LE ROSSIGNOL
I
Les ornithologues sont poètes, et je prononce avec un plaisir de gorge les noms qu'ils donnèrent aux oiseaux, souvent suivis d'une épithète ou du lieu de prédilection du volatile. C'est ainsi qu'il est des chevaliers gambettes, des rousseroles effarvattes, des pouillots véloces, des mésanges charbonnières, des huppes fasciées, comme il est des cailles des blés, des râles des genêts, des fauvettes des jardins…
Et qu'on ne s'avise de parler des chouettes sans préciser si elle est chevêche, chevêchette, hulotte ou effraie ! De hibou en ignorant qu'il peut être grand, moyen ou petit-duc.
En fait de nom, il en est des oiseaux comme des humains dont certains sont affublés de patronymes peu engageants. Aussi se sent-on moins attiré par le corbeau freux, la pie grièche, voire le traquet terrier ou le fou de Bassan, que par la bergeronnette printanière, la tourterelle, la mésange nonnette, la fauvette grisette. Pour ne rien dire de l'alouette des champs vers laquelle on lève la tête quand, invisible dans les aigrettes du soleil, elle égrise, elle pulvérise du cristal pour en répandre à la ronde l'éclat.
*Il est plaisant d'entendre le coucou. N'aurions-nous pris garde aux véroniques, aux ficaires, aux pâquerettes, que nous saurions, par lui, que le printemps est en vue. Pourtant, ce n'est pas sans condescendance que nous l'écoutons : « On ne peut dire que tu te mettes en frais ! As-tu si peu d'esprit que tu rabâches mornement, à la façon de ces vieux disques sur lesquels l'aiguille achoppait sans fin, aux mêmes mots ? Qui espères-tu séduire par un propos aussi simpliste, hormis une compagne aussi peu causante que toi ? Vraiment le créateur ne t'a pas gâté ! Il devait manquer d'inspiration, à moins qu'Il t'ait destiné au rôle de faire-valoir pour le loriot ou l'hirondelle. Ne pourrais-tu, encore, cesser de jouer à cache-cache ? On le sait que tu te dissimules à demi derrière. Derrière quoi, au juste ? Un tronc d'arbre ? L'arête d'un mur ? Un rebord de nuage ? »
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*– « Il est revenu !... » Le jour qui commence à scinder les volets clos devrait désormais luire sur un monde en ordre. Des années durant, il avait élu un chêne proche pour y publier ses amours. Au jour près, il était là pour des mois, exténuant de son chant tous pépiements, babillages, jasements, roucoulements. Montait vers lui, tel un encens, l'arôme d'un bouquet de seringa, celui d'un pampre de chèvrefeuille. Il ne s'interrompait pas même quand, m'apercevant, le geai des chênes poussait son aigre cri d'alerte. Un cri que je percevais comme une incongruité : l'oiseau ne m'avait donc jamais vu pourchasser le moindre chat à vociférations gesticulantes, une poignée de gravier en main, depuis que j'avais découvert, au pied de l'un de mes arbres – corolle défaite de grande marguerite – le plumage d'une tourterelle ?
*Je me souviens du premier printemps où le calme s'étendit en nappe d'huile autour du chêne d'élection, jusque sur mon toit. Un silence assez semblable à celui qui rend les arbres pensifs, quand s'agrège, en un ciel d'étain, le premier coup de tonnerre. Était-il mort ? Et, si oui, sa descendance serait donc sans mémoire ? Aurait-on jeté un sort sur cet enclos, ce logis ? À l'imperceptible assombrissement des plus beaux jours, je mesurais quel surcroît de clarté ils devaient à un joaillier à l'œuvre en un feuillage luisant. Et de me souvenir du mot de Proust selon lequel il y a « dans l'essence même du présent une imperfection incurable ».
J'ai daubé, tout à l'heure, sur la simplesse du coucou. On me rétorquerait que si la Nature abonde en cris d'oiseaux discordants, en chants de pariade rudimentaires, bien d'autres sont gracieux, qu'ils aient des irisations d'agate, de profuses modulations, un babil de source… À n'en pas douter : j'ai entendu la linotte mélodieuse parée du tulle d'un gazouillis inextricable, sautiller, faire des pointes avec une prestesse de vif argent ; la grive musicienne étager des bribes de trilles d'une ténuité de fibrilles, et nous montrer, par ses torsades, l'extrême ductilité de l'or gris.
J'ai entendu la fauvette Orphée – celle de Grèce – filigraner l'azur d'un dur brouillamini de notes suraiguës. Et l'oreille bientôt renonce, agressée par tant de célérité incisive dans la pirouette et le trémoussement ; tant d'ostentation dans le dessein d'en imposer.
Mais le rossignol !
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Les Murmures de l'amour
*L'amoureuse
Il me plaît de croire que, dans le paysage où nous nous sommes rencontrés d'abord, comme dans ceux qui nous virent après, une ombre double suscite, pour les hanter, des « chambres de feuillage ».
* L'amoureux
Voici l'été, oui, à portée de main, de sein : l'étincellement bas des grillons, le chant en porte-à-faux du coucou le disent, avant même que le rossignol ne fourbisse ses menus galets dans le soir. L'été vient. À belle fille dans l'été, bel été autour de cette fille, nécessairement.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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