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« La plus ancienne chose du monde », lit-on dans « Mers », in Tel Quel, II, de Valéry. Ce qui vaut surtout pour les mers encloses, cadenassées de terres. Mais, de l'Océan, ne pourrait-on ajouter : « Et la plus neuve » ?
Le reflux fait, de l'estran aux couleurs de feuilles mortes, une portion de forêt coupée à blanc-estoc, voire dessouchée.
Qu'on se tienne quelques heures devant cette portion vacante, délaissée, et l'on voit une eau – de résurgence ? – se faire buisson taillis, gaulis, jusqu'à devenir, tels les arbres de pleine terre, de plein vent, une futaie aux cimes ployantes qui s'intriquent et se démêlent.
L'estran n'était que sables, vases, roches. Il porte à présent une sylve, dont les sèves montantes seraient à nu, dans leur vivacité impétueuse, irrépressible. Aux balbutiements de la marée basse, succède une rumeur de foule qu'on presse, entrecoupée des clappements, piétinements, râles, effleurements, de la forêt dans la tempête.
L'espace, qui s'était affaissé – absenté ? –, se densifie ; l'animation se fait universelle. Et le spectateur de cette palingénésie, de songer que cette Terre serait bien « ancienne », sclérosée, si l'Océan ne venait, deux fois le jour, l'ondoyer. Elle ne serait que falaises mortes, grèves caillouteuses, le ciel en immuable coupole de cobalt émaillé. Et nulle bouffée, au soir, de cette odeur d'outre mer, à perte de nuque, qui vous rejette à l'origine, parmi fucus, varechs, petit goémon frisé – sargasses de femme !
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Puissance des couleurs ! L'Océan serait-il ocre, bistre, ou simplement terreux, qu'il n'aurait de contemplateurs ; qu'on n'y plongerait qu'avec répulsion. Par chance, trois couleurs y dominent, qui sont présentes dans leur nuances, leurs dégradés, leur état de saturation.
Puissance des couleurs ! L'Océan serait-il ocre, bistre, ou simplement terreux, qu'il n'aurait de contemplateurs ; qu'on n'y plongerait qu'avec répulsion. Par chance, trois couleurs y dominent, qui sont présentes dans leur nuances, leurs dégradés, leur état de saturation.
Le regard passe sans rupture du bleu du ciel à l'outremer, au bleu de cobalt, et c'est toujours avec une impression d'allégresse, de belle santé, d'intense pureté de cime ; d'invite faite à l'âme de se surpasser, de conquérir. N'est-on pas, par cette couleur, aéré, dilaté ?
S'y mêlent ou s'y juxtaposent le vert des jeunes luzernes, celui des cressonnières – le flux tel un regain précipité, spasmodique, qui envahirait l'étendue. Et verte est la brise de mer qui vous insuffle verdeur, vigueur, et nouveauté ; qui vous met en présence de hautes frondaisons, et vous asperge de leur ombre pulsée.
Quant au blanc épars, il vous parle de névés, de congères, et d'avalanches. Son âpre et fougueuse fraîcheur rehaussant celles du bleu, du vert.
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Aussi n'est-il d'âge que la vue sur la mer ne réjouisse. Les vagues ont la spontanéité, les foucades de l'enfance. Le flot vous prend par surprise, mais, tout petit, on a les pouvoirs des briseurs de chaînes des estrades foraines ; la neige qui vous éblouit est tiède et se résout en bulles de savon. Elle vous pousse à l'exubérance, les adultes pris à témoin.
Les adultes ? Ils se mesurent en pensée avec les déflagrations successives et se trouvent de peu de poids ; ou bien ils affrontent torse à torse l'adversaire en des combats de gladiateurs, et que le cirque est vaste et peuplé, la foule ayant envahi la piste !
Il n'est pas jusqu'à « l'âge cassant » qui ne goûte le spectacle marin. Où mieux rencontrer, à l'état pur, la jeunesse, l'aisance, l'alacrité, puisque le rire de l'enfance crève de toutes parts la surface ? Où mieux retrouver le climat du possible, inhérent à la jeunesse ?
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« La plus ancienne chose du monde » ? Certes. Où le temps se régénère à mesure en perpétuel impromptu.
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Photos Ph. Giraudin
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Photos Ph. Giraudin