en marge du site de mireille sorgue
* * * * * * * * * * * * * * * * * * XIV - d'un Éditeur l'autre (1)
* *J'avais conseillé à Mireille d'adresser sa louange de la main amoureuse à Robert Morel pour sa collection « Célébration ». On sait que, d'emblée conquis, il demanda à l'auteur d'étoffer son texte aux fins d'obtenir une évocation complète de l'Amant.
* *Mireille disparue, c'est naturellement à lui que je soumis l'ensemble des fragments qu'elle avait écrits dans ce dessein.
* *Ceux-ci publiés, les relations entre la famille et l'éditeur se tendirent très vite : on ne daignait pas répondre aux lettres pressantes que la Mère lui adressait ; on ne manifestait pas, envers les parents, la considération qui leur était due. (Cependant que l'éditeur me confiait être exaspéré par le côté « Je-suis-la-mère-de-Mireille » de sa correspondante.) Pis, on ne versait pas les droits d'auteur prévus par le contrat. Si bien que les parents intentèrent un procès à l'éditeur désinvolte et indélicat, dans le temps – vers 1974 – où sa maison fut déclarée en faillite.
* *Aussi, est-ce sans surprise que je reçus de la petite sœur, quand la réédition de L'Amant fut envisagée, ces lignes déjà citées mais qui ont ici leur place : « Quant au problème Robert Morel, j'éprouve une telle aversion pour ce Monsieur, que je ferai le tour de tous les éditeurs possibles avant de me présenter chez Tchou. » [Lequel était alors son associé parisien.] (19 décembre 1978)
* *Les éditions Albin Michel ayant accepté de publier à nouveau l'ouvrage, leur directeur littéraire bientôt déplut. Préfacier, « il tirait la couverture à lui » dans ses interventions à la radio ; il se montrait peu fiable, et surtout il avait imposé un contrat d'édition qui réduisait les droits d'auteur au minimum requis par la loi – ce qui, certes, ne se justifiait pas, mais qui fut néanmoins reconduit pour le tome II des Lettres.
* *C'est une Mère dépouillée qui m'écrivit, le 28 novembre 1985 : « D'après Marie-France, nous avons été abusés deux fois. D'abord par les clauses du premier contrat qui nous dépouille en nous accordant des droits dérisoires, qui nous enferme en nous obligeant à confier à Albin Michel les cinq premiers livres qui pourraient paraître. Ensuite parce qu'il faudrait un nouveau contrat pour chaque tome, confirmant ou infirmant le précédent. »
* *J'écrivis à la petite soeur que, s'agissant de l'œuvre de Mireille, il ne pouvait être question d'argent, et lui rappelai le mot de Flaubert : « Je me ferai plutôt pion dans un collège que d'écrire quatre lignes pour de l'argent. »
* *Mal m'en prit : « Vous évoquez avec la légèreté d'un éléphant l'aspect financier. Rien ne vous autorise à écrire ainsi ; vous ignorez ce que je veux faire de cet argent. Vous feriez mieux de vérifier les comptes. […] » (28 septembre 1987)
* *Diable ! Avais-je touché là un point sensible ? Jouant derechef les éléphants, j'écrivis : « Il faut croire que l'aspect pécuniaire revêt pour vous une réelle importance puisque, réclamant des droits plus substantiels, vous avez invoqué, auprès du directeur littéraire, le manque à gagner que vous causaient vos pertes de temps et déplacements dans Paris pour obtenir, des libraires, des « vitrines » consacrées aux deux volumes parus ! »
* *Droits dérisoires, service de presse jugé insuffisant (l'éditeur avait, j'imagine, dissuadé « Libération » et autres publications « de gauche » de rendre compte des ouvrages !), préfacier indélicat soucieux de son seul moi, doublé d'un directeur littéraire décevant – c'en était trop ! « Grosse surprise ! m'écrivit ce dernier le 31 août 1987. Elle a signé chez un autre éditeur pour le tome III. Sans se douter qu'il lui faut notre accord*. »
* *Chez Albin Michel, où l'on avait reçu du Père un télégramme enjoignant à l'éditeur de suspendre la sortie du tome I, puis un second télégramme de même teneur à quelques heures de la parution du tome II, on se montrait peu enclin à poursuivre la publication des Lettres;pourtant, ayant réussi à vaincre les préventions du directeur littéraire, j'avais bon espoir que le tome III verrait le jour.
* *La lettre de la petite sœur remit tout en cause Celle-ci m'ayant confirmé qu'elle venait bien de signer « chez un petit éditeur fervent de l'œuvre et fort méritant », j'objectai que ce changement de maison, rare dans l'édition pour un cycle, serait fort dommageable à l'œuvre ; que les critiques qui, déjà, avaient négligé le tome II, parleraient moins encore des suivants. Ce fut en vain et la réponse, seigneuriale, vint couper court à tout échange : « Je tiens à vous avertir que rien ne se fera plus jamais chez Albin Michel, parce que je ne le veux pas. » (8 septembre 1987)
* *(Plus tard, je fis observer à… l'intéressée : « Ce n'était pas votre œuvre qui était en cause. Auteur, vous pourriez parfaitement claquer la porte des éditeurs importants qui se conduisent mal et préférer les tirages confidentiels, cela ne regarderait que vous… » Mais, j'abrège et n'ai donné ces précisions – oiseuses, j'en conviens – que pour ceux qui s'interrogèrent sur l'arrêt de la publication des Lettres.)
* *La gloire, aujourd'hui, ou du moins la consécration, pour un auteur, c'est d'entrer dans La Pléiade – où Prévert côtoie Proust, et l'on rêve à la teneur de leurs entretiens – ou, plus communément, d'être édité « en poche ».
* *Je retrouve, dans l'un de ces longs réquisitoires que j'adresse depuis vingt ans à l'ayant droit – qui s'en moque – ces lignes relatives à ce genre de collections : « Il me souvient de l'une de vos lettres où vous déploriez la faiblesse des ventes qui n'allait guère inciter un éditeur de livres de poche à s'intéresser à l'œuvre. Il m'est revenu que "J'ai lu" avait eu le projet de publier, en un volume, L'Amant et le tome I des Lettres, comme l'avait fait "France-Loisirs", et que vous aviez repoussé l'offre, au prétexte que les deux ouvrages devaient paraître séparément. Quelque opinion qu'on puisse avoir sur "J'ai lu", avez-vous jugé utile de me demander mon sentiment ? Je sais : L'Amant vous est dédié, et Mireille, vous envoyant la "célébration de la main" vous écrivit : "nous en ferons ce que tu voudras."
* * « Une fois de plus, vous avez cru pouvoir tenir la dragée haute à un éventuel éditeur, lequel se sera, comme Albin Michel, plus aisément consolé de votre refus que s'il était venu de Guy des Cars ou de Françoise Sagan. » (Décembre 1988)
*Sachant que l'éditeur se proposait de publier, sous le titre de L'Amante, la totalité des écrits que j'avais consacrés à Mireille Sorgue, la petite soeur poursuivait en ces termes : "... n'ayez aucun regret, la publication des textes de F. Solesmes n'aurait pas été une heureuse opportunité; l'oeuvre de Mireille n'a nul besoin de ce genre de 'soutien', et les textes de F.Solesmes auraient souffert de ce 'voisinage'". J'ai, bien sûr, remercié l'intéressée pour sa sollicitude touchant mon renom littéraire.
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