VUE SUR LA MER* XIII
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La vue d'une frondaison de printemps, d'été, décante nos humeurs, nous rend bénin, comme à contempler les perspectives d'un jardin de Le Nôtre.
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La vue d'une frondaison de printemps, d'été, décante nos humeurs, nous rend bénin, comme à contempler les perspectives d'un jardin de Le Nôtre.
Au simple plaisir d'être qu'éprouvaient les oisifs des « Assemblées dans un parc » de Watteau, le bleu adjoint la touche d'allégresse, de douce exaltation que donne un beau temps établi sans conteste, tel qu'il semble baigner à demeure l'Orient de nos songes, ou se soumettre les palmeraies et les déserts.
Bocages, prairies, dispensent l'aise, le plaisir. Il semble que le bleu soit la dominante du bonheur, comme si cette couleur excluait la pauvreté, le malheur, la violence !
Prémisses d'un été vaste et pur, les premiers beaux jours nous font augurer d'un loisir épandu où se fondre. Et en quel lieu le rencontrer mieux, qu'en un rivage marin ?
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Si nu que soit le bleu du ciel, en nos climats, la mer est son bassin de décantation. Il s'y dépose – par pesanteur ? – jusqu'à paraître minéral. Et l'on pourrait l'associer ici au cobalt, là au saphir, au lapis-lazuli, chers à nos poètes d'hier ; là encore, au bleu-de-four, à l'azur des écus …
Voici, instable, le bleu en tous ses états, qui se mêlent et s'échangent, de la pervenche à l'ardoise, de l'indigo, du tournesol au bleu du paon qui roue. L'outremer pour résultante.
Ai-je tort de voir en ce terme, un bleu en gloire, d'extrême altitude, un bleu de Fauve et d'entendre Matisse : « Quand la couleur est à saturation, la forme est à sa plénitude » ?
« Un bleu intense », dit le dictionnaire. Plus profond, ici, d'être soutaché de bouffettes d'écume. Et comme tenté par le Noir, gagné qu'il est par un outre-horizon ténébreux qui dévalerait jusqu'au rivage.
Le soleil brille, il fait grand jour. Mais si la Nuit, n'ayant d'arbre où se réfugier, s'était massée là – et l'on ne peut s'y méprendre : c'est une voix d'ombre, d'outre-tombe, qui murmure ou gémit.
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De ma fenêtre, je vois, telles qu'en une coupe géologique, trois strates s'étager : l'assise est d'ocre, aux couleurs de sciure de bois humide ou sèche ; au-dessus d'elle, le gisement des eaux marines, enfin la couche, si meuble, de poussière de corindon.
Une profusion d'oriflammes attise et oriente l'espace mais l'heure est à la sédimentation. Stables, la plage et le ciel ; placide, l'océan, sous son agitation épidermique…
Savent-ils, ces minuscules baigneurs qui n'ont d'yeux que pour les parements d'hermine qui giclent et bouffent par accès, qu'une rumeur de lointain orage ne noircit pas que le ciel ?
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Photos Ph. Giraudin
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* Suite de la chronique de l'été 2013 (I à XII)