Pour des raisons inconnues, la mise en forme du blog du 15 octobre ne s'est pas faite selon les directives données à l'ordinateur; aucune correction n'étant possible malgré de nombreuses tentatives.
Voici donc le texte remis en ligne "normalement".
Voici donc le texte remis en ligne "normalement".
SUR DES LETTRES D'AMOUR*
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I
Y eût-il, dans la correspondance amoureuse de tous les temps, une femme qui écrivit quelque dix-huit mille lettres d'amour au même homme durant cinquante ans ? Ici s'impose le nom de Juliette Drouet vouant au poète Hugo une vénération à laquelle la mort de l'amoureuse seule mit fin.
Qu'un auteur dramatique et l'une de ses interprètes s'éprennent l'un de l'autre, rien de plus commun. Mais rarissimes, les développements que prit la liaison de Juliette Drouet avec Hugo.
En 1833, date de leur rencontre sur le plateau de Lucrèce Borgia, il est déjà le poète, le dramaturge, le romancier qu'on admire, célèbre, et bien au-delà de nos frontières.
Encore meurtri de la trahison de sa femme avec son ami Sainte-Beuve, il ne pouvait ignorer ce qu'a de fallacieux l'accolement d'amour et de toujours. Sauf qu'avec Juliette, les deux termes allaient se trouver indissolublement liés.
« Je ne crois qu'aux témoins qui se font égorger », a dit Pascal. Nul doute que Juliette eût donné sans hésiter sa vie pour l'être passionnément aimé, et non dans un accès d'exaltation passager, mais avec une résolution de tous les instants.
Elle le dit, le répète et il faut l'en croire. Au demeurant, Hugo sait bien qu'elle lui a, à son corps défendant, sans doute sauvé la vie lors du coup d'État de « Napoléon-le-Petit » qui conduisit Hugo à l'exil pour dix-huit années.
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Pour une femme éprise, la fidélité va de soi. L'amour farouche qui est le sien exclut tout accroc fut-ce en pensée – de part et d'autre s'entend. Or, elle aime un homme en vue, glorieux, entouré, et d'abord au théâtre, de jeunes et jolies « créatures » sans vergogne. Les tentations sont donc multiples ; encore Juliette ignore-t-elle combien un artiste a besoin de varier ses motifs d'inspiration, n'importe la foi jurée. La suspicion, la jalousie seront dans un filigrane de maintes lettres, ou s'éclateront parfois avec véhémence ; tout message s'achevant néanmoins sur une note plus conciliante, car on se sait emportée, excessive, et l'on craint de déplaire à l'aimé.
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Possessif, Hugo ne l'était pas moins. Le fiancé d'Adèle Foucher lui avait écrit que loin de considérer la jalousie comme ridicule, il voyait en elle une preuve d'amour et ne pouvait blâmer son ombrageuse jalousie, « essence de cet amour chaste, exclusif et pur que j'éprouve», ajoutait-il.
Les milliers de lettres de Juliette sont d'une amante irréprochable que la tentation ne saurait effleurer. Pourtant, c'est dès l'année de leur rencontre que « l'injuste et soupçonneuse » jalousie de l'amant se manifeste envers Juliette qui se voit reprocher, selon ses termes « les souillures de sa vie passée ». Reproches qui blessaient au point de songer à rompre. Sans en être capable. Du moins céda-t-elle aux instances de Hugo qui lui fit quitter le métier, la vouant à une vie modeste en des logis qu'il lui louait ; vie de semi-recluse passée à attendre la visitation quotidienne du dieu, toujours trop brèves, sources de béatitude infinie, de frustration et d'amertume, un « régime cellulaire dans toute sa rigueur » pour citer Juliette, mais l'on pense aussi à la novice qui a fait ses vœux et se condamne à la clôture.
Reste que Hugo est homme fêté, adulé, et dans la pleine possession de ses sens. Quel homme ainsi favorisé du destin ne serait-tenté de faire siens les propos de Don Juan à son valet Sganarelle :
– « Quoi ? Tu veux qu'on se lie à demeure au premier objet qui vous prend, qu'on renonce au monde pour lui et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? [...], non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer.
« Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve [...], j'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point à mon âme à faire injustice aux autres, je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes autres [...] Les inclinations naissantes après tout ont des charmes inexplicables et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. »
On sait par quelle insigne indélicatesse – d'aucuns diraient « bien féminine » – Juliette apprit ce que tout Paris savait : la liaison de Léonie Biard et du poète.
Il ne saurait être question de juger, de condamner, mais pour commune que soit sans doute, chez l'infidèle, cette justification, on comprend que Juliette ait pu écrire à l'aimé, « avec horreur et dégoût » : « Je me souviens aussi, mon Dieu, que le jour où tu pris ta santé pour prétexte d'une séparation physique, tu en adorais une autre. » A quoi le misogyne répliquerait que les épouses ont bien leurs migraines fictives. Sauf que Juliette lui rétorquerait, comme elle écrit à Hugo : – « Qu'est-ce qu'un amour qui a besoin d'un tiers pour se satisfaire ? Quoi, vous avez besoin de plusieurs corps pour un seul amour, quand le mien voudrait avoir deux âmes pour mieux vous aimer. Quelle profanation de l'amour ! »
Les exils successifs, la conduite exemplaire de Juliette, son âge qu'elle semble se plaire à souligner – preuve de sa constance – auraient rendu outrageant tout soupçon de la part de l'amant.
Hugo et les siens revenus en France après Sedan, il est sûr que Juliette n'a jamais baissé la garde, à en juger par le « sublime misérable » dont elle traite Hugo pour avoir célébré la belle Judith Gautier.
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*Juliette Drouet « Mon grand petit homme »
Mille et une lettres d'amour à Victor Hugo
Choix, préface et notes de Paul Souchon
Éditions Gallimard
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Citations relevées par Paul Souchon, dans sa préface.
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J'ai le délire de l'amour, comme d'autres ont le délire de la fièvre.
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Mon amour m'enivre au point de faire vaciller ma pensée, mais mon âme te contemple avec une fixité d'adoration que rien ne peut ébranler.
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Je t'aime chaque jour d'avantage, je t'aime plus que le premier jour, je t'aime plus qu'hier, plus que ce matin, plus que tout à l'heure.
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Si grand que vous soyez, j'ai de l'amour par-dessus votre tête.
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Pour vous dire que je vous aime, un mot suffit. Mais, pour vous dire à quel point je vous aime, il me faudrait une feuille de papier plus grande que la grande muraille de Chine.
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Regardez dans mon cœur, vous m'y trouverez à genoux devant mon amour.
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Le 11 février 1865, Juliette dira encore :
« Je t'aime, voilà tout mon esprit. Il me suffit, s'il te suffit, et je ne demande pas d'autre supériorité devant Dieu ni devant les hommes. Tout ce qui n'est pas amour n'est, de ma part, que foin et remplissage que j'entasse pêle-mêle sans m'en soucier autrement. »
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Victor Hugo dira de ces lettres où Juliette laissait parler son cœur, où elle se confessait, où elle priait : « Tes lettres, ma Juliette, c'est mon trésor, mon écrin, ma richesse ! Notre vie est là, déposée jour par jour, pensée par pensée. Tout ce que tu as rêvé est là, tout ce que tu as souffert est là. Ce sont autant de petits miroirs charmants dont chacun reflète un côté de ta belle âme ».