l'amante (fin)
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M'ouvrir démesurément à toi me ferme la bouche.
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Apprends-moi à te désigner par ces mots : « Mon amant ».
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« Coucher avec toi… » Cet énoncé est sans ambages, mais il creuse la couche où te recevoir ; où ensemble couler à pic. Il dit la femme écorchée (ce sexe !), brûlée, affamée, sur laquelle tu t'étendrais. La violence que lui fait son sang appelant ta violence.
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L'amour, la mer. Je serai et la barque où s'allonge l'homme de barre, et l'île qu'il aborde, riche en anses de sable, rias, plages et dunes. Sans omettre le lagon – à l'ascendant de mer des Sargasses.
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Mon sexe ? Un étroit pertuis mais qui débouche sur quelle étendue, à en juger par ton visage qui semble affronter une mer miroitante, convulsée par une lame de fonds !
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Nous prendrons le temps. Moi de me faire spacieuse au-dedans, toi de m'envahir, de me renfoncer en moi. Tous deux de nous gorger l'un de l'autre.
Et que je voudrais alors être plus creuse encore, et que ton sexe atteigne ma gorge et lui apporte à la fois un goût de miel et de sel !
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Je découvre, femme, la présence en moi, d'une chose inconcevable : l'intime. C'est trouble, obscur, palpitant et chaud – et cela ne peut être offert qu'à un homme élu. Cela se confond avec la conscience d'être savoureuse.
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Oui, embrasse la rose noire et pourpre pour en multiplier les pétales jusqu'à en faire une aurore.
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Ce que j'aime ? Quand nous nous désaltérons ensemble à nos sources réciproques et que chacun en est si fort réjoui qu'il peine à réjouir l'Autre. Quand lentement, quasi religieusement, nous accordons nos sexes, nos bouches, nos souffles, nos vies. La plénitude que j'en retire !
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Je pourrais dire la succulence du fourreau de nougat que ton sexe fait de moi ; les floralies que tu fais éclore en mon ventre… Mais si c'était une vendange de muscat qu'on foulerait à même mes entrailles ?
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Tu es l'homme à qui je n'eus besoin de dire : « Suce le lobe de mon oreille ! Pèse, de tes dents, sur ma nuque ! Laisse errer ta main sur mon ventre ! Entends mon sexe qui voudrait te manger la face. Fais-le moi goûter à pleine bouche ! … » À croire que tu fus femme dans une vie antérieure.
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Ce mal étrange que j'ai, dont je ne veux guérir, ne le laisse plus en paix ! Passe mon corps au fil de l'épée. Achève-moi !
Puis viens m'habiter : mon intérieur, doublé de velours, devrait te plaire, et tu y as table mise.
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Le désir se tait ? Il se ramasse pour mieux bondir à la faveur d'une inflexion, d'une musique, et apposer sur vous ses tentacules en toute place divisible.
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Quels pouvoirs, à cet égard, ont tes mots ! À celui de scissure, ma chair bronche, s'émeut, se souvient de l'échancrure, de sel et de moka, qui me rend plus consciente d'être vivante.
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Ce que le mot de fessée alerte, c'est en moi le plus trouble, comme à lever, de la pelle, un peu de la vase des petits ports à marée basse.
De toute façon, tu es le « dernier » mot.
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Pénètre en moi jusqu'à rejoindre les racines de mon être, et fais-leur entendre raison : fasciculées, elles se font nasse pour mon sang.
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Ne me reproche pas trop ma passivité dans les jeux amoureux : comme, sous tes mains, ta bouche, ton sexe, la fête est toujours neuve, je suis bien trop occupée à me laisser entraîner, captiver … J'ai pu, avant toi, avoir des fantasmes érotiques. Mais les surprises du réel ! …
J'aspire à la fois à m'ouvrir à ce qui me renfoncera jusqu'au butoir interne, et à m'enclore pour que la résonance soit à son comble quand la houle de plaisir se répercute, s'entrechoque sur mes parois internes
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Toucherai-je jamais le fond de ma faim de toi ?
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Le plaisir ! Rompus tous les fils qui m'amarrent à la terre, le plaisir m'éventre et laisse mon ventre extasié. Telle le sable quand il a amassé son content de soleil, béante, mes bras se refusent à moi. Je ne sais plus même sourire.
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Est-ce illusion, ce sentiment que vous donne le plus haut plaisir, d'une connaissance entière, immédiate, de l'Autre ?
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Que tu me réjouis quand tu me dis haïr les œuvres en collaboration et vouloir être mon unique créateur – de ce ton sans réplique de despote éclairé, qui vous ploie la nuque – pour qu'on la lui tende !
N'oublie pas cependant que je puis te disposer dans le fil de ma bouche et de mes cheveux. Te prendre dans mon ventre et te faire tout petit, tout pâle.
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Ah ! être à ta merci et avoir autorité sur ton corps ! Me poignarder de ton sexe – et te défaire ! Et moi avec.
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Mes sommeils n'avaient de saveur. Tu leur en donnes une : celle de se réveiller en découvrant que la réalité passe le rêve ; qu'il a pris consistance.
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Et que je goûte les nôtres ! Peau contre peau, tu m'infuses, par capillarité, ta quiétude et ta force. Et qu'il m'est doux de percevoir, jusque dans ton « absence », ta vigilance à mon égard, à peine je me disjoins !
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Ah, dériver de sommeil en sommeil, toi pour pilote !... L'éveil, le grand jour, donnent leurs chances au cœur, à la chair. Mais c'est dans les sommeils mêlés que l'âme jouit de sa plénitude.
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Tu m'as fait découvrir le charme des lits étroits, mes cheveux étalés pour que tu y poses ta tête. Leur senteur d'herbe séchée pour mieux t'ensevelir.
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J'aime m'éveiller sous ta main. C'est plaisir de se sentir et encore engagée dans le sommeil commun, et juste assez dissociée pour te reconnaître – comme chance à savourer.
Mais j'aime non moins que tu t'éveilles sous ma main, attendu par qui se forge une félicité d'un nouveau jour avec toi.
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Ah, ces aubes où j'ai si précisément rêvé de toi que mon ventre n'en finit pas de fleurir !...
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Je loue nos sommeils. Mais le bonheur d'être allongée auprès de toi peut me tenir éveillée toute la nuit…
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