arbres vi
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Est-il encore de ces ouches où se rendre, le repas fini, pour y cueillir une reinette du Canada, une « pêche de vigne » ramassée sur sa liquoreuse succulence, une poire William au profil de lourde goutte de vieil or pendue à bout de branche ?
Je demande aujourd'hui, l'été, aux grands arbres qui m'entourent une pulpe d'autre sorte.
Il ne faut l'attendre du pin, du sapin, du mélèze : leurs longs cils ne font pas écran au soleil ; aussi n'offrent-ils, à leur pied, qu'une gaze indécise, élimée. Les feuillus seuls permettent de suivre le conseil qu'Anna de Noailles formulait en ces faibles vers : « Prendre pour vêtement quand la chaleur est vive / L'ombre qui se balance au gré des feuilles vives ».
Encore n'est-ce qu'avec le temps que la pulpe sombre acquiert sa consistance, son efficace (ainsi qu'on le dit d'une certaine grâce). Ce qui invite à la regarder mûrir.
L'hiver s'achève, le coucou s'évertue à nous en avertir. Sur le sol, ne s'esquisse que la configuration des branches charpentières, puis celle de la ramure. Le tissu du feuillage a trop peu de cohésion pour que son ombre soit plus que lambeaux de tulle, touches légères de grisaille. Qu'arrière-pensée qui se peindrait, fugace, sur un front.
Puis, les jours passant, les ombres diluées, incertaines de leurs contours, s'agrègent, s'affermissent, humectent l'herbe – qui en verdoie. Il y a, entre feuillage et couvert, étoffement simultané. Et l'on peut alors parler d'ombrage avec ce que le terme induit de bénéfique pour le règne animal.
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L'ombre d'un arbre est à l'image de celui-ci. Celle du cyprès, dépourvue d'alvéoles, est d'un menhir granitique. Quand le chêne aère la sienne d'ajours, le tilleul, le charme, le châtaignier, nappent le sol d'un épanchement d'encre de seiche en fuite.
L'arbre est amarré à demeure. Assujetti, son ombre est sa sujette. Il la veut, à midi, rassemblée au plus près, telle une couvée ; mais il lui lâche la bride quand le soleil rejoint l'horizon. Elle fait sa révolution autour du tronc ainsi que cheval de manège aux yeux bandés, ou de noria. Ou bête au piquet paissant sans jamais relever la tête.
L'ombre – minérale – d'un mur, d'une paroi, est inerte, d'un tenant, sans profondeur ni franges. Elle n'a de seuil et ne vous souhaite la bienvenue : « Entrez donc ! Il fait si chaud, dehors… » Elle ne vous dévêt : « Mettez-vous à l'aise ! » Ni ne vous offre un bain. Et ni ne drape votre… nudité d'un voile léger, tiré d'un recoin obscur.
À pénétrer sous un couvert, on entre en l'une de ces maisons en pisé, au sol de terre battue, au toit de chaume, aux étroites fenêtres. Et la pénombre vous y est breuvage, à saveur de serein. Elle vous baigne, vous pénètre par osmose. On l'inspire à longs traits, et notre enveloppe, resserrée, tonifiée, s'ajuste à un moi condensé, décanté, pour la mieux goûter. L'âme s'en allège, se distend de l'aise du souffle. Comme au sortir d'une fontaine de Jouvence, l'homme d'âge se découvre rendu à un climat oublié où importaient l'haleine des sources, le ruisseau qu'on barrait d'une retenue de cailloux empilés, de menthe verte mâchonnée, d'osier qu'on écorce à demi pour en tirer des sons.
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L'ombre du noyer passait pour délétère ; celle du mancenillier pour vénéneuse. Mais ne faut-il pas placer au rang des plaisirs les plus raffinés celui d'un sommeil de sieste qui a, pour dais, un feuillage ? Celui d'une boisson fraîche prise sous une tonnelle ? Celui d'un soir englué de touffeur que l'on contemple d'une terrasse arborée ? Jusque dans une lumière déversée à l'aplomb des nuques, un réduit de crépuscule où faire halte ; où – distance prise –, recouvrer l'acuité du regard, la finesse de l'ouïe et du toucher ! Où renouer avec ces espaces à la fois restreints et non enclos où le temps qui écoute vous convie aux aveux et confidences – ô sous-bois des « Fêtes galantes » !
Où résigner son statut de roseau pensant et la figure qu'on fait parmi les hommes.
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Il reste que les plus lucides ne se réfugient sous un couvert qu'avec le sentiment d'échapper à demi à la vigilance d'un Œil aux dimensions de la voûte céleste. Et plus le jour est haut, impérieux, plus l'ombre atteste, pour qui sait voir, la permanence de l'humus, de la Nuit souterraine.
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l'arbre en poésie vi
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Sur le vert plus sombre / Chaque arbre à son tour / Couche sa grande ombre /
À la fin du jour.
Alphonse de LAMARTINE
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[…] Puis plus rien qu'un arbre qui penche / dans l'obscurité de ses branches /
avec son ombre de côté / comme sous un poids qui l'accable ; /
et cet autre se laisse aller / en avant comme un dormeur / qui a les coudes sur la table.
Charles-Ferdinand RAMUZ
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L'arbre à midi rempli de nuit / la répand le soir à côté de lui.
Jean COCTEAU
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Le vénérable chêne qui veille de son ombre comme un chien dans les cours.
Jean MALRIEU
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Oliviers dégageant ses verts de lune en plein soleil
Nathalie BARNEY
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Sous l'arbre d'où pleut la pâleur
Louise de VILMORIN
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L'ombre des arbres dans la rivière embrumée / Meurt comme de la fumée.
Paul VERLAINE
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Vieux peuplier / Tu es tombé / Dans le miroir / De l'eau dormante.
Federico GARCIA LORCA
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Dieux ! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts !
Jean Racine
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La nuit / Il y a des arbres / Où le vent s'arrête / Sans bruit se déshabille //
Et au matin les gens de la vallée / Disent avec un sourire / Cette nuit le vent s'est calmé.
Paul VINCENSINI
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Les cheveux gris, quand jeunesse les porte / Font doux les yeux et le teint éclatant ; /
Je trouve un plaisir de la même sorte / À vous voir, beaux oliviers de printemps.
Jean COCTEAU
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Le Tilleul
Il éveille les abeilles et midi / l'été / l'heure dorée des ruches / l'amour avant l'amour. /
Il donne une rondeur au monde / et mûrit dans la mémoire. /
C'est toute la plus volumineuse richesse / soudain gonflée de lumière légère.
James sacré
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Les tilleuls ont l'odeur des âpres cheveux bruns
Renée VIVIEN
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Une armure sous un arbre / Un bel arbre / Ses branches sont des ruisseaux / Sous les feuilles / Ils boivent aux sources du soleil / leurs poissons chantent comme des perles.
Paul ELUARD
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