en marge du site de mireille sorgue
****************XIII - la réception critique
******La publication, chez Albin Michel, du premier tome des Lettres et de L'Amant revu et complété, était prévue pour la fin de décembre 1983. Les deux ouvrages étaient prêts ; ne manquaient que les préfaces signées par Henry Bonnier alors directeur littéraire des Éditions. Elles tardèrent, mais pour d'autres motifs encore dont je ne me souviens pas, les volumes ne parurent qu'au début de 1985. Entre temps…
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Une certaine Marguerite Duras avait écrit un texte de nature autobiographique pour un album de photographies l'évoquant au temps de l'Indochine, album qui devait s'intituler « L'image absolue » (ou « La photographie immobile »). Son éditeur se montrant réservé, l'auteur soumit le texte à des amis qui lui conseillèrent de donner une forme romanesque à son commentaire.
*Dès sa sortie, en 1984, l'ouvrage – intitulé L'Amant – suscita des critiques enthousiastes. Les ventes, grandissantes, bondirent après l'émission d'« Apostrophes » consacrée à la seule romancière. Enfin, l'attribution du prix Goncourt, en dépit d'un règlement qui limite à 70 ans l'âge du lauréat, acheva de transformer le succès en triomphe planétaire ; si bien que Marguerite Duras qui avait, jusque là, trente ou quarante mille lecteurs, en eut plus de deux millions.
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Je viens de relire l'œuvre, curieux de voir ce qu'un quart de siècle en a fait. Un grand livre ? Non sans doute, mais un livre important qui méritait l'engouement de la critique et des lecteurs. Le… récit conserve la marque du projet initial et pourrait s'intituler : « Portraits de famille ». Une femme feuillette un album de photographies de son enfance, de son adolescence, et le commente selon un désordre gouverné propice aux digressions, réitérations, ruptures, incidentes, ellipses, arrêts sur l'image, retours en arrière. Elle le fait avec un détachement corrosif servi par d'incessants glissements de la première à la troisième personne et un abondant recours au style indirect.
*Je viens de relire l'œuvre, curieux de voir ce qu'un quart de siècle en a fait. Un grand livre ? Non sans doute, mais un livre important qui méritait l'engouement de la critique et des lecteurs. Le… récit conserve la marque du projet initial et pourrait s'intituler : « Portraits de famille ». Une femme feuillette un album de photographies de son enfance, de son adolescence, et le commente selon un désordre gouverné propice aux digressions, réitérations, ruptures, incidentes, ellipses, arrêts sur l'image, retours en arrière. Elle le fait avec un détachement corrosif servi par d'incessants glissements de la première à la troisième personne et un abondant recours au style indirect.
On peut s'irriter de la langue si complaisante à soi, si encline à pontifier, des derniers livres de l'auteur. Ici, à dessein dépouillée, fluide, égale – une langue qui va son chemin –, à peine incantatoire, et parfois quasi hypnotique, elle se montre aussi efficace à restituer l'éclat du jour sur le fleuve ou la moiteur de l'air, qu'à inciser les cœurs pour en mettre à nu les ressorts, tout en nous donnant, pierre de touche de l'authentique romancier, le sentiment de la durée.
* Certains lecteurs, abusés par le titre, furent décontenancés par la minceur de l'intrigue, les singularités de l'écriture ? Les meilleurs saluèrent à bon droit une œuvre éminemment sensuelle, à la sobriété opulente, qui si bien redonnait vie, couleurs, épaisseur, à un monde exotique , et à jamais révolu.
*La consultation du dossier de presse du premier volume des Lettres et de L'Amant de Mireille Sorgue appelle plusieurs remarques. Et d'abord quant au sérieux de certains critiques. C'est ainsi que je relève, sous une plume notoire, que l'auteur « laisse derrière elle plus de trois mille lettres d'amour » (il y en a 660) « et un roman » (ce que n'est pas L'Amant) ; qu'« Elle fut publiée de son vivant par Robert Morel » dans sa collection « Célébration » (ce qui est faux) ; « qu'elle connaissait Louise Labbé (sic) au point de vouloir y (sic) consacrer sa thèse ». Ce qui est non moins faux : elle avait pris, pour sujet de son mémoire, les images érotiques chez Apollinaire. Et le critique de revenir, en terminant, sur L'Amant, toujours considéré comme un roman « entièrement voué au toucher, à la manipulation (sic), aux caresses manuelles. » Tout cela, je le redis, sous une plume de quelque renom !
*En second lieu, on constate que les deux ouvrages sont certes signalés dans quelques hebdomadaires ou mensuels parisiens, quelques quotidiens nationaux tels que « Le Figaro » ou « Le Monde » ; la presse catholique, de « La Vie » à « La Croix » et à « Témoignage chrétien, n'étant pas en reste – ce qui témoigne d'une belle ouverture d'esprit. Mais la majeure partie des articles vient de quotidiens régionaux et le nom de Mireille Sorgue n'apparaît dans aucun des hebdomadaires ou mensuels que lit avec prédilection l'intelligentsia. Contrairement à ce que laisse entendre une bibliographie pourtant « autorisée », « Le Nouvel Observateur » n'a consacré aucun article aux deux livres, et le « Stop chef d'œuvre ! » qu'on trouve dans le numéro du 22 mars 1985 figure seulement dans un placard publicitaire de l'éditeur visant, précisément, à pallier le silence du périodique. Un silence imité par « Le Point », « L'Express » – et même le mensuel « Lire » !
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Il est vrai que d'autres livres, appelés, eux, à traverser les siècles, valaient alors la peine d'être signalés. Ainsi, en ce printemps 1985, pour « Le Nouvel Observateur », le dernier ouvrage de Maurice Denuzière, de Frédéric Vitoux, de Renaud Camus, de Marc-Edourd Nabe ou de Jean-Marc Roberts… Pour « Le Point », ceux de Marie Chaix, Raymond Castans ou René-Victor Pilhes… Pour « L'Express », de Diane de Margerie, Christine de Rivoyre, André Sernin, Alain Laffont, Denise Bombardier, Noëlle Loriot, Michel de Grèce !…
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Il est permis, en passant, de s'étonner : les critiques de ces honorables publications ne lisent donc pas leurs confrères ? Car, devant tant de louanges décernées, avec une rare unanimité aux deux livres qui venaient de paraître, comment n'avoir pas envie de partager le bonheur de leurs lecteurs de profession ? C'est ici qu'il faut se souvenir du propos cynique de l'un de nos juges : « Les critiques ne lisent pas plus pour leur plaisir que les filles de joie n'exercent leur activité pour leurs délices. »
Il est permis, en passant, de s'étonner : les critiques de ces honorables publications ne lisent donc pas leurs confrères ? Car, devant tant de louanges décernées, avec une rare unanimité aux deux livres qui venaient de paraître, comment n'avoir pas envie de partager le bonheur de leurs lecteurs de profession ? C'est ici qu'il faut se souvenir du propos cynique de l'un de nos juges : « Les critiques ne lisent pas plus pour leur plaisir que les filles de joie n'exercent leur activité pour leurs délices. »
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Ce que confirme l'accueil que la presse réserva au tome II des Lettres : on compterait sur les doigts d'une main les articles mentionnant sa parution. Pourtant plus admirable encore que le premier, sa lecture ne tenta pas ceux qui affirmaient avoir éprouvé, avec le tome I, un rare sentiment d'aubaine. Ils avaient fait leur devoir en signalant le début d'une correspondance. Rendre compte du volume suivant sans trop se répéter exigeait qu'on le lût attentivement, ce que l'actualité littéraire ne permet pas.
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Non, les critiques ne lisent pas leurs confrères et d'abord parce qu'ils savent, par expérience, ce que recouvre trop souvent le mot de chef d'œuvre.
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Ils ne lisent pas même jusqu'au bout les ouvrages qu'ils louent puisque pas un ne mentionna le long poème érotique « Première nuit » qui clôt le tome I des Lettres ; poème admirable, aux images neuves et hardies, qui aurait mérité une édition sur grand papier.
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Se souvient-on encore de l'émission « Apostrophes » qui, en un soir, pouvait rendre célèbre un auteur et décupler les tirages habituels de ses livres ? Le personnage qui l'animait fut longtemps… échotier au « Figaro littéraire ». Quand l'émission, usée, s'arrêta, il y eut des plumes pour dénoncer les dommages que sa futilité avait causés à la littérature ; mais s'il fallait croire les aigris…
*Ce soir-là (il me souvient que la glorieuse Xaviéra Hollander, versée dans l'érotisme, avait été invitée pour son dernier ouvrage), nous eûmes droit au numéro habituel des feints étonnements, des mines naïves ou gourmandes, ou matoises, d'un bateleur consommé à l'avantageuse modestie.
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En invitant le préfacier des Lettres, en en lisant des passages, l'animateur aurait pu sensiblement étendre l'audience de l'œuvre, dût le renom de la séduisante Xaviéra en souffrir un peu. Mais ce ne fut que dans les dernières minutes de l'émission, au moment du rituel déballage des nouveautés tirées d'un carton, que le volume des Lettres fut brandi. Françoise Xénakis, présente, entreprit d'en faire l'éloge. Elle ne put dire plus de trois mots : Bernard Pivot l'interrompit par ce jugement… définitif : « Oui, j'en ai lu quelques-unes ; c'est assez réussi. » Et l'on clôtura l'émission.
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Il m'est ainsi arrivé de voir un homme s'exécuter… à bout portant, de la phrase qu'il prononçait.
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