basilique
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J'ai vécu en une plaine dont les géomètres, venus de la ville, avaient, remembrant les propriétés, démembré les paysages. Ennemis-jurés de la haie, de l'arbre, ils ne laissaient qu'horizons de mer à marée basse, où les étés prenaient leurs aises, crevassant la glèbe, asséchant les mares, alvéolant leur vase.
Comment, les jours d'oisiveté, s'échapper de la tour où la touffeur vous tenait captif ? Gagner la forêt, à quelque distance ? Le feuillage amolli, pantelant , y serait sans force contre la foudre diffuse qui tombait du ciel.
Il me fallait pousser plus loin, où je savais trouver un autre milieu.
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Cette chape sur les épaules, d'une fraîcheur presque âpre, comme à pénétrer dans une caverne à concrétions ? Mais non, l'air y serait statique et celui qui me resserre les pores et m'assèche le visage, me parvient faiblement pulsé.
Au surplus, il n'est de grottes aériennes. Si vaste, de surcroît, avec de multiples piliers.
J'entre dans une basilique ayant pour plafond un fouillis d'arceaux portant feuillage. Je m'enfonce, du regard, à même le vert – couleur des plus rafraîchissante – le vert en suspension, le vert à mes pieds, car il y a de l'eau, verdie de lentilles.
Il y a de l'eau. Stagnante ? Le reflet des arbres donne à sa peau la chair de poule.
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J'ai pris une barque. Je navigue parmi les moires que je froisse à peine, qui se rétablissent aussitôt. Nefs et bas-côtés forment un damier liquide où, dirait-on, se perdre à l'infini. Y a-t-il une issue à ce dédale ? Si semblables, pour qui n'habite cette contrée, sont les canaux, les fossés, les rigoles… Semblables, les têtards, pilotis qui soutiennent le dais de verdure et vous font une escorte permanente.
Semblable l'eau, sur laquelle glisser, quand disparaissent les lenticules, sur un parquet laqué, à l'éclat de Galerie des Glaces.
Indolente, elle appelle des gestes mesurés qui ne rompent l'harmonie omniprésente. Tout bruit, tout mouvement, qui ne procèderaient pas de l'équilibre des éléments, seraient ici éraflure, incongruité.
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Où est donc l'homme, réputé brusque, turbulent, se demande-t-on, dans ce silence rompu d'un frouement d'oiseau, d'un craquement de branche, d'un meuglement, mais qui ne cesse de se reprendre en masse ? L'homme ? Il est en l'un de ces rares villages de pierres, souvent en petit appareil, où l'on a, à l'arrière du logis, son embarcadère pour vaquer à ses affaires – et gagner sa dernière demeure en terre ferme.
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Telle est, dans le Marais poitevin, la partie dite mouillée. Et quelle fraîcheur, encore, d'y retrouver des paysages du XIXe siècle, que prisaient les Impressionnistes !
Quand, demain, je me heurterai à nouveau aux murs courbes, feutrés, de la touffeur, je m'interrogerai : – Ai-je rêvé ce lent glissement arrière, dans une clarté d'aquarium, dans un silence conviant à des gestes de célébrant – et cette fraîcheur d'âme qui descendait sur vous, comme une grâce, pour vous ondoyer ;
ou devrai-je convenir qu'il est encore, fait d'eaux languides balbutiantes, d'arbres gorgés de sèves, de silence traversé d'infimes susurrements, une manière de monastère où retrouver le climat des Origines, « au temps où les bêtes parlaient » », et où faire retraite mieux qu'à Port-Royal des Champs ?
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À lire : Ernest Pérochon, Les Gardiennes
( La vie des Maraîchines pendant la Grande Guerre )