible.

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Le mot de la langue française qui possède peut-être le plus de rimes, et les plus riches ; le mot le plus riche aussi en nuances et en demi-teintes.

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À un bavard : « Ôte-toi de mon silence ! »

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La parole est peut-être la première conquête de la liberté, et le silence, son dernier rempart.

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On communique par la parole, on communie dans le silence.

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C'est le silence qu'on assassine !

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Le silence secrète la pensée, qui se coule dans la parole, qui se perd dans le silence.

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Rien n'est plus impressionnant que le silence des grandes orgues dans une cathédrale déserte.

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*Né en 1911, mort dans les années 1980, il se disait « un non-violent passionné », fidèle, depuis sa jeunesse, à la tradition libertaire.

**Harpocrate : dieu du silence dans la mythologie grecque.

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