XXIII
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De tous les spectacles prodigués par l'Océan, lequel me paraît le mieux le représenter ?
Je sais sa puissance et suis peu sensible à ce qui arrache aux spectateurs des cris d'admiration devant ses exploits, dans l'espoir de le voir se surpasser. J'aime, au matin, qu'il nous revienne, du plus loin parfois : c'est si endeuillé, un rivage vacant, et coi – ô Brouage !
On croit plane la plate-forme littorale : l'Océan y gravit des degrés qui semblent s'effacer, comme en haut des escaliers roulants, mais qui demeurent, si bien que le flot devient volée de cent, de mille marches – ce qui tente certains, enclins à gagner le parvis qui doit s'étendre par-delà l'horizon.
Ainsi se forme une esplanade classique, en son ordonnancement, à laquelle Versailles paraît avoir emprunté. Ainsi s'édifie une mer méthodique, sans hâte, dans le temps prescrit, mais qui ne supporte ni répit, ni négligence. Ainsi des forme une assistance tournée vers le rivage où s'épancher en retombées de danseuses à tutu.
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On est, face à la pleine mer, sensible à sa tranche, à l'amoncellement, à l'effervescence, de ses gisements de marnes, et de ses congères. Flux et reflux effectués en bon ordre, illustrent l'ampleur – à la volée ! –, de l'élément ; aux étirements auxquels l'horizontale est soumise, à en déborder le coin de nos yeux. (Et nos bras s'en ouvrent ; notre torse s'en élargit.)
Voici le plus grand des rapaces, son envergure déployée pour un vol stationnaire, quand il scrute la terre, à la ronde. Le voici, abattu sur sa proie, et volent plumes, duvet, aigrettes.
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Si le vent ne se lève, si la lune ne le bouscule en sa masse, l'Océan se retirera comme il est venu, en un repli ordonné, la joule quittant, l'un après l'autre, les invisibles gradins et nous aurons – où se lit le regret ? – force effeuillaisons d'écume, force balancements de flabellums, en Puissance attachée au cérémonial.
À moins qu'on ne veuille faire oublier les jours de presse où l'on se déverse en hordes, toutes lignes rompues ; où le baroque succède au classicisme, et ce sera peut-être demain que l'on abordera de nouveau la terre avec hauteur ; que l'on tirera sur elle par salves de boulets feutrés, dans un tumulte d'effondrements moelleux.
Où l'on ne sera plus épure de mer, à peine étoffant ses linéaments, mais la Présence, la Puissance, qui prennent vos mesures … Et que j'irai voir, me rappelant les propos de l'Annoncier du Soulier de Satin : « C'est ce que vous ne comprenez pas qui est le plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous ne trouvez pas amusant qui est le plus drôle. »
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Photos Ph. Giraudin
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Photos Ph. Giraudin