L'éCRITURE AU FéMININ IV
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Écrivaines
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Sappho, Louise Labé, Madame de La Fayette, Madame de Staël, George Sand, les sœurs Brontë, Emily Dickinson, Eugénie de Guérin, … Au long des siècles, des voix tenues pour adventices s'élevèrent, en marge de celle de l'homme, pour exprimer au féminin les mouvements d'un cœur, les aspirations d'un esprit. Pour composer des poèmes, conter quelque féerie, agencer une intrigue romanesque, tenir un journal, écrire des lettres d'amour, voire disserter ou requérir. Mais toujours avec le sentiment que le chant, le raisonnement, étaient l'apanage de l'homme ; que celui-ci exerçait en ces domaines, une prépotence qui vous reléguait au rang d'épigone, de disciple… attardée, dont l'œuvre vous vaudrait au mieux la condescendance qu'a le maître des lieux pour ce que ses proches se hasardent à dire après qu'il a parlé.
Outre qu'une œuvre appelée à durer se réalise contre ce qui est communément reçu, sa genèse s'assortit d'exigences tyranniques, presque toujours inconciliables avec l'image, le statut traditionnels de la femme. Réclusion volontaire opiniâtre, alors même qu'à ouvrir sa porte d'entrée, on goûterait la spacieuse vacance du beau temps, la constance d'un paysage ; refus du livre, du magazine, du passe-temps qui vous divertiraient ; déni des contraintes sociales ; dédain des reproches d'êtres à qui vous vous devriez, autant d'astreintes auxquelles votre condition vous interdit de faire droit – quand elles ne vous semblent pas contre nature.
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S'étant, en maints pays, libérée de son oppresseur séculaire, la femme a pris la parole. D'abord pour instruire notre procès. Puis, sous le couvert d'une fiction plus ou moins flasque, nous faire entendre sa voix.
Il n'est d'homme aujourd'hui qui souscrirait au sarcasmes d'un Baudelaire envers George Sand. Nous avons, à les lire, trop à apprendre sur elles-mêmes, leurs attentes, leur regard, pour dédaigner des écrits que l'on suppose médités, formulés, avec le dessein d'éclairer, toucher, convaincre le plus grand nombre.
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Réservant le terme d'écrivain aux femmes qui surent « qu'écrire est un art » – de Mme de La Fayette à l'auteur de La maison de Claudine, en y incluant des talents, des génies aussi divers que Jane Austen, Virginia Woolf, Catherine Pozzi et en y ajoutant une Marguerite Yourcenar, nous ferons volontiers droit à celles qui se revendiquent écrivaines, parfois auteures ou autrices, en regrettant que tant, dans leur rangs, soudain conscientes de leurs… mérites, ne briguent les noms, fort honorables, d'écriveuses, écrivailleuses, écrivassières. Et sans nous dissimuler que nombre d'hommes pourraient prétendre à de tels titres.
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L'ouvrage intitulé Le Jourde et Naulleau1 devrait être en toute bibliothèque, publique ou privée, qui se respecte. Parodie pince-sans-rire du « Lagarde et Michard », on feint d'y soumettre les gloires littéraires de ce temps aux exercices traditionnels de l'explication de texte.
L'hilarité continue du lecteur se double, au fil des chapitres, d'une stupéfaction multiple : Il est des femmes (des hommes aussi) pour écrire de telles falaises ? Pour les adresser à un éditeur ? Des maisons ayant pignon sur rue pour les publier ? (Dont celle qui se glorifie d'avoir édité Proust, Valéry, Gide, et tout ce qui compta au XXème siècle !) Il se trouve des critiques pour en rendre compte, l'éventuel et rare dénigrement ne contribuant pas moins que l'éloge à la fortune du livre ? Des lecteurs assez masochistes pour « suivre » l'auteur, quand le seul mouvement approprié serait de renvoyer l'ouvrage à l'éditeur avec cette injonction : « Remboursez ! » ?
Les auteurs du Jourde et Naulleau, se dit-on, ont dû choisir, dans l'œuvre de l'écrivaine étudiée, les seuls extraits malencontreux leur permettant d'exercer leur causticité. – Je suis en présence d'un choix tendancieux, et l'on ferait, dans La Recherche même, un florilège de passages malencontreux. Afin de juger avec équité, je me dois de lire les ouvrages brocardés.
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Les figures de l'insignifiance, le mot étant à prendre à la lettre, sont innombrables ; mais leur commune essence est de ne laisser en nous de traces. Pour m'en tenir aux romans de nos écrivaines que j'ai lus, je ne saurais, ma vie fût-elle en jeu, résumer une seule… absence d'intrigue ; isoler, caractériser un seul des personnages dans le papillotement de prénoms qui leur tient lieu d'identité. Même l'ectoplasme a une réalité. Ces malheureuses créatures en sont privées mais s'agitent, se rencontrent, parlent d'abondance dans un langage de roman-photo, font l'amour à la façon des oiseaux – au gré de la montreuse d'images. Telle est leur inanité, qu'ils la communiquent à l'univers aseptisé où ils font semblant d'exister. Un monde si encombré du Moi de la narratrice, si fertile en vaines agitations qu'on n'y a le temps de goûter la saveur de l'air, la couleur du jour ou l'oiseau qui passe. « L'enfer, c'est les autres », disait Sartre. Coupé des éléments, privé de durée romanesque, voué à un perpétuel présent, ce monde pourrait assez bien figurer un avatar de l'enfer sur terre.
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Et l'on referme le livre, une action de grâces aux lèvres : – Allons, ce n'était qu'une fiction – incrédible de surcroît. Et revoici le ciel, des nuages aux reflets de meringue, les coulées basaltiques des cyprès, le front d'une cycliste s'ouvrant l'espace … Mes sens me sont rendus qui m'insèrent au plus juste en un monde où, par chance, il est d'autres espèces de femmes que celle qui vient de me saouler de mots, sans se douter qu'elle fournissait des armes aux misogynes. Car quel homme bien né consentirait à lui serrer la main, connaissant ses accointances et ses propos ? Quel s'en éprendrait, sachant quelle balle d'avoine est pour elle le mot amour ? Au risque, au surplus, d'être en filigrane de son prochain « roman » puisqu'elle multiplie rencontres, aventures, coucheries, pour pouvoir être présente à chaque rentrée littéraire.
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[1] Pierre Jourde et Éric Nauleau, Le Jourde & Nauleau, Précis de littérature du XXI e siècle, 2004.
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Les Murmures de l'amour
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L'amoureuse
Si je t'écris longuement, ce n'est pas par un travers de bavarde, mais faute d'avoir trouvé le mot – unique – où tiendrait mon amour. Sens-tu, à me lire, mon désespoir d'être « muette » ?
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L'amoureux
Comme la Mathilde de Neruda, tu es de celles qui viennent à vous les paumes pleines de froment.
De celles qui, par coulées et mèches, ensemencent l'espace dans le temps même où elles y perpètrent leurs ravages.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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