RÊVERIE AUTOUR DE LA ROSE (1)
*
Au commencement était l'églantine, parente de la rose et, comme elle, « en cotillon simple ». Une fleur à cinq pétales, sans apprêt, ni dessous, épanouie comme un « ravi » de village.
Une épure, comme proposée à l'homme qui relève le défi, pour peu qu'il pratique l'hybridation, la greffe, le bouturage ; et qu'il ait des dispositions de peintre, de céramiste, de tourneur, de parfumeur.
L'ébauche étant telle, il devait être possible de redoubler cette corolle sommaire, d'en multiplier les pétales ainsi que dans la pivoine ; de les assemble en vortex, de leur donner un gracieux retroussis évoquant la coupelle ; de les animer en rondes concentriques.
L'églantine s'agence autour de son centre qu'elle exhibe avec ses étamines ; la rose a un cœur qui ne se livre au regard. L'églantine est statique ; la corolle de la rose est tourbillonnaire. Plus lente vers les confins, la valse se fait de plus en plus tournoiement jusqu'au vertige au milieu du bal.
*
Qui songerait à faire un bouquet d'églantines, pour rehausser les couleurs de son chez-soi ? Une fleur se doit de héler l'abeille par ses coloris, nous rappelant à l'occasion combien ce monde est diversement seyant aux yeux. Création savamment élaborée, la rose se devait d'avoir des teintes qui en fissent valoir la singularité des pétales, de leur contour, de leur disposition.
L'émailleur qui met une pièce au four ne sait précisément quelle nuance il obtiendra. Ainsi du rosiériste : que d'essais pour parvenir à ce rouge violacé, velouté ; à ce crème ourlé de pourpre ; à ce bleu-mauve ; à ce jaune veiné de rouge… Et l'on poursuivrait sur des pages, jusqu'à épuiser le nuancier d'un haut ou bas-licier. Et c'est parfois le revers du pétale ou son ourlet qui nous offre une teinte distincte et rare. Chaque rose interrogeant, comme une Christine de Pisan : « Suis-je ? Suis-je belle ? » Voire, la plus séduisante ? Car la compétition est implicite en l'espèce.
Des femmes ne se parfument pas. Des roses se contentent d'être belles ; mais l'un de nos sens n'en est-il pas frustré ? N'y a-t-il pas là souci de garder ses distances, quand les odorantes nous inclinent la tête jusqu'à épouser leur corolle de notre visage pour en humer l'essence allègre ou lourde, lèvres à lèvres en un baiser multiplié ?
*
L'horticulteur nous montrerait, lors de leur floraison, des haies de roses, des rosiers grimpants, paysagers, sur tige, étalés. Et nous avons, avec le foisonnement, le grouillement de la fleur, souvent de petite taille, un sentiment d'uniformité, de banalité.
A la multitude, l'amateur de roses préfèrera sans doute celles dites « à couper », composées par de grands couturiers en hommage à une célébrité, à une couleur – ô « cuisse de nymphe émue », ô « virgo » –… roses reconnaissables d'emblée à leur aspect, et qu'une main, féminine d'abord, aura plaisir à cueillir pour les disposer en un vase au long col.
Et le logis de se trouver relevé par cette touche ardente ou tendre, d'où rayonne la distinction.
*
Il est des roses au bouillonné si profus – telle la « cent-feuilles » – qu'on ne serait pas étonné de les entendre nous dire : « Déshabillez-moi ! » tant elles semblent s'étouffer sous leur amas de cotillons.
Le temps s'en charge.
Jour après jour, nous voyons bientôt l'arbuste défleurir et n'être plus que ramure et feuilles, souvent rouillées. Mais rien plus qu'un bouquet de roses ne nous donne l'impression de l'inexorable. Pièce à pièce, feuille à feuille, la plus belle rose se défait en brusque larmes espacées, heurtant la table d'un petit bruit mat, si prégnant dans le silence qu'il vous accable intimement : l'implacable se manifeste à vous, et le poète nous apprit qu'il n'épargne pas même la beauté – ce qu'il s'est empressé de ressasser, non sans arrière-pensée, à la femme convoitée.
Le règne végétal a des défeuillaisons soudaines. Une nuit y suffit parfois, qui nous laisse, au matin, avec le sentiment d'une incongruité de la nature, d'un manquement à l'ordre établi . Mais l'effeuillaison d'un bouquet – de roses en premier –, a des tintements à peine audibles, mais de glas ponctuant une déchéance que rien ne saurait ralentir.