* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


mardi

15 février











ALBERTINE



*



III



*



Le lecteur n'éprouve un sentiment de mésaise, que s'il ignore que le « roman » d'Albertine doit, pour l'essentiel, à la personne d'Alfred Agostinelli, un ancien chauffeur rencontré à Cabourg, que Proust prit chez lui en mai 1913 comme secrétaire, et qui le quitta brusquement après quelques mois d'une… réclusion jalouse. Une fuite qui s'acheva le 30 mars 1914, l'aéroplane qu'il pilotait en novice s'étant écrasé au large d'Antibes.



Mais d'autres amis et connaissances de Proust ont étoffé la figure d'Albertine, parmi lesquels Bertrand de Fénelon, Albert Nahmias, Henri Rochet…



La nature paraît parfois balancer pour doter un individu d'une identité sexuelle spécifique. En revanche, Albertine ne nous est nullement présentée comme une femme androgyne. Elle manifeste les goûts, les comportements communément attribués aux femmes. Telle est même sa féminité, que ses inclinations la portent vers ses semblables, pour le plus grand tourment de son geôlier.



« Je m'avance masqué ». Le narrateur pourrait faire sienne cette précaution oratoire. Et même si l'on s'interdit de le confondre avec l'auteur, on ne peut oublier qu'il y a chez Proust, interpolant le côté de Combray aussi bien que celui de Guermantes, le… côté de Sodome. Ce dont nul esprit ouvert ne saurait le blâmer. Quel lecteur de ce temps ne souscrirait à ces lignes d'Albertine disparue : « Personnellement, je trouvais absolument indifférent au point de vue de la morale qu'on trouvât son plaisir auprès d'un homme ou d'une femme, et trop naturel et humain qu'on le cherchât là où on pouvait le trouver » ?



Il est seulement licite de regretter que « le goût du monde féminin » chez le narrateur se soit borné aux manifestations tout extérieures de cet univers que sont décors, toilettes, propos, conduites, équipages… alors que le désir, le plaisir qu'on associe mille fois aux jeunes filles, aux jeunes femmes rencontrées – aussitôt possédées en esprit – ne sont jamais que des mots sans résonance, et comme des … clauses de style. Qu'en bref, Albertine ait la présence, l'aura charnelles, des créatures féminines d'un Montherlant, d'un Cocteau, d'un Tournier.





Contemporain de Proust, Gustave Klimt drape les grandes bourgeoises de Vienne d'étoffes qui passent en splendeur les robes de Fortuny. Volutes, marqueteries, émaux, or à foison, font plus que parer le corps féminin, : ils en suggèrent l'inestimable prix ; ils le rattachent à un règne floral, minéral, foisonnant ; à un âge, une civilisation mythiques ; à quelque paradis perdu. Mais la chair de la femme obsède tant le peintre, qu'il compose aussi des nus où chaque touche a valeur de caresse, d'attouchement, d'un artiste qu'éblouit la vénusté.



Ce qui n'est pas encore assez pour un homme qui dit appartenir à « la race naïve et lubrique des hypersensibles ». Aussi, demande-t-il à ses modèles nus de se disposer sur une couche ainsi qu'elles font « quand nul ne les regarde », cuisses largement ouvertes et doigts à l'œuvre. Alors, à l'instar de Rodin, Klimt fixe la femme en son intimité, la femme en tous ses états. Sans, bien sûr, omettre ou estomper le foyer de nos fantasmes d'homme, la source moussue, sombre mais irradiante.



Nulle vulgarité jamais dans ce qui semble tenir de l'instantané, de la confidence chuchotée mais de quelle puissance de suggestion ! Nulle lourdeur, tant le crayon, vif et précis, traduit et la délicatesse, l'émotion, de l'artiste, et le naturel, le bien-fondé, l'excellence du geste érotique (ce qu'attestent les visages que le ravissement renverse.)



Pourquoi, dès lors, se refuser à peindre des femmes enlacées ? Klimt n'y a pas manqué, qui nous laisse de serpentines « Amies » où triomphent, avec la fluidité lascive des lignes, une même modulation des formes qui, suggérant proximité, convenance des êtres, analogies des sensations, justifie la rutilante constellation où voguent les corps étendus.



Le narrateur, lui, ne cesse d'achopper au « mystère » réel ou illusoire, de la femme, ou du moins, à sa spécificité foncière et d'abord à la nature du plaisir qu'éprouvent, entre elles, les tribades. Et seules, pourraient-elles nous le dire ; mais le lecteur du « roman » d'Albertine sent bien qu'il ne suffit pas de scruter, d'écouter nos compagnes, même en observateur vigilant, vétilleux, pour atteindre le réduit où elles se tiennent. L'empathie doit être entière ; et l'intuition d'une composante primordiale du féminin échappe à qui n'éprouve, à pleines paumes, pour la peau, les galbes d'une fille ou femme jeune, l'avidité de la chaux vive pour l'eau.





Dans un entretien à France-Culture de février 1977, Roland Barthes, proustien fervent, déclarait : « Je relis Proust, La Prisonnière et Albertine disparue ; je suis frappé d'ailleurs par le fait que c'est extrêmement bavard et qu'il y a des pages et des pages d'un très grand ennui. Je ne m'étais pas rendu compte de cela. Ça ne diminue en rien mon admiration pour Proust, mais enfin il faut bien le voir aussi […] »



Il nous semble qu'il y a plus grave que le reproche de prolixité que Barthes fait aux œuvres citées. Et nous regrettons que La Recherche n'ait pas eu, pour auteur, l'équivalent d'un Klimt. Pour peu que le narrateur eût appliqué, à la femme… intégrale, son génie d'analyste, l'acuité d'une divination exercée jusqu'à l'infime, son obsession de découvrir ce que recouvrent les apparences, sa sensualité qu'alertaient de multiples et fluctuantes facettes de la création, son pouvoir de transfiguration encore, tout cela se formulant dans une langue capiteuse, amie du contournement et de l'interstice,



– nous aurions eu une contribution de premier ordre sur les arcanes de la féminitude.



Parce que le narrateur est mis, par sa nature profonde,… hors du jeu, ou du moins tenu par elle à distance, nous voilà privés des irisations, des diaprures – des lumières, que le contact… possessif d'une peau veloutée eût éveillées en lui et qu'il nous eût restituées, non par des notations sommaires, embarrassées, ou du moins communes, mais avec une justesse confondante et un lyrisme qui, si souvent, chez Proust, préserve « cette netteté incisive que la vie même ne revêt que dans l'art», comme dit Charles Du Bos. En bref, avec le même bonheur que la vue des clochers de Martinville, la voix d'une grand-mère au téléphone, les rives de la Vivonne, un champ de pommiers en fleur, la chambre de la tante Léonie à Combray, la petite phrase de la sonate de Vinteuil…



Ce que la majorité des lecteurs doivent à la femme, et qu'ils ne trouvent, dans La Recherche, qu'affadi, laconique, éludé, travesti, c'est, pour chacun d'eux, une expérience sans équivalent, présente, passée ou espérée, du lisse, du tiède, du souple, incarnés en des volumes qui s'assemblent ou s'engendrent harmonieusement ; c'est la bonne fortune d'une symétrie apte à réjouir deux mains et quatre membres. C'est la couche même où se démettre de son fardeau d'homme ; où déposer sa faiblesse invétérée d'enfant.



Après avoir déclaré que « C'est la jalousie qui fait d'Albertine une prisonnière […] », Ramon Fernandez précise, dans son Proust : « la jalousie, c'est-à-dire l'impuissance à posséder l'esprit, la conscience intime de l'être aimé, et l'impuissance à supporter son absence, autrement dit sa présence quelque part loin de nous, hors de nos prises. »



Certes, quel amoureux ne s'est irrité de ne pouvoir pénétrer les… arrière-pensées de l'être aimé ? À cela près, redisons-le, que les penchants –inavoués dans l'œuvre – du narrateur auront interposé un écran supplémentaire entre le front étanche de l'Autre, son for intérieur irréductible, et ce que les yeux, les oreilles nous en apprennent.



J'évoquais plus haut le célèbre « petit pan de mur jaune ». Si j'avais à me représenter l'extrême plaisir au féminin, j'interrogerais ce pan du corps qu'est un visage, tel que le figure, extatique, le peintre viennois de Serpent d'eau II ou de Danaé. Non ce que tente d'en suggérer le « romancier » d'Albertine.



Quel dommage que Proust n'ait pu lire Ces plaisirs, de Colette, paru en 1932 ! Il y aurait trouvé des portraits d'authentiques lesbiennes, peints en femme et en connaisseuse, avec une vigueur acérée, tempérée par une compréhension, une clémence, dont le narrateur – pensant, en les stigmatisant, mieux masquer sa vraie nature – est bien dépourvu.



Et qu'il aurait donc pu méditer ces lignes où Colette évoque « la tendre imposture » d'une femme mimant le plaisir pour son jeune amant ! Ce qui, dit-elle, tenait de « la plainte de rossignol, notes pleines, réitérées, identiques, l'une par l'autre prolongées, précipitées jusqu'à la rupture de leur tremblant équilibre au sommet d'un sanglot torrentiel… » Or, il ne se peut que cette Albertine incomestible, étrangement silencieuse même au terme de l'accouplement, n'ait eu recours à ce « mélodieux et miséricordieux mensonge ».



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Ces regrets formulés, qui ne sont pas minces eu égard à l'ambition du romancier, il reste de ployer la nuque en entrant dans le Temple du Temps évanoui, recueilli, ranimé, restauré dans sa nouveauté originelle ; dans la plus grande basilique aux innombrables absidioles, du paysage littéraire français, et qui subjuguera, jusqu'à la fin de la civilisation, des foules de fidèles par les proportions de l'édifice, la nourriture spirituelle raffinée, quintessenciée, qu'on vous y dispense sans compter. Car, dès que la spécificité des sexes s'efface, tout devient irrécusable quand le narrateur nous dépeint les affres de la jalousie, la douleur de la disparition d'un être aimé, les progrès cahoteux de l'oubli, et d'abord la simple grâce de vivre, tous sens en éveil.





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Les Murmures de l'amour



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L'amoureuse



Longtemps, je n'aurais rien su dire de la mort – présence, puissance assidues et en marge, sphinge à distance… Mais depuis qu'elle est devenue ta mort !…



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L'amoureux



Je regarde mes mains – et je m'interroge : comment, te caressant, ont-elles pu se résoudre à quitter les courbes dont elles se nourrissaient, qui leur faisaient honneur ? Sans doute ont-elles cru – fatale illusion – pouvoir toujours en disposer.



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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.



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1er février




ALBERTINE


*


II


*


Les homosexuels passent pour apprécier la compagnie – rassurante – des femmes, leur environnement, le climat de douceur, de délicatesse qui émane d'elles. Et comme ils sont, pour celles-ci, des hommes dont elles n'ont rien à redouter, elles en feraient volontiers leurs chevaliers servants.


La place faite dans La Recherche aux mises et parures des dames, jeunes filles, compagnes, maîtresses et femmes de toute condition, témoigne de l'intérêt soutenu que le narrateur leur accorde. (Même si l'on doute qu'une femme, duchesse de Guermantes de surcroît, s'affaire obligeamment pour qu'Albertine puisse revêtir une copie de ses robes – de chez le couturier vénitien Fortuny !)


Le lecteur apprendra donc qu'Albertine « avait une conscience directe de sa toque de paille d'Italie et [d'une ] écharpe de soie » ; que, dans sa garde-robe, on trouvait une jupe de toile, une blouse blanche à pois bleus, une chemise de nuit, une robe de chambre, un kimono…


Il ne saura presque rien, en revanche, de l'être charnel d'une créature qui suscite pourtant, chez le narrateur, des regards « brûlants de désir », selon la formule convenue.


« Avant qu'Albertine m'eût obéi et eût enlevé ses souliers, j'entrouvrais sa chemise. Les deux petits seins haut remontés étaient si ronds qu'ils avaient moins l'air de faire partie intégrante de son corps que d'y avoir mûri comme deux fruits ; et son ventre (dissimulant la place qui chez l'homme s'enlaidit comme du crampon resté fiché dans une statue descellée) se refermait à la jonction des cuisses, par deux valves d'une courbe aussi assoupie, aussi reposante, aussi claustrale que celle de l'horizon quand le soleil a disparu. Elle ôtait ses souliers, se couchait près de moi. » (La Prisonnière)


Il est vrai que les rapports physiques des deux amants paraissent empreints de mysticisme :


« Quand je pense maintenant que mon amie […] avait sa chambre à vingt pas de la mienne, au bout du couloir, dans le cabinet à tapisseries de mon père, et que chaque soir, fort tard, avant de me quitter, elle glissait dans ma bouche sa langue, comme un aliment nourrissant et ayant le caractère presque sacré de toute chair à qui les souffrances que nous avons endurées à cause d'elle ont fini par conférer une sorte de douceur morale, […] » (La Prisonnière)


Ce qui s'affirme dans cette évocation au chapitre premier d'Albertine disparue :


« Je revoyais Albertine s'asseyant à son pianola, rose sous ses cheveux noirs ; je sentais, sur mes lèvres qu'elle essayait d'écarter, sa langue, sa langue maternelle, incomestible, nourricière et sainte, dont la flamme et la rosée secrètes faisaient que, même quand Albertine la faisait seulement glisser à la surface de mon cou, de mon ventre, ces caresses superficielles mais en quelque sorte faites par l'intérieur de sa chair, extériorisé comme une étoffe qui montrerait sa doublure, prenaient, même dans les attouchements les plus externes, comme la mystérieuse douceur d'une pénétration. »



« Une langue incomestible… » L'épithète est neuve. Vint-elle jamais à la pensée d'un amant de l'espèce commune ? Connut-il jamais, par « les attouchements les plus externes » de son cou, de son ventre, « la mystérieuse douceur d'une pénétration » ? (Formulation qu'il est permis de juger faible si l'on se souvient de la remarque de Charles Du Bos : « Proust a toujours conçu qu'en chaque circonstance, pour reprendre ses propres paroles, le devoir essentiel de l'esprit était "d'aller jusqu'au bout de son impression" ».) Cependant que le narrateur déclare, dans La Prisonnière, « je remplissais les devoirs d'une dévotion ardente et douloureuse dédiée comme une offrande à la jeunesse et à la beauté de la femme. »


Mais, dès lors, n'est-on pas en droit de s'étonner que nous n'ayons pas, d'un observateur aussi minutieux, d'un esthète aussi sagace, l'équivalent de ces blasons du XVIe siècle qui célébraient la chevelure, les yeux, la bouche, le sein, le ventre, et autres parties plus ou moins nobles du corps féminin ? Blasons qui auraient eu la même force incantatoire qu'un certain « petit pan de mur jaune » dans la Vue de Delft, de Vermeer.


Quel hymne au toucher, sens primordial, se serait composé au fil de sensations rapportées par un être tout d'antennes, de palpes et corpuscules tactiles, qui nous a donné tant de preuves de sa subtilité de perceptions et de son aptitude à nous les transmettre !


À peine saurons-nous, par bribes, qu'elle avait de « longs yeux bleus », « des cheveux en fleurs » qui lui faisaient, le matin, « au-dessus du regard souriant […] une couronne bouclée de violettes noires ». Cependant que son cou « qui sortait tout entier de sa chemise, était puissant (c'est moi qui souligne), doré, à gros grains ». (Il sera encore dit « plein et fort ». Peu féminin, donc.)


Est-ce la peur de choquer qui bride la plume du narrateur ? Il eût sans doute scandalisé une partie de ses lecteurs en célébrant, même en prince de l'image, de la métaphore, de l'allusion qu'il était, seins et cuisses et croupe et sexe d'Albertine ; il en offusque davantage en dissertant pesamment de l'inversion, au début de Sodome et Gomorrhe ; en relatant avec insistance les agissements du baron Charlus ; en se penchant, en entomologiste, sur les moeurs des lesbiennes, quitte à s'attirer ce jugement de Colette, forte de son expérience, dans Le Pur et l'Impur : « [Proust] fut-il abusé, fut-il ignorant ? quand il assemble une Gomorrhe d'insondables et vicieuses jeunes filles, dénonce une entente, une collectivité, une frénésie de mauvais anges, nous ne sommes plus que divertis, complaisants et un peu mous, ayant perdu le réconfort de la foudroyante vérité qui nous guidait à travers Sodome. »


Une vérité que lui dénie Gide, homosexuel avéré, écrivant dans son Journal, le 2 décembre 1921, après avoir lu des pages de Sodome et Gomorrhe : « Connaissant ce qu'il pense, ce qu'il est, il m'est difficile de voir là autre chose qu'une feinte, qu'un désir de se protéger, qu'un camouflage, on ne peut plus habile, car il ne peut être de l'avantage de personne de le dénoncer. »


Le jugement est sévère ? L'auteur de Corydon pouvait se le permettre. L'ouvrage, où il s'avoue sans fard pédéraste, paraît d'abord à petit nombre en 1911 et en 1920, avant d'être publié en édition courante en 1924, l'année de Si le grain ne meurt.


Par parenthèse, le sulfureux Ulysse de James Joyce est d'abord publié en feuilleton, en Amérique, de mars 1918 à décembre 1920, avant d'être édité à Paris le 2 février 1922, quelques mois avant la mort de Proust. L'Amant de Lady Chatterley, réputé obscène, paraît à Florence en 1928, à Paris en 1932, préfacé par André Malraux.



Pour s'en tenir à des ouvrages moins… scandaleux, Pierre Loüys – qui aime la femme – a publié, en 1885, Les Chansons de Bilitis. Paul-Jean Toulet, contemporain de Proust, – qui aime la femme – fait paraître, en 1905, Mon amie Nane, « Cette amie que je veux te montrer sous le linge, ô lecteur, ou bien parée des mille ajustements qui étaient comme une seconde figure de sa beauté […] »


Et même si Nane n'est qu'une silhouette, l'érotisme discret de l'auteur nous alerte encore.


« Nane avait choisi de faire chauffer sa chemise sur elle-même. Accroupie auprès du feu, elle transparaît à travers le lin, et il semble que la flamme l'ait dorée ; ou plutôt sa chair a la nuance d'un quartier de mandarine. Maintenant, elle me guette du coin de l'œil, et pose ; moins orgueilleuse de la décisive géométrie de son corps que de sa chair voluptueuse qui vous met l'âme au bout des doigts, de sa hanche qui se tend ou de ses secrètes ombres dont elle voit que ma figure malgré tout s'émeut.


« Et elle a un sourire parfaitement obscène. […] »


Ou ceci, tiré des Lettres à soi-même [11 mars 1906] :


« De retour chez vous, mon cher Paul, penserez-vous à votre amie ? Elle est si menue, avec des pieds et des mains inutiles, les os minces et, là tout autour, beaucoup d'étoffes bruissantes et magnifiques dont elle aime à se vêtir. Après tant de tissus où l'on s'irrite, que l'on froisse, quand se rencontre sa chair soudaine, c'est comme, un jour d'été, de découvrir, sous les herbes, une source fraîche et nue. »


Toulet est tenu pour un « petit maître ». Je m'étonne donc de voir si bien Nane accroupie auprès du feu, et de ne parvenir à me représenter Albertine palpée « sur toutes les parties de son corps », sans qu'elle s'éveillât. Il est vrai qu'elle dormait si profondément que le narrateur peut écrire : « Parfois […] je faisais pendre ma jambe contre la sienne, comme une rame qu'on laisse traîner et à laquelle on imprime de temps à autre une oscillation légère pareille au battement intermittent de l'aile qu'ont les oiseaux qui dorment en l'air. […] Le bruit de sa respiration devenant plus fort pouvait donner l'illusion de l'essoufflement du plaisir et quand le mien était à son terme, je pouvais l'embrasser sans avoir interrompu son sommeil. Il me semblait à ces moments-là que je venais de la posséder plus complètement, comme une chose inconsciente et sans résistance de la muette nature. »



C'est en 1905 que paraît Partage de Midi. Paul Claudel – qui aime la femme et abomine les invertis –, fait dialoguer en ces termes, à l'acte II, ses protagonistes :


« MESA – Ainsi donc / Je vous ai saisie ! et je tiens votre corps même / Entre mes bras et vous ne me faites point de résistance, et j'entends dans mes entrailles votre cœur qui bat ! / Il est vrai que vous n'êtes qu'une femme, mais moi je ne suis qu'un homme, / Et voici que je n'en puis plus, et / que je suis comme un affamé qui ne peut retenir ses larmes à la vue de la nourriture ! […]


…………………………………..


MESA – Je te préfère, Ysé !


Ysé – O parole comme un coup à mon flanc ! ô main de l'amour ! ô déplacement de notre cœur ! / O ineffable iniquité ! Ah viens donc et mange-moi comme une mangue ! Tout, tout, et moi ! »


[...]



Il faut s'y résoudre : le narrateur n'aura jamais un seul accent dont la justesse, la nouveauté – l'intrépidité ! – justifieraient le désir qu'il dit éprouver pour le corps féminin, le plaisir qu'il prétend en tirer. Toute velléité d'évocation de l'un et de l'autre tourne aussitôt court par un jeu de réminiscences, aperçus, considérations, dont la pertinence, le bonheur d'expression, font oublier au lecteur et l'écriture empruntée de ce qui précède et qu'ils font office... d'esquive.


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Les Murmures de l'amour


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L'amoureuse


Moi qui ne suis peintre, écrivain ou compositeur, laisse-moi donner ma mesure dans cet art difficile : dresser un écran entre la mort et l'aimé.


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L'amoureux


Même si elle mène à la mort, quelle belle pente s'étend devant nous… À l'image de celles que le vent développe quand on le fournit de sable, et qui sont une caresse pour l'œil – à l'égal de ta chute de reins !


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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.


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samedi

15 janvier

ALBERTINE

*

I

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Ayant lu les trois brillants ouvrages que Nicolas Grimaldi a consacrés à la jalousie chez Proust [1], j'ai repris La Prisonnière et Albertine disparue. Avec le même malaise qu'à la première lecture.

« Le goût du monde féminin fait les génies supérieurs ». Le mot de Baudelaire s'applique, à l'évidence, à Proust.

D'une part, La Recherche abonde en figures de femmes qui ont souvent le relief, l'autorité, des héroïnes de grands romanciers ; d'autre part, l'univers où elles évoluent est recréé par une langue qui amoncelle, amalgame, intrique, souvenirs, observations, jugements, impressions, commentaires du narrateur, en des pages qui, à la fois, accablent le lecteur d'un continu bonheur d'expression, et l'humilient à peine : puisque les évocations, les remarques rapportées lui donnent, à tout moment, le sentiment d'une flagrante, irrécusable, authenticité, comment ne s'en était-il pas déjà avisé, même sans posséder une pareille acuité de perception, une égale pénétration des moindres replis du cœur, une même puissance, une même ampleur de la mémoire affective, jointes à la luxuriance de l'imaginaire ; toutes facultés servies par une écriture sarmenteuse, volubile, profuse, dont un fil d'Ariane conjure la complexité du dévidement ?

Il ne reste que de s'entendre sur ce que recouvre l'expression baudelairienne de « monde féminin ».

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Filigranant l'œuvre, l'érotisme y est omni-présent. Il est le mobile majeur de maintes conduites ; de celles du narrateur en premier. Lequel, sans fard, se dépeint en homme de désir qui ne peut voir une jeune fille, en fleur ou non, et de quelque condition qu'elle soit, sans rêver de la héler, la toucher, l'embrasser, la pétrir, la « chiffonner », la posséder. Cela relève de l'obsession, de l'idée fixe ! Cela va trouver, avec la figure d'Albertine, son épanouissement.

Le narrateur a ramené de Balbec l'une des jeunes filles en fleur dans son appartement parisien. Geôlier suspicieux, jaloux à l'extrême, torturant, il la fait vivre en quasi recluse, jusqu'à ce qu'elle s'échappe. Sa mort tragique, la jalousie posthume que l'amant en conçoit, le cheminement en lui de l'oubli, occupant les premiers chapitres d'Albertine disparue.

Il y a, dans La Recherche, de multiples figures féminines qui ne sont guère que des comparses. Mais, avec Albertine captive d'un homme voluptueux, se dit le lecteur qui sait les prodigieux pouvoirs d'introspection, de suggestion, de Proust, nous allons avoir sur la Femme (majuscule de rigueur) un témoignage capital, voire « capitalissime ». Sur sa psychologie, certes ; sur les manifestations du désir qu'elle suscite ; sur l'éblouissement que provoque sa nudité chez un homme qui a, comme Ruskin, « la religion de la Beauté », et qui admire en connaisseur Giotto, Botticelli, Chardin et Monet. Nous aurons, sur les sentiments, les sensations de l'amant caressant le corps aimé, convoité, les vues les plus fines, neuves, saisissantes. Nous aurons enfin, sur l'expérience du plaisir charnel, par essence indicible, une évocation qui passera en vérité tout ce qui fut écrit sur le sujet, y compris dans Lady Chatterley.

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D'un cahier d'esquisses de 1911, j'extrais ces deux citations non retenues dans La Recherche, et qui relatent un rapport charnel du narrateur avec la femme de chambre d'une Mme Putbus.

« Et puis au moment où elle se donna, son visage trouva une simplicité, une douceur, une jeunesse plus grande. On aurait dit qu'il lui paraissait que, donnant des baisers, elle devait y ajouter de la tendresse, de la tendresse si douce et si confiante qu'elle lui donnait l'air d'une petite fille. L'instant de la possession est celui où la femme efface tellement d'elle toute intention, toute passion, se fait si passive et si douce pour se laisser chiffonner comme une fleur qu'à ce moment-là la femme la plus majestueuse et la plus cruelle devient dans son doux sourire silencieux une femme gentille. […] »

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« Je restais alors inerte, me laissant à elle. "Oh ! ça, lui dis-je, dis-moi la vérité, c'est un paysan qui t'a appris ça – Mais non – Mais qui est-ce ? C'est toujours ainsi que j'ai imaginé une caresse paysanne. – Eh bien je me la rappellerai. – Mais qui te l'a appris ? – Mais c'est toi. – Comment, moi ! – Mais oui, c'est toi tout à l'heure qui m'as dit : 'Comme ça'. Alors j'ai regardé ce que tu voulais." J'avais fait comme ces compères de bonne foi qui en donnant la main à un magnétiseur qui a les yeux bandés le mènent sans s'en rendre compte vers le lieu où est caché un objet qu'ils croient qu'il a découvert alors que c'est seulement eux qui le leur ont montré. » […]

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S'agissant d'esquisses, on se doit d'être indulgent pour un style appliqué, sans grâce. Du moins peut-on noter que le narrateur paraît, en la scène, bien peu… partie prenante. Ni quand une femme se donne à lui (et une expérience véritable de commerce charnel avec plusieurs d'entre elles l'eût dissuadé de généraliser l'attitude de la femme dans le don de soi ; ni dans la « caresse paysanne » – l'irrumation ? – qui nous est rapportée en… témoin inquisitif. Et ce n'est pas le passage suivant, tiré du Côté des Guermantes, chapitre II, qui peut dissiper notre sentiment d'inauthentique :

« […] Déjà, au moment où je l'avais couchée sur mon lit et où j'avais commencé à la caresser, Albertine avait pris un air que je ne lui connaissais pas, de bonne volonté docile, de simplicité presque puérile. Effaçant d'elle toutes préoccupations, toutes prétentions habituelles, le moment qui précède le plaisir, pareil en cela à celui qui suit la mort, avait rendu à ses traits rajeunis comme l'innocence du premier âge. […] »

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L'un des plus grands bonheurs d'un amant délicat est de contempler le sommeil de l'être aimé. C'est donc très longuement qu'au début de La Prisonnière, le narrateur nous dépeint Albertine endormie et nous fait part des pensées, des sensations, que ce spectacle lui inspire. Il est seulement dommage qu'à deux ou trois notations près, relatives à « sa chevelure descendue le long de son visage rose [qui] était posée à côté d'elle sur le lit », aux perles de son collier que sa respiration déplaçait, on puisse remplacer de bout en bout le elle de la dormeuse par le il d'un éphèbe sommeillant.

Ce qui se vérifie dans le passage où, sentant que le sommeil de sa maîtresse était « dans son plein », l'amant allait s'étendre auprès d'elle : « je sautais sans bruit sur le lit, je me couchais au long d'elle, je prenais sa taille d'un de mes bras, je posais mes lèvres sur sa joue et sur son cœur, puis sur toutes les parties de son corps, posais ma seule main restée libre, et qui était soulevée aussi comme les perles, par la respiration ; moi-même, j'étais déplacé légèrement par son mouvement régulier. Je m'étais embarqué dans le sommeil d'Albertine. » (La Prisonnière)

Nous ne saurons rien des sensations tactiles, des émois successifs et divers, d'un homme posant sa main « sur toutes les parties » du corps de l'amante (que nulle caresse ne semble pouvoir éveiller !)

Si bien que le lecteur qui a, lui, une expérience vécue de ce qu'Eluard évoque par l'expression de « Nuits partagées », ne voit, dans ces pages, qu'une construction de l'esprit relevant de l'affabulation, tant elle lui donne le sentiment qu'il y a… erreur sur la personne.

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[1] Nicolas Grimaldi: La Jalousie, étude sur l'imaginaire proustien, Actes Sud, 1993; Proust, les horreurs de l'amour, PUF, 2008; Essai sur la jalousie, l'enfer proustien, PUF, 2010.

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Les Murmures de l'amour

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L'amoureuse

Que tu existes, toi que j'ai attendu longuement, désespérément parfois, comme une consolation passée, future, et que tu te ressembles, voilà qui me ferme les yeux d'incrédulité, de gratitude envers le sort.

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L'amoureux

Ah, le bonheur de pouvoir, grâce à toi, saluer enfin la femme sans réticences… Tu ne sais pas comme tu consoles de celles qui sont sûres de soi, mobiles et bavardes, et de quel prix est ton penchant pour le silence contemplatif, quand tu permets à la plage de basse mer qui affleure notre seuil de se dérouler entre nos murs ô femme de grand délassement !

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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.

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1er janvier 2011




MIREILLE BALIN

IV


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Mortes, les femmes qui posèrent pour l'Ève de Cranach l'Ancien, La naissance de Vénus de Botticelli, La Vénus au miroir de Vélasquez, La Grande Baigneuse d'Ingres, La femme dans les vagues de Courbet, et L'Arlésienne de Van Gogh. Mortes, les modèles de La Vierge au rocher de Vinci, La Maja nue de Goya, les Baigneuses de Renoir… Mortes, mortes, celles qui inspirèrent les innombrables figures féminines de l'art universel.


Pourtant, par la médiation d'un grand artiste, leur séduction a échappé à l'enfouissement du corps, à la décomposition des chairs, à l'abîme où l'Oubli précipite la poussière de ce qui fut, un moment, objet de désir, gisement de jouissance.


Cette séduction paraît figée ? Elle ne cesse de fluer jusqu'à nous, constante, inépuisable, dès lors qu'un maître s'est interposé entre le périssable et la postérité et qu'il a exalté l'ascendant du modèle par la décantation du réel, la « traversée des apparences » dont l'œuvre d'art témoigne.


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Je m'imagine, dans un lointain futur, face à un film en noir et blanc, dont je saurais seulement qu'il est d'un médiocre réalisateur. Aussi y entrerais-je comme dans l'une de ces grottes que l'homme a creusées à flanc de montagne pour en extraire un métal précieux, et qu'il abandonne après en avoir épuisé les ressources.


Un demi-jour m'y accueille et je m'efforce d'accommoder sur les parois où des ombres à forme humaine s'agitent… Si mornes, si communes, qu'on tient pour fondé le délaissement du lieu. Or, soudain le gris de la roche s'éclaire. Pendant quelques secondes, il brille des vestiges d'une veine argentifère. Se pourrait-il que cette grotte en renfermât des traces ? J'eus, durant un temps trop bref, la sensation de l'insolite et, davantage, celle de l'incomparable. Cela fut subreptice et me sembla lié à l'apparition d'une jeune femme dont les autres actrices, sans consistance, n'eussent été que le faire-valoir.


Et me voici, espérant que le phénomène se reproduirait, confirmant mon sentiment d'une présence qui, seule, eût échappé au ternissement général. Mais oui, et chacune de ses survenues introduit, dans un milieu fantomatique, un chatoiement de tussor, de taffetas, maniés sous une lumière rasante.


Comme pour me persuader que je ne rêve pas, se projette brusquement, démesuré, le visage de Celle qui, sans même se mouvoir, exténuait ses comparses. Et je suis tel celui qui, après avoir décelé les restes d'une veine de grand prix, s'aviserait qu'un imposant filon, à la radiance intacte, est resté par miracle inaperçu.


Au vrai, ce qui vient d'illuminer tout un pan de paroi, c'est la face d'une femme plénière, nantie de tous ses pouvoirs, à commencer par ceux de gouverner, de dominer chacune de ses attitudes ; de restaurer la noblesse du visage humain, d'en attester la fertilité, d'en transfigurer les traits. De quelle contrée venue ? Sans références, sans plus de justifications que l'opale ou la pierre de lune, elle est l'Étrangère même, la Passante, sans la moindre aspérité qui nous permettrait de la retenir un instant.


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Et c'est ainsi que, grâce au cinéma, la beauté corrosive de certaines actrices disparues continue de nous parvenir comme nous atteint encore la lumière d'une étoile éteinte. Une photographie fait, presque toujours, office d'aide-mémoire. Nous nous heurtons à l'obstination du modèle à garder la pose ; son regard vidé par la fixité opiniâtre du visage. Faute qu'on l'ait épurée, la séduction de celui-ci s'est éventée et n'opère plus ; alors que le film rend aux grands acteurs, aux actrices douées d'aura, leur durée singulière – si instante, nécessaire, qu'elle infuse, colore la nôtre et parfois la supplante, notre souffle soumis aux scansions de la réplique.


Ce ne sont que des ombres ? Celle de certaines femmes, projetée sur un drap grossier, lui donnerait le lustre du satin. Leur visage dont un soudain gros plan nappe, bouscule et happe notre face, leurs galbes, leurs comportements, leurs propos, authentifient la fascination sur l'homme que le scénario leur prête. Qu'elles aiment, rusent, fuient, souffrent, trompent, c'est avec une fougue, une âpreté, une résolution entières qui font paraître languissantes ou sans portée, leurs éclipses.


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Je ne doute pas que cent ans et davantage après la mort de telles actrices, des hommes, à la faveur d'un film oublié, déprisé, découvriront – ravis, reconnaissants et doucement déchirés – à quels sommets une Lilian Gish, une Bette Davis, une Anabella, une Edwige Feuillère, une Anna Magnani, une Ingrid Bergman, une Liv Ullmann, portèrent le magnétisme, l'iridescence du féminin Et qu'ils auront le même saisissement qu'à exhumer, dans une steppe, un bijou scythe ; à révéler, si moderne de facture, une peinture rupestre ; le même contentement qu'à recueillir l'un des sourires incessants que nous fait une Création pourtant contuse, par le truchement d'une mouette planant, d'une palme qui ploie, de l'ourlet sur la plage d'une nappe d'écume, d'un vallonnement de collines à l'horizon…


… Mais aussi par l'un de ces visages de femme où se masse, pour nous prendre à témoin, une clarté de très loin venue : – « Non pareil, inespéré, je suis tel le visage perdu d'Yvonne de Galais que le Grand Meaulnes a tant cherché. En mes yeux, tu trouveras des reflets de Domaine, de château, de « Fête étrange ». Perdus, retrouvés, je suis le chenal, la passe, qui donnent sur le large, quand la plupart des hommes doivent achopper sur la face féminine. As-tu un sentiment d'aubaine, devant mon visage perspective où se laisser doucement aspirer ? Pressens-tu, par lui, la profusion d'oasis que recèle une femme capitale ? Oublie les rôles funestes qu'on me fit jouer – et regarde-moi comme tu ferais de l'Ange de Reims, sourires s'échangeant. »


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Ah ! il nous faut rendre grâce aux inventions qui permettent à des visages que la mort a rendus au néant, de susciter en nous, quand leur image animée apparaît, dans un « Temps retrouvé », un sentiment d'événement, d'avènement. De ceux qui, même infimes, font ce monde accru.


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La seule biographie, mais sensible, fervente, fort bien documentée, de l'actrice, est celle de Daniel Arsand, Mireille Balin ou la beauté foudroyée, Lyon, La Manufacture, 1989.


Sont disponibles en DVD : Don Quichotte, Pépé le Moko, Naples au baiser de feu, Gueule d'amour, Macao, l'enfer du jeu, L'assassin a peur la nuit, Dernier atout.


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Une tête séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, c'est une tête qui fait rêver à la fois – mais d'une manière confuse – de volupté et de tristesse ; qui comporte une idée de mélancolie, de lassitude, même de satiété, - soit une idée contraire, c'est-à-dire une ardeur, un désir de vivre, associé avec une amertume refluante, comme venant de privation ou de désespérance. Le mystère, le regret sont aussi des caractères du Beau.


* * * * *( Charles Baudelaire


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Et ton sourire, ton sourire, soulève dans mon cœur une bourrasque de neige.


* * * * Serge Essenine


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Il y a des femmes qui inspirent l'envie de les vaincre et de jouir d'elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard.


* * * * * * * Charles Baudelaire


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Puissé-je te regarder longuement comme on regarde des flammes.


* * * * * * * * Valéry Larbaud


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