SERAPHINE DE SENLIS
II
« Je vois », disais-je, mais le mystère demeure. Celui d'une autodidacte, – même si, adolescente, elle a pu s'initier à l'art par les cours du professeur de dessin de l'institution de jeunes filles où elle était employée –, le mystère d'une autodidacte qui réalise des compositions qui ont, comme d'instinct, l'équilibre, la puissance chromatique des œuvres accomplies ; de celles à qui rien ne manque pour que se réalise en nous « la traversée des apparences », quête tacite de tout artiste.
Chaque tableau, chaque buisson ardent, semblent relever du jaillissement ; il ignore les tâtonnements, les repentirs ; il s'impose à nous dans son agencement luxuriant d'éléments naturels – tronc d'arbre, feuilles et fruits que magnifie un pinceau continûment inspiré. Et l'on achoppe ici à l'énigme de l'inspiration. Pourquoi certains poètes, écrivains, paraissent-ils écrire sous une dictée où les mots s'agrègent avec une évidence, une nécessité irrécusables, ainsi de ces vers où Valéry voyait un don des dieux ? Pourquoi certains peintres, par le jeu de leurs lignes, leurs touches, leurs coloris, nous donnent-ils à partager leur vision d'une nature morte, d'un paysage, que nous verrions, sans eux, d'un regard « habitué », en chose commune ne méritant pas notre attention ?
Et si l'œuvre de Séraphine traduisait les visions d'une âme simple et pieuse de qui peignait après avoir invoqué la Vierge Marie ? Et ici, il faut se souvenir du témoignage de la sœur du critique et collectionneur allemand Wilhem Uhde qui découvrit Séraphine : « Elle s'adressait au ciel, aux nuages, aux arbres, aux fleurs des champs, à tous les êtres de la nature. Elle était directement en communication avec les puissances cosmiques […] À toutes ces choses, à tous ces êtres autour d'elle, elle tenait de long discours ravissants, et je ne me lassais pas de l'écouter. 'J'aime la couleur, la lumière. J'aime surtout le plumage des faisans, des paons et des pintades.' »[1]
Qu'on voie en elle une mystique, une panthéiste qui s'ignore, elle s'avoue, quant à elle, en totale communion avec le règne végétal, et séduite par tous les chatoiements du vivant, compensation d'une vie vouée au terne, au maussade, et longtemps à la grande pauvreté.
Louons donc Séraphine de nous laisser une œuvre qui ignore les hivers et nous entraîne en ces pays favorisés des dieux où les arbres portent simultanément fleurs et fruits.
Morte en 1942 en un asile d'aliénés, souhaitons-lui, enfin, que le cercle des séraphins, premier dans l'ordre des anges porteurs de lumière, l'ait jugée digne de l'accueillir en lui.[
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Feuilles diaprées sur fond bleu |
Feuilles d'automne |
[2] Ouvrage consulté : Séraphine de Senlis, Gallimard, 2008
Où voir des tableaux de Séraphine ? A Paris au Musée Maillol, Fondation Dina Vierny ; au Musée de Grenoble ; au Musée d'art et d'archéologie de Senlis ...