L'ECRITURE AU FEMININ , III.
ECRIRE COMME ON CRIE
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Qu'attendais-je, du numéro de « Sorcières » consacré au sang, et d'abord aux menstrues – et que je n'y ai trouvé ?
Les filles de ce temps sont tôt informées de leur physiologie future. Mais n'y avait-il, quand parurent ces pages, de femmes pour nous rapporter leurs sentiments quand, non prévenues, elles virent suinter de leur sexe leur premier « sang » couleur rouille ?
Une fois éclairée, rassurée, l'adolescente voit, dans cette survenue, un fait de nature que force lui est bien d'accepter. Peut-être avec le sentiment que, par ce signe, la féminité en elle se déclare, ce que lui confirmerait le regard de sa mère où se perçoit, avec un surcroît d'attention, une autre façon de la considérer.
On n'a cessé d'être une enfant insoucieuse de son destin organique. Avec ce sang aux apparitions d'abord plus ou moins espacées, se prononce la division du masculin et du féminin. Laquelle infléchit votre regard sur l'autre sexe, votre familiarité avec lui, comme si les jeux accoutumés ne pouvaient plus être innocents.
Des mois passeront avant qu'on ne s'éprouve réglée comme marées, saisons, moussons, et tout ce qui, par le monde, est soumis à retour périodique. Une organisation vitale si inconcevable à l'homme qu'il ne peut que hasarder le soliloque d'une jeune femme se remémorant sa formation : « Enfant, j'ai vécu dans un temps lisse, égal, que jalonnaient les fêtes, les anniversaires, les vacances et les rentrées. Et mon sexe n'était qu'une part de moi, autrement conformée que chez les garçons.
« C'est par lui que la notion de cycle s'est instillée en moi. Par lui, que ma vie est désormais scandée. En secret. Ne rien laisser paraître du rejet, chaque mois, d'un sang superflu.
« Enfant, vieillir me semblait un sort inéluctable dont je voyais autour de moi les effets ; mais la suite des jours avait l'allure des rivières de plaine. À présent que le Temps m'a prise en otage, j'ai découvert, inhérente à lui, une durée qui m'est propre et qui développe en ma vie ses menées, à l'affût qu'elle est de l'instant où Il pourrait s'incarner, se perpétuer.
« J'ai appris à écouter mon ventre. À distinguer quand il est pesant d'être rassasié, et quand sa lourdeur est liée à un délabrement de viscères perdant leur cohésion et se manifestant à la conscience. Et l'on n'a plus le cœur à …, requise que l'on est par ce qui est perçu comme désordre, embarras, confusion internes, subtile entrave à vos gestes, gauchissement des saveurs mêmes. Une sensibilité exacerbée rendant votre humeur moins conciliante.
« Le ventre ! Je n'en avais connu que l'aise béate et la quiétude, et son affinité pour la paume. J'ai appris qu'il pouvait être ombrageux, comme friable quand, enfant, je le sentais dense, et ferme son ovale.
« L'homme peut oublier le sien, hors les maux fortuits qui l'affectent. Le mien est au cœur de mes pensées d'implicite vigilance.
« Entrailles n'est qu'un mot pour l'homme, dont il use à la légère ou avec malice. Non pour moi : ce terme a maintenant, dans mon corps, une réalité. Celle d'un réduit, d'un obscur fourré de chairs d'où mes émotions procèdent, autant et plus que du cœur. Fille non formée, la gestation m'était une abstraction dont je voyais sur d'autres les signes mais que je ne m'intégrais pas. Je sais maintenant qu'en mes entrailles – masse spongieuse de viscères à la complication des fleurs de pivoine – gîte une part capitale de mon sort. Comment, en conséquence, se conduire en l'oubliant ? Et comment ne pas se sentir vulnérable puisqu'un homme a, par elles, le pouvoir de bouleverser votre destin ?
« Que je sache conjurer les trames du Temps ne me dispense pas de penser à vous, mes sœurs, chez qui le plaisir charnel, déjà aléatoire, fut toujours corrompu par l'angoisse d'être "prise" dans les rets de l'oiseleur tapi en vous… »
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Les Murmures de l'amour
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L'amoureuse
Je pense à ces jours d'apparent détachement de ta part… Comme j'avais perdu ma belle assurance de fille aimée (un mot que je n'osais plus me dire) ; comme l'incertitude éprouvante s'était substituée à la quiétude qui était jusqu'alors mon climat…
L'amoureux
Est-ce parce que tout est fourré, en toi ? Il n'est pas un de tes contours qui ne devrait être un peu écrasé du doigt par le dessinateur qui ferait ton portrait au fusain. Pour rendre et ta douceur, et avec quelle faveur l'air t'aborde.
François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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