LA MER selon JULES MICHELET
II
Michelet est un lyrique ; ce n'est pas un poète comme l'entendait Rimbaud. L'auteur fait état de nombreux séjours sur divers rivages. Comme L'Insecte ou La Montagne, La Mer est un ouvrage de vulgarisation qui doit beaucoup aux nombreux et « savants » ouvrages des naturalistes de l'époque. Reste que nos modernes océanographes ne verraient, en maintes pages, que vaticinations de littérateur enclin à ne déceler en la Nature qu'harmonies d'origine divine, au point qu'on s'étonne qu'ayant tant scruté la configuration des mers et des terres, Michelet n'ait pas devancé Wegener dans sa prescience de la dérive des continents ; et de louer fort un auteur « (et c'est là son génie) d'avoir en lui un sentiment impérieux, invincible, de la personnalité de la mer ».
Manifeste, en l'ouvrage, est l'anthropomorphisme, cependant qu'y abondent les supputations propres à faire sourire les esprits forts : « La terre, par sa grande marée et par les marées partielles, parle aux planètes ses sœurs. Répondent-elles ? On doit le penser. » Et pourquoi non ? !
Si je ne suis pas en mesure d'apprécier les chiffres qu'on me fournit touchant la prodigieuse fécondité de la mer, je ne suis pas sûr qu'un zoologiste contemporain souscrirait aux théories de l'auteur sur le mucus marin présenté comme « l'élément universel de la vie », sur « ce qui va l'être, ce qui peut le devenir » précise un « savant ». Suivent des considérations de nature à étayer sinon le mythe de la génération spontanée, du moins le problème des origines de la vie, laquelle serait à rechercher dans les cratères des anciens volcans où du mucus marin se serait pris en gélatine !
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Amoureux de l'Océan - avec majuscule -, que puis-je retenir d'un livre de visionnaire intempérant, si éloigné du dessein de l'auteur : faire de la mer une puissance hégémonique dominant les sens et l'esprit du lecteur et, mieux, de celui qui ne connaîtrait que les flots que ne sous-tend l'illimité ; d'eaux que nulle terre ne borne ni n'enclôt ; en quelque point desquelles on se sente le point de mire de l'infini convergeant vers vous à vous jeter bas ?
Comme je garde en mémoire la tempête de Quatre-vingt-treize de Hugo, ou celle de Typhon, de Conrad, je n'oublierai le chapitre consacré à celle qui dura « six jours et six nuits sauf un court moment de repos » que subit l'auteur dans sa retraite de Saint-Georges près de Royan où il venait d'écrire La Femme.
Pour ce chapitre, intitulé « La tempête d'octobre 1859 », pas de lectures préalables d'où tirer quelques élucubrations, mais la chose vue, éprouvée ; mais le seul déchaînement des éléments et les sentiments du narrateur.
Partant, pour le lecteur, celui de l'authentique, du pittoresque, et le regret que l'ouvrage fasse trop de part au livresque.
Le dessein de l'historien fut de retrouver, de restituer la grande voix de l'Océan, et, avec elle, l'Origine de la vie et son Office perpétué. Mais s'il était pour nous, dans la Nature, des voix, des rumeurs à jamais inintelligibles, ce qu'aurait dû déjà éprouver Michelet en écrivant La Femme ?
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J'allais remettre le livre dans la bibliothèque des Illisibles puisqu'il ne m'avait apporté une seule image sur l'Océan, quand je fus requis par les derniers chapitres, non ceux où l'historien nous relate, d'après ses lectures, la domination de l'homme sur les océans arctiques et antarctiques, mais ceux où le naturaliste dénonce ce que nous faisons de la faune marine, chapitres dont nos écologistes pourraient faire leur bréviaire et qui me rappellent que si Michelet n'est pas véritablement poète, son empathie pour le vivant est néanmoins sans bornes.