Une fille passe
Longtemps, la vue du nu féminin fut réservée aux visiteurs de musées, aux amateurs de gravures, de photographies licencieuses. L'évolution des mœurs aidant, chacun peut à présent, par l'album, le magazine, l'écran, la plage, s'en repaître à satiété. Au risque de méconnaître le privilège qui nous est accordé quand nous apparaît sans voiles un corps de fille, de femme, que le temps n'a pas meurtri.
« La nudité de la femme est la bonté de Dieu », dit William Blake. C'est exprimer le sentiment d'épiphanie que nous éprouvons devant elle : celui d'être en présence d'un corps simple en qui, pourtant, se résumerait la totalité du réel, du sensible, ampleur et saveur confondues. D'un infini encore – de voies, de possibles, d'énigmes, de réminiscences – ramassé en des courbes fermées. Voici, tangible, qui renchérit sur soi, la forme la plus séduisante de la plénitude.
Qu'on peut saisir ? Mais si lisse et tout en dehors, que nos mains s'en irritent ; que nous nous découvrons une écharde sous les ongles. (Ainsi naissent les arts.) Il est des réalités qui nous accablent. Telle cette île qu'est une femme dénudée, sur sa couche, qui surabonde en rivages. Ou cette autre, fraîche échappée de l'Éden, qui se dirige vers la mer. Et quelle clarté – de Voie lactée – elle disperse en sa course, pour qui la voit passer, offerte et réservée, et publiant les droits de la suavité en ce monde !
******************************************************************F. S.
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sur une fille passe
« Point sublime » est une expression qui se rencontre sur les cartes touristiques. Elle désigne non un point dont la beauté propre, la perfection, hisseraient nos sens et notre esprit au suprême degré, mais un lieu élevé, quelque promontoire, d'où la vue s'étend sur le plus ample, le plus saisissant paysage ; d'où l'être est embrassé, épuré, étourdi, par une assemblée circulaire de merveilles naturelles.
Que, dans cette acception, le rivage marin comporte maints « points sublimes », c'est ce que vérifie celui qui se tient au débouché d'un sentier de sable venant d'un camp riverain où la nudité est de règle.
La Célébration du corps que je fis paraître, voilà longtemps, naquit de notes prises, plusieurs étés, de l'un de ces points ; mais très vite, je la jugeai sommaire et à l'excès fragmentée, quand le continuum devait prévaloir. J'étoffai donc le texte, m'attachai à suggérer la coulée de la vision, chez le spectateur, et rêvai, pour ces pages, d'un autre sort que le seul imprimé. Puisqu'à feuilleter rapidement un album de photographies d'un modèle en mouvement, prises à de brefs intervalles, on croit voir bouger celui-ci, pourquoi le lecteur ne pourrait-il, d'un pouce agile, voir passer la fille évoquée en ces pages ? Il ne fallait que trouver un modèle accordé au texte ; un appareil aux possibilités proches de celles de la caméra ; un éditeur disposé à publier l'ouvrage avec, inséré, un cahier de clichés… Le projet n'eut pas de suite.
Quant au texte dont nombre d'images furent reprises dans les ouvrages postérieurs et notamment dans L'Inaugurale – je me garderai de le comparer à son état primitif : ce serait pour ma confusion rétrospective. Puisse-t-il avoir gagné en justesse et, partant, en évidence. Et donner davantage la sensation d'un moment capital : celui, dans la vie d'un homme, où la Création se manifeste à plein à lui, dans son opulence et son harmonie, sa toute puissance, ici gracieuse, et sa violence fourrée.
Encore ai-je le sentiment, comme toujours, que tout reste à dire, et qu'il me faudrait à nouveau gagner un « point sublime » pour voir enfin.
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