* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

*
CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


lundi

1er janvier





* * * * En marge du site de mireille sorgue



* * * * * * * * * * * * * * * * * * LE TESTAMENT (1)




* * * À sa mort, Mireille laissait un long texte achevé, la « Célébration de la Main », mais aussi une liasse d'ébauches destinées à l'étoffer ; ce qui était répondre au voeu de l'éditeur Robert Morel, lequel avait souhaité une évocation de l'Amant tout entier (cf. le « Dossier » déjà cité.)

* * * Dans les mois qui suivirent, je m'attachai donc à déchiffrer, transcrire, collationner, organiser lesdits fragments – « les femmes » me faisant d'autant plus confiance que la teneur de la « Célébration » leur était inconnue.

* * * L'Amant parut en 1968 et suscita, chez les critiques, des éloges unanimes. C'est alors que la famille commença de prendre conscience des dons littéraires de la morte – et que l'attitude « des femmes » à mon égard changea sensiblement. Sans doute m'avait-on dit, après le drame : « Prenez, dans son appartement, ce qui vous fera plaisir. Tout si vous voulez », mais on ne cessera plus, une fois Mireille mise à sa vraie place, de regretter cette libéralité. – N'a-t-il pas emporté des écrits qui revenaient de droit à la famille ? Une suspicion qui devint, dans la bouche de la petite sœur, accusation : « Il a fait main basse sur tout. »

* * * – Mais non, je vous assure, Madame ! Seulement sur ce qui, alors, n'avait guère d'intérêt pour votre mère et vous : nos lettres, les feuilles relatifs à L'Amant, quelques feuilles volantes, ses cours de faculté et les rares devoirs qui avaient échappé à la corbeille à papier. Ajoutons-y deux ou trois livres que je lui avais offert et que ni votre mère ni vous n'auriez jamais lus. » Mais, je vous le dis en confidence : averti du sort que l'on ferait de ce que je laissais, mon larcin eût été bien plus important !


* * * L'Amant depuis longtemps épuisé, j'en préparai, vers les années 1980, la réédition. « Aidé », comme je le dirai au chapitre suivant, par une mère qui s'était d'abord avisée que la « Célébration de la Main » rendait bien peu justice aux siennes, puis, au contraire, que celles de l'Amant n'étaient là « qu'un prétexte » et qu'il convenait donc de mettre ce morceau en valeur.

* * * Le nouvel éditeur, Albin Michel, avait accepté sans grand enthousiasme de publier à nouveau l'ouvrage. Si, au moins, on adjoignait, à celui-ci, un volume de lettres à l'Amant !… Cette proposition m'angoissa : ne me sentirai-je pas dépossédé ? Voire mis à nu, même si j'avais dit, en deux minces volumes, les fastes des jours avec Mireille, puis la douleur du deuil ? On insista ; on me prodigua des assurances de discrétion. Me revint aussi en mémoire l'échange que nous avions eu, quelques mois avant sa mort. Lui ayant dit que ses lettres devraient paraître un jour, elle avait eu la même réticence qu'à voir publier la « Célébration ». Avant de concéder : – « Alors, dans très longtemps, avec des coupures. » Ce que confirment ces lignes du 21 mai 1967 : « Ce soir, je n'écrirai presque que ce bonsoir. Mais je voudrais que tu perçoives bien l'inflexion de ma voix !... […] Tu soustrairas cette lettre et peut-être les suivantes jusqu'à l'examen, de la "Correspondance" ». (Le mot entre guillemets et avec une majuscule.)

* * * Pendant treize ans, pris par la première édition de l'Amant, ma profession, mes propres ouvrages, je n'avais pas rouvert les boîtiers renfermant ses lettres. Mais c'est là mentir : je craignais bien trop qu'elles eussent conservé toute leur radiance !

* * * L'épreuve que fut, pour moi, leur relecture n'importe, mais chemin faisant, une évidence s'imposa avec de plus en plus de force : il y avait là une somme, plus magistrale d'être sans précédent dans la littérature ; un monument aux amples développements où L'Amant faisait figure de pavillon central. Oui, le corpus de ces lettres constituait l'œuvre dès l'adolescence appelée et qu'on désespérait d'écrire. Telle, au surplus, qu'on l'annonçait dans la lettre au vieil ami du 8 mars 1964 : « sans doute n'y aura-t-il qu'un [livre], jamais achevé, interrompu comme la vie et avec elle. »

* * * Je ne fus pas seulement ébloui, transporté, comme on l'est devant un grand texte ; le survivant que j'étais y découvrit maints passages qui ont une tonalité de « dernières dispositions ». À commencer par ce long passage de la fin de mars 1963, écrit – à dix-neuf ans ! – avec une détermination impressionnante :
* * * « Comme un acte testamentaire de mes éphémères richesses que je me hâte de léguer tant que j'en dispose encore lucidement ; veillant à leur répartition, à leur exclusive attribution, les réservant jalousement à l'unique héritier que je me reconnaisse… Ceci est dit sans rire ; j'ai assez le sentiment que le temps m'est compté, et qu'il me faut recenser mes domaines, en établir le cadastre, les accroître aussi autant qu'il se pourra, non seulement pour la brève jouissance que j'en aurai, mais afin que tu sois établi richement… si je viens à mourir ou me taire, ce qu'à Dieu ne plaise encore. »

* * * Le « testament » dont je découvrais des fragments au fil de ma lecture n'était pas que littéraire : il était aussi d'ordre spirituel et formulé avec une singulière élévation :
* * * « Ce que je veux dire c'est qu'on meurt ensemble, ou bien on continue à vivre ensemble ; et sans doute le plus difficile est de continuer ; un beau mensonge, un mensonge désespéré pour nier la mort. La fidélité, c'est une façon de faire vivre quelqu'un, de l'affirmer – non seulement la fidélité physique, mais le respect de ses désirs devinés, leur accomplissement. Minou mien, mon amant, si tu me perdais, je me réfugierais en toi, et je te demanderais de me ranimer, de nous prolonger comme si rien n'était changé, de nous aimer pour deux, jusqu'à ce qu'enfin nous cessions ensemble de vivre… » (23 octobre 1963)

* * * « Celui de nous deux qui vivra après l'autre, s'il en a le courage et la force, devra assumer double vie, Nous prolonger, Nous perpétuer, ne Nous rendre qu'ensemble. – Et si c'est moi qu'il faut porter ainsi, recéler et nourrir comme un enfant avant de naître, tu le sauras, n'est-ce pas ?... Je serai la chaleur même de tes bras, la ferveur même de tes lèvres, et non froide, inanimée ; secrète, je te consolerai de l'absence visible, tu m'entendras toujours, et tu me formeras de la substance et couleur de tes joies doublement éprouvées. Tu entends, il faudra m'empêcher d'être morte. C'est cela même que je m'efforcerais de faire pour toi – émerger de la douleur pour que nous respirions encore. […] » (26 novembre 1963)

* * * « Et d'autres fois, je pense que notre première mort sera très belle puisque quel que soit celui de nous deux qui demeure, il nous contiendra tous deux. » (20 octobre 1964)

* * * Ayant acquis, à la lecture de Proust, la conviction que l'esprit nous survit, Mireille écrira encore, dans la « Célébration de la Main », V :

* * * « Vivre et mourir s'enchaînant qui de nous traînera l'autre ?

* * * « Je ne veux pas être la morte qu'il faut porter !

* * * « La morte qui résiste, fait la sourde. Je ne veux pas être la charge qui déchire tes bras, je ne veux pas être la charge, la peine ; je ne veux pas être la morte ! La plus lourde !

* * * « Je veux, te conduisant par la main, te haler dans la suite des jours sans que varie la couleur ni la mesure du temps. » (Été 1965)


* * * Libre à certains de sourire en lisant ces lignes, de les considérer, comme son Père l'eût sans doute fait, comme « du verbiage » : venant d'un être qui appartenait à la race des « voyants », ces « injonctions » n'auront cessé de guider mon action. Ce qui me conduisit à m'élever avec véhémence contre les menées des « femmes » bien résolues à les ignorer. Et les réactions de fuser : « Vous prenez tout à la lettre… » (S'agissant de qui a un sens inné de la propriété des termes, assurément !) ; « cessez de prétendre être le seul à savoir ce que Mireille aurait voulu ou refusé ; cessez de vous poser en unique héritier », me déclarait la petite sœur ; « cela vous ennuierait beaucoup d'utiliser vos arguments personnels et de ne pas faire parler les morts ? (souligné) C'est un procédé gratuit auquel vous avez un peu trop souvent recours », ajoutait sa mère.

* * * Un épuisant dialogue de sourds – ou plutôt de qui ne parlent pas la même langue, sur fond de vanités. « Elles » seront demeurées des profanes. Non seulement l'oeuvre majeure que laissait Mireille ne les aura pas haussées, hissées, mais celle-ci morte, elles n'auront eu de cesse de brandir des pages que tout adolescent quelque peu doué aurait pu écrire.

* * *Le père avait rendu à sa fille la « Célébration de la Main » en déclarant que ce style « était trop fort pour lui ». Mère et fille avaient certes admiré L'Amant (avec des réserves), les Lettres ; mais à fréquenter un langage aux bonheurs d'expression continus et qui ruisselle de poésie, on s'étouffe, sans compter qu'il y est question de l'un de ces amours de légende auxquels on n'aura jamais part. Qu'on nous parle plutôt… de nous, et dans un style plaisant, souriant, qui coule comme eau de source.

* * * Il faut que nul n'ignore qu'Elle a écrit aussi des choses tout à fait charmantes ! Et c'est ce à quoi nous allons nous employer en toute circonstance. Sans compter que nous n'avons rien d'autre à produire. Et que, posséderions-nous des textes importants, nous serions bien incapables de les présenter décemment. (Le chapitre qui sera consacré aux « Lettres à un vieil ami » en fournira surabondamment la preuve.)



*Toutes les citations de Mireille sont en italique.



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15 déc





en marge du site de mireille sorgue


*

X- LA FIN

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Qu'il est donc étrange, que des êtres jeunes, que rien ne paraît menacer, aient le pressentiment d'une mort prématurée ! C'est très tôt que se rencontrent, dans les Lettres à l'Amant, des notations qui en témoignent pour Mireille, et qui reviendront en leitmotiv jusqu'à la fin, même si, de rares fois (« Que c'est peu, quarante ans, peut-être plus, qu'il nous reste à vivre ensemble[…] » 16 janvier 1966), on envisage un sursis.

*

* * * 2 novembre 1962 : « Pour "fonder une famille", comme l'on dit, il faudrait que je n'aie pas ce sentiment que tout ce que je fais est provisoire, que toute possession est fugitive. »

18 février 1963 : « Il me semble que je cours d'un grand élan vers le soleil – que je me précipite. Pour m'accomplir et c'est peut-être en même temps me consumer toute. […] »


24 février 1963 : « Et puis il me semble que je n'aurai jamais trente ans. »


mars-avril 1963 : « j'ai assez le sentiment que le temps m'est compté […] »


18 mai 1967 : « Je ne veux pas vieillir à tes yeux. »



Aucune affectation dans ces pages, ni pose romantique, mais une manière d'évidence, considérée sans révolte. Et l'on voit bien, à lire le « testament » rédigé en termes impérieux qui figure dans le tome I des Lettres (p.210 de l'édition Albin Michel), que dans ses pensées, Mireille me précède dans la mort.



J'appris le drame, le lendemain, dans ma famille, par le journal local. L'entrefilet qui relatait le fait divers avait pour titre : « Suicide ou accident ? »


Quand parut L'Amant, en 1968, chez Robert Morel, les parents de Mireille se montrèrent hostiles à toute divulgation de l'identité de l'auteur, et des consignes expresses furent données à l'éditeur, qui ne les observa guère malgré ses assurances. Ce qui indigna la famille : « S'il fallait, dans l'intérêt de l'Éditeur, m'écrivit sa mère, qu'on sache qu'elle était morte, avait-on besoin d'une date, d'une circonstance ? Procédé publicitaire décevant, poignant, à l'encontre d'une Mireille si discrète, si secrète. […] Cette véhémence est douleur – la comprendrez-vous ? »


J'étais d'autant mieux disposé à la comprendre que j'eus toujours à l'esprit le mouvement de Mireille quand, au reçu de la « Célébration de la Main », je lui écrivis qu'un tel texte méritait d'être publié : « Recul instinctif au moment de se révéler, de livrer son nom, son secret, peut-être son visage. » (27 octobre 1965)


L'accueil de la presse fut chaleureux, la précocité de l'auteur donnant plus de prix encore à ses écrits. Quelques critiques s'interrogèrent sur une fin si prématurée, mais la version de l'accident prévalut, s'accrédita, puis, les années passant, la figure de Mireille se fit de plus en plus confidentielle.


Quand, dans les années 1980, la réédition de L'Amant fut envisagée, la petite sœur m'écrivit : « En ce qui concerne les détails biographiques et la photo, je suis vraiment de votre avis : c'est absolument inutile ! On peut parler longuement d'un auteur, de son caractère, de ce qu'il aime, de la façon dont il vit… sans pour cela entrer dans les détails. C'est Son image qui doit apparaître, ce qui faisait qu'elle était Elle, et cela peut être bien plus expressif qu'une photo. […] » (7 janvier 1982)


Quand reparut l'ouvrage, en 1985, accompagné du premier volume des Lettres, les mêmes consignes de discrétion furent données au nouvel éditeur. Lequel m'écrivit : « Non, non, pas de photographie, pas de biographie. On aura ainsi mieux encore le sentiment d'un aérolithe. »


Pourtant, il fallut bien donner une photo pour la jaquette – et je choisis la plus… stylisée. Plus tard, on en réclama d'autres et c'est en vain que je tentai de dissuader la famille d'accepter, car « les femmes », grisées par les louanges de la critique, entendaient servir la gloire de Mireille à leur manière. « Nous acceptons désormais qu'on donne notre nom », m'écrivit la Mère, cependant que la petite sœur se répandait en indiscrétions, semi- confidences, insinuations à mon égard touchant les coupures opérées dans le texte.


La part faite à la famille dans L'Amant étant jugée dérisoire, on songea à élaborer une « chronique familiale » : « Vous, vous avez offert ses Lettres ; nous, nous pouvons bien laisser connaître l'enfant, l'adolescente, la fille exceptionnelle qu'elle fut.[…] Nous devons certaines pages aux lecteurs qui se sont attachés à elle, aux plus passionnés justement.[…] » (Automne 1985) Il est vrai que, par cette pieuse entreprise, on espérait émouvoir les lecteurs en parlant de « sa lutte, sa victoire (éphémère, hélas !) sur le mal qui devait nous la ravir ». (Il serait cruel de souligner les qualités de ce style !)


Par parenthèse, fallait-il méconnaître Mireille ou plutôt n'avoir le moindre souci de ce qu'elle fut, pour oser écrire : « Nous devons certaines pages aux lecteurs… », s'agissant de lettres et écrits de jeunesse qu'elle eût détruits si elle l'avait pu, comme elle me l'écrivit de ses poèmes de 1962, de ses lettres au « vieil ami », et de tout ce qui lui paraissait « charmant » !


Ses parents, pourtant sûrs (cf chapitre V « L'Amant ») « qu'elle deviendrait un grand écrivain », n'ayant pas conservé ses lettres, à quelques-unes près, on sollicita tous ceux, de près ou de très loin, qui auraient pu posséder lettres, devoirs de classe, souvenirs de l'enfant, de l'adolescente prodige. Avec des succès variés, à croire que les « égoïstes » qui refusèrent partageaient le sentiment de Celle qui avait écrit au dit « vieil ami » : « Il y a des souvenirs qui ne sont qu'à ceux de qui nous les tenons. » (11 janvier 1964)


Ceux qui refusèrent (« C'est trop tôt ou trop tard », répondit l'un d'eux) se trouvent fustigés en préambule d'un mémoire universitaire – sur lequel je reviendrai(1) – où l'on reconnaît et la voix de la petite sœur et le style maison : son auteur, dûment chapitrée, s'en prend vertement à ceux qui « refusent encore de parler sous d'innombrables motifs », entravant ainsi la marche de l'histoire littéraire et « [desservant] l'œuvre elle-même et elle seule ». L'auteur, qui a bien appris sa leçon, poursuit par cette fière déclaration : « Nous sommes autorisés à penser que Mireille Sorgue – connaissant son souci de vérité et de transparence – n'aurait pas apprécié de se voir enfermée dans l'étroite prison de verre que l'on bâtit pour elle ». (Ceci visant, à l'évidence, l'auteur honni de L'Amante.) « Il semblerait que chacun ait bâti autour d'elle un mythe auquel personne ne devrait toucher, tout autre qu'eux-mêmes ayant à priori "les mains sales" et l'esprit bardé de mauvaises intentions (lesquelles, nous ne le saurons jamais). »


Devant ce développement qui sent furieusement sa roture – celle de l'esprit –, on ne peut que s'écrier : « La Voix de son Maître ! » « Nous sommes autorisés à penser que Mireille… » Je le demande : quelle meilleure caution, pour un exégète, que celle de qui ne fut pas jugée digne de lire une seule page de sa sœur, du vivant de celle-ci, et qui l'a bien mal lue après sa mort, au point d'invoquer son « souci de vérité et de transparence » : « N'est-ce pas, demande-t-elle à M.Piquet, que vous me préférez un peu farouche, exclusive, même si vous déplorez parfois que je sois si secrète ? » (mars 1964)


On se demande bien, par parenthèse, comment certains brillants universitaires ont pu, dans leurs communications sur Mireille Sorgue, se montrer si pénétrants alors qu'ils ne pouvaient se dire « autorisés » par l'ayant droit et qu'ils ignoraient sans doute les pages… capitales de « La Revue du Tarn » !



« La mort de Mireille n'appartient qu'à elle », m'avait fièrement écrit la petite sœur. Ce qu'elle développa en ces termes : « C'est clair, il ne faut pas (souligné) que l'éditeur parle du train. D'abord parce que cette image est terrible et que je ne tiens pas à m'y heurter au détour d'une ligne d'article. Ensuite parce que ce serait accréditer la thèse du suicide (les accidents, dans ce domaine, sont rarissimes) et nous n'en avons pas le droit. Et puis, il s'agit peut-être là de son ultime secret ; cette chose-là ne regarde qu'elle. »


Que voilà de nobles propos ! Dommage qu'on soit l'impulsivité et la versatilité mêmes. Au point de s'interroger un jour, gravement : « Nous n'avons peut-être pas le droit de supprimer un seul mot de ces lettres » (29 janvier 1981), mais de m'écrire plus tard, sur la suggestion du petit cercle… littéraire dont on s'entoure : « La réédition des Lettres et de L'Amant chez "France-Loisirs" est une bonne occasion pour améliorer la qualité des textes », les « fervents lecteurs » étant gênés par les « mièvreries dues aux "Minou" qui sont effectivement trop nombreux » et « de même pour les histoires de "Chat". […] Je ne crois pas que ce serait un très gros travail, et Maman pourrait vous aider . » (Ce qui était bien l'argument le plus propre à emporter mon adhésion !)


Par chance pour l'histoire littéraire, le souci de la vérité, si vif chez l'ayant droit, allait prévaloir. Quelques années après les déclarations touchant le secret à préserver, une étude « autorisée » puisqu'elle était signée de l'un des « fervents » du cercle, dûment… informé, abordait longuement le suicide de Mireille. Une étude que j'évoquerai plus loin, elle le mérite, et qui fut jugée par la petite sœur si remarquable qu'elle l'imposa au « Livre de poche » à la place de la préface qu'Henry Bonnier, devenu, lui aussi, un personnage haï, avait écrite pour la première édition de L'Amant. La quatrième de couverture ne manque pas, elle aussi, de mentionner le suicide – un mot qui ne blesse plus la sensible petite sœur. Au point que le monde entier sait à présent, grâce à la biographie (maison !) du site officiel, qu'« elle se jeta du train ». À croire que la biographe assista à la scène.


« Le brigadier a vu l'accident, m'écrivit sa mère. Il se trouvait sur la route que longe la voie ferrée – il l'a vue, une fraction de seconde debout sur le marchepied – puis elle a basculé. Il est formel : elle ne s'est pas jetée. Les secours ont donc été immédiats. »


Mais je conviens que l'expression « se jeter d'un train » a une autre allure !



« La folie n'est pas une maladie honteuse », et je souscris volontiers à ces mots de la petite sœur. La gloire d'un Höderlin, d'un Maupassant, d'un Nietzsche… n'est pas affectée par leur démence ; non plus que l'œuvre d'un Chatterton, d'un Nerval, d'un Maïakovski, ne pâtit de leur suicide. Et peut-être est-ce le prix à payer pour ces « voleurs de feu » que sont les « voyants » selon Rimbaud.


Je regrette seulement que le même mot de suicide s'applique et à l'acte de qui a plus ou moins longtemps délibéré de mettre fin à ses jours, s'y est préparé en conséquence, et au geste de celui qui, dans son délire, entend une voix qui le pousse vers le néant. À qui, en d'autres termes, on arrache la vie.


« Pour qui souffre d'une dépression névrotique, avec altération de la fonction du réel, dit le clinicien, le passage à l'acte n'est jamais prémédité mais presque toujours le résultat d'un "raptus anxieux" imprévisible, survenant toujours au petit matin : il s'agit là d'un accès irrépressible d'angoisse auquel le malade réagit par une compulsion de mort libératrice. […] Force est de constater que les sujets les plus brillants paient un lourd tribut à cette redoutable affection. »



Les mots de fou, de folle, de folie, abondent dans les Lettres, mais ils se sont, pour nous, si bien affadis avec le temps, que nous en usons à la légère. Les rencontrant sous la plume de qui avait un sens inné de la propriété des termes, j'aurais dû leur donner leur juste poids. Pourtant conscient que celle qui m'écrivait appartenait à la race des « voyants », j'aurais dû avoir constamment à l'esprit sa prescience d'une vie menacée, d'une vie brève.


Ne savais-je donc pas que le génie adolescent attire la foudre ? Que c'est une Mort aux formes pleines et fermes, et non une vieillarde, qui couronne les êtres épris d'absolu ? Sans doute, mais que pèsent les avertissements tels que ceux-ci : « Je crois Ami que je vais étreindre ma vie autant que je le puis, très fort, la clamer avec démesure, mais je crois aussi qu'un jour, très vite et tout d'un coup, j'ouvrirai les bras pour connaître l'amère joie de l'abandonner avant qu'elle ne me quitte. » (14 novembre 1962) ?


Que pèsent ces prémonitions, quand on reçoit l'une de ces lettres que je qualifiais de « planantes » et qu'on lit : « Et c'est vrai que je voudrais au moment de mourir m'abîmer ainsi dans ton visage contemplé. […] C'est dans très longtemps, et c'est demain, et c'est peut-être à cause du temps si bref que je t'aime si bellement – pour que chaque instant auprès de toi soit si plein, comme une éternité.


[…] Oui, si je t'en parle, c'est qu'avec l'amour et la poésie, la mort est l'un des maîtres-mots de notre vie.[…] Oui, l'amour – l'art – la mort, cela sera toute ma vie, et j'aime qu'elle soit ainsi élaguée de toute fausse branche ; j'aime n'offrir aucune prise au monde et aux autres, et pousser droit comme un tronc nu sous l'impulsion de toute sa sève rassemblée. » (19 octobre 1964)


Et le lecteur de se murmurer : « Dieu ! quels accents ! Jamais la Mort n'aura le cœur de faire taire une aussi belle voix ! » Sans se douter qu'Elle a, au contraire, hâte d'apposer son sceau sur cet amour – pour l'authentifier.


Elle aurait pu en charger l'onde : en septembre 1963, se baignant seule à Agde par mer forte, Mireille avait échappé par miracle à la noyade. En préférant l'air à l'eau, Elle parut se rappeler que celle qui L'avait tant de fois invoquée, se disait « folle » du vent.



Un point de sémantique, pour terminer. Quand cette sorte de malheur frappe une famille, celle-ci use le plus souvent d'euphémismes pour en parler, comme si cela pouvait atténuer l'effroi qu'un tel acte inspire, la culpabilité que ressentent les survivants pour n'avoir pas fait bonne garde. On dit donc de quelqu'un qu'il s'est donné la mort, qu'il a mis fin à ses jours, qu'il s'est supprimé.


Mais la petite sœur a trop le souci de la vérité (sauf en ce qui la concerne – cf le chapitre II « Les coupures »), pour ne pas vaincre sa répulsion devant cette image terrible du train, à laquelle, disait-elle, « je ne tiens pas à me heurter au détour d'une ligne d'article ».


Le choix d'un mot préféré à ses équivalents n'étant jamais innocent, il faut croire que dire, écrire, publier à tout venant que votre sœur s'est suicidée, vous procure un sentiment que tout autre substitut ne vous apporterait pas à ce degré. Un sentiment que je laisse à chacun le soin de définir.


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(1) Il fut d'abord refusé par le professeur, Mme Moatti, mais figure en bonne place dans la bibliographie (maison) ainsi que dans la notice rédigée pour l'édition en Livre de poche !

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Toutes les citations de Mireille sont en italique.

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mardi

1er décembre










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*******************IX - la « difficulté d'être » (2)



« Souffrirai-je toujours de ce mal de novembre ? Qu'on me préfère, que tu me préfères, me laisse incrédule. L'évidence m'étonne. Je ne la comprends pas. C'est de ne pas comprendre, c'est de tout ce que je ne comprends pas que j'ai mal. "Insolation de soleil noir" ? "jusqu'à se consumer l'âme" ? Oui, quelque chose en moi s'est consumé. J'ai l'air plus que jamais d'avoir quatorze ans ? Pourtant je me sens vieille, exténuée et sans larmes comme une vieille femme qui ne fait plus, jour après jour, que ce que l'habitude et la stricte nécessité commandent. Cependant qu'il fait beau comme jamais. » (13 juin 1966)


« Me gêne aussi cette raideur du cou, de la nuque côté droit, qui depuis cinq ans m'avertit que je dois me ménager. » (17 juillet 1966)

« Je me souviens de la lumière de mars [ au bord de l'océan] ; j'aime le mal qu'elle m'a fait. Ah, comment promettre que je ne m'y brûlerai plus ? » (25 juillet 1966)

« Il me semble qu'à présent tout est remis en question ; je ne suis sûre de rien, ni de ce que je dois faire, ni de ce que je dois être ; je n'agis que pour ma conservation, je ne veux que reprendre des forces, mais je ne sais pour quelle tâche et quel est mon but. Peut-être n'est-il pas nécessaire de le connaître, peut-être est-il vain de le choisir, peut-être le plus sage est-il en fin de compte de chercher à survivre le plus agréablement possible. Mais de cela je ne suis pas convaincue… Il me semble, et plus que jamais après les bouleversements de ces derniers mois, que la vérité m'est dérobée ; les choses n'arrivent pas indifféremment, elles ont un sens, ou bien nous pouvons faire qu'elles en aient un, nous pouvons faire que les choses et les faits soient des signes, mais je ne sais pas les déchiffrer et souffre de cette ignorance. Il serait bien temps pourtant que je sache – ou devrai-je me résigner ? »

De cette longue et superbe lettre du 30 juillet 1966, voici un second extrait, au vrai, capital.

« Te l'avouerai-je ? Il me semble parfois qu'on m'a guérie trop tôt, qu'il ne fallait pas qu'on me guérisse, que la folie m'aurait appris davantage que l'état médiocre auquel on m'a rendue. Le monde cessait d'être opaque, je le devinais, j'avais partout des complicités… Mais il faut vivre en société, non dans la nature ; la société m'a reprise, la nature s'éteint, mais la beauté inexpliquée ne me comble plus, je l'interroge. Lorsque j'aurai de nouvelles forces, l'aventure personnelle recommencera. Ces mots désoleraient mon père qui me croit " raisonnable" ; mais comment agir comme lui ? Il se gouverne selon ses principes dont je ne connais pas le fondement. Je ne peux qu'inventer, si je ne me soumets à la règle des autres. Il faut bien que momentanément je feigne de me soumettre, mais inventer séduira ma vigueur retrouvée. Le difficile sera d'établir avec la société des rapports tels que l'invention qu'elle interdit lui demeure secrète ; le difficile est de gouverner juste assez l'invention de soi pour en jouir sans que cela soit perceptible aux autres. J'ignorais en avril quelle faute c'est d'attirer l'attention sur sa personne ; avant longtemps la surveillance ne se relâchera pas.

*C'est qu'avec le délire qui vous est imposé par un hôte redoutable, masqué et tourmenteur, se réalise le vœu de Rimbaud :


« Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.

« Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens […]

Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! »(1)

« Guérie » par la société, Mireille ne se console pas d'avoir en partie perdu les privilèges du voyant à qui la création ouvre ses arcanes, révèle ses affinités, accords, correspondances, alliances, dont elle est tissue ; du poète à qui la nature fait des signes qu'il est le seul à pouvoir saisir, interpréter, et transcrire.

Mireille souffre. Aux douleurs physiques, au reste inexpliquées, s'en ajoutent d'autres proprement existentielles : celles de ne pas comprendre la raison, la finalité de nos actes, le sens de cette vie qui nous fut « infligée », selon le mot de Chateaubriand ; celle de ne rien savoir du temps, de la mort, et de Dieu… À quoi s'ajoutent, pour elle, la détestation d'un moi si imparfait, l'inaptitude à vivre en société, la passion d'écrire tout en en sachant la vanité... (C'est à bon droit que la critique a invoqué le catharisme chez Celle qui, bourrelée d'interrogations, encline au mépris de soi, étrangère à ce monde si décevant, aspirait à la perfection.)

La leçon que Mireille tire de son hospitalisation tient en deux mots : feindre, s'inventer. Feindre une conduite conforme aux règles édictées par les gens « raisonnables » pour ne plus leur offrir la moindre prise ; s'inventer afin, dira-t-elle, de « réussir quelque chose de secret, d'intérieur, en même temps qu'évident et partagé qui est moi. » (13 août 1966)

Je m'accuse de n'avoir pas perçu quel surcroît de vigilance appelait des mots tels que : « avant longtemps la surveillance ne se relâchera pas. »

« la mort, comme la vie, exerce sur moi une sorte de fascination intellectuelle : elle est ce que je voudrais comprendre. » (7 septembre 1966)

[À la veille de l'épreuve du certificat de philologie qu'elle obtiendra avec mention Très Bien :] « Je voudrais être sans défaut, je vais à cet examen comme à une vengeance… » (2 octobre 1966)

« La sensibilité me revient ! Et parfois la douleur, qui ressemble à celle que je vous ai infligée au printemps, douleur des violences qui me furent faites par une incompréhensible nature. […] Sentiment de la présence en moi d'une étrangère inconnaissable, imprévisible, effroi devant cette dépossession, l'effroi qui dut être le vôtre. Avec la conscience exacte de la gravité de la crise me vient celle de votre peine, et la pitié pour nous tous. » (17 octobre 1966)

« Je ne vais ni bien ni mal. Quoi donc m'empêche d'être satisfaite ? Que tout soit approximation. Que tout soit médiocrité. Je sais qu'il n'est pas sage de ne pas se résoudre. Mais sage, faut-il vraiment que je le sois ? Peut-être ne le suis-je que trop ?…°Que signifie ce que je fais, ce que je suis ? Tu ne me réponds pas. » (29 novembre 1966)

« La curiosité, le désir de connaître Dieu, l'effort vers lui, l'effort vers l'esprit au travers de quelque texte que ce soit me semblent être des devoirs trop négligés. » (29 novembre 1966)

« J'étais chez de braves gens et qui m'aiment ; mais cinq jours de lieux communs auxquels je renchéris, par faiblesse ou affection, m'ont lassée. Que cette médiocrité est dissolvante ! Selon que je vois ce que nous avons de semblable ou de différent, je m'humilie ou me révolte. » (27 décembre 1966)

« Ces vacances me semblent un temps de somnolence et de désordre ; je n'ai pas organisé mon temps ; je me suis soumise aux circonstances. » (1er janvier 1967)

« Je voudrais que la vie de famille se borne à voir [mes parents], et Manou aussi. Que je me sens peu faite pour m'inclure dans les cadres traditionnels ! […] Ceux qui prêchent le plus [le mariage] m'en dégoûtent le plus. » (28 janvier 1967)

« J'attends l'été, oui, mais je ne voudrais pas qu'il vienne aussi vite ! Le temps, le temps… Crois-tu que sa brièveté, sa fugacité, me sont moins sensibles qu'à toi ? Ce bonheur est menacé, est condamné, je le sais, mais cela n'en altère pas la saveur. » (28 février 1967)

« Je ne suis pas triste, mais vulnérable […], je me sens dans une saison fragile, mal rétablie, et toi seul sais me rassurer. Toi seul, c'est vrai. Viens bientôt. » (11 mars 1967)

« Je suis guérie, et la seule séquelle est ce manque de ferveur, cette perte plutôt, qui te déçoit, je le sens bien. […] Aimer, admirer nécessite de l'énergie. » (19 avril 1967)

« Il y a un temps infini que je ne me suis pas sentie malheureuse, disgraciée, maudite. » (25 avril 1967)

[ Après que l'un de ses oncles a été frappé d'un infarctus :] « Nous ne savons pas ce qu'est la mort, pourquoi ni quand elle vient, et c'est comme si l'événement se cherchait une occasion de se produire, comme si l'on nous éprouvait, si l'on voulait trouver notre point faible. […] Je suis sûre que de père à fils ou fille des échanges, des réactions – physiques – qui nous demeurent encore inconnues ont lieu, qu'il y a une sorte d'unité charnelle à laquelle on ne peut porter atteinte sans que chacun s'en ressente. Peut-être l'un de nous doit mourir. Il y en a toujours un qui va mourir. […] Il y a des moments où je crains la mort comme au cours d'un orage la foudre. (Une des choses auxquelles j'étais le plus sensible l'an dernier au cours de ce mois de juin qui fut orageux, c'était l'imminence de la foudre.)

Mais toi, moi, je ne nous sens pas en péril. Qui m'aveugle et pourquoi ? "Il fait beau", dis-tu. Il fait beau. Je ne vois pas plus loin que Toi. » (27 avril 1967)

« Bonjour, au commencement de l'été. J'ai toute ma raison, je t'aime ; j'ai toute ma santé, je t'aime et te languis. » (28 juin 1967)

« malade, je ne le suis pas ici [chez ses parents] – malgré le retour de maux de tête tels qu'au jour de notre voyage – et je m'appliquerai à ne pas l'être. » (4 août 1967)

« J'aurais beaucoup à dire sur cette aventure secrète que c'est d'écrire, qui me met parfois dans un état proche de l'hallucination, au bord du vertige. » (7 août 1967)

« partout, tout le temps, je fais des phrases. Cela tient du délire, de la douleur ; je souffre très souvent de la tête […] Je ne suis pas normale ; mais je suis contrainte d'aller au bout de mon acte. C'est terrible, mon ami, mon amour. Terrible et je voudrais savoir et pouvoir me reposer… » (10 août 1967)

(1) Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871.


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N.B. Les citations de Mireille sont en italique.


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dimanche

15 novembre





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******************IX - la « difficulté d'être » (1)




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Quand, à partir de septembre 1962, notre correspondance devient régulière, Mireille souffre toujours de sa déception amoureuse de l'été. Ayant revu, à la rentrée universitaire, le garçon en qui elle avait cru, sa douleur s'en avive, si bien que dans un « geste instinctif de préservation » (10 décembre 1962), elle se réfugie parmi les siens.




Mais son chagrin d'amour, si profond et tenace soit-il, n'explique pas seul l'angoisse, le désarroi qu'elle éprouve alors. Sa mère, en effet, m'écrit : « Savez-vous que chaque année depuis trois ans, c'est la même crise au mois de novembre ? L'année dernière, vous l'avez vécue plus que nous […] Mais l'année précédente – en classe de philo – elle nous avait tous effrayés par une attitude insolite, une espèce de dépression accompagnée de fièvre et d'hallucination. » (Lettre non datée de 1963)




[Je donne ces lignes d'abord pour ceux qui auraient pu entendre la petite sœur déclarer, mais oui, que ces malaises n'avaient commencé qu'avec mon entrée dans la vie de Mireille ! Le sous-entendu allant de soi.]



Désormais, et jusqu'à la fin, alterneront, dans ses lettres, plaintes plus ou moins accablées et assurances de belle santé recouvrée. Celles-ci bien propres à vous faire sous-estimer, voire oublier celles-là. Or, si longue et constante est la litanie des douleurs, des abattements, des déchirements et des désespoirs, qu'à relire d'affilée ses lettres, on se prend à murmurer, tels ces parents au chevet de leur enfant : « Nous ne la sauverons pas ! »




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Plusieurs raisons m'invitent à donner une large place à ces notations cliniques. Outre qu'elles intéresseraient d'éventuels neurologues, c'est souvent en poète qu'elles se formulent ; et il est remarquable que ce mal-être si récurrent n'ait pas davantage, pendant longtemps, affecté et le travail universitaire, et l'écriture amoureuse.


« Il me semble que je lutte contre une menace de maladie, et que toutes les précautions prises ne font qu'en retarder le déclenchement.[…] Tu me crois lorsque je te dis que je ne vais pas bien ? – Mais le cœur si, je t'assure. » (6 septembre 1964)



« Je suis comme un animal que tourmente un taon invincible – c'est parfois exaspérant. » (8 septembre 1964)



« je lutte contre un adversaire masqué qui me poursuit jusque dans mon sommeil. » (20 novembre 1964)



« Je n'ai pas l'habitude d'accorder beaucoup de crédit aux rêves ; et cependant j'ai été troublée lorsque maman m'a écrit la semaine dernière qu'elle avait rêvét que je souffrais et pleurais ; bien plus encore d'être éveillée, la nuit que je passai à la maison, par une présence noire et intolérable à mon chevet – c'est alors que j'ai crié : – Maman ! Impression jusqu'à ce jour d'un empoisonnement subtil – d'une aliénation. » (3 décembre 1964)



« Mais qu'il est tard déjà pour l'œuvre et le savoir. L'immensité des livres m'épouvante. Jamais, jamais je ne lirai tout ce qui vaudrait d'être lu, jamais je n'en dirai tout ce que j'en voudrais dire, et plus que tout me désespère cette illusion de facilité dans le travail, cette vaine réussite… Être parmi mes camarades celle qu'on jalouse un peu, ou que l'on flatte, ou seulement que l'on croit la mieux douée, et cependant se savoir tellement pauvre d'esprit, ignorante et naïve, et tant en souffrir alors même que l'on vous croit heureuse des louanges et peut-être grisée… Tu le sais, n'est-ce pas, que je ne vaux que par le désir de vivre, la force d'aimer, que je suis seulement ce désir nu, cette force tenace – et hors de cela rien du tout… » (19 janvier 1965)



« … ma tête encombrante, énorme, comme me semble-t-il celle, monstrueuse, des mannequins de Carnaval. » (27 janvier 1965)



« Je n'en peux plus de n'être que moi-même, cela, ce brouillon. […] Je me déteste, et sans doute est-ce définitif. » (11 mars 1965)



[Parlant d'un devoir :] « je n'ai plus le pouvoir d'organiser les mots de façon cohérente, le langage m'échappe, je touche à la folie ! Excédée contre moi ! […] Je me sens bête et pauvre, un peu stupide, un peu folle. » (15 mars 1965)



« Je passerai ce jour dans la fréquentation de Verlaine ; je n'ai besoin ici de nul intercesseur, je connais par le cœur cet être si semblable à moi, cette âme féminine, pusillanime… Ne suis-je pas saturnienne, moi aussi, pareillement instable, lieu de la même perpétuelle alternance de vigueur et de lâcheté, et triste toujours de ne savoir faire cesser en moi ce mouvement qui me ruine, triste toujours, et toujours espérant d'y parvenir ? Aussi cette poésie est-elle pour moi sans mystère, sans aura ; j'y trouve mon portrait secret et détesté, l'aveu que je tente en vain de retenir d'une attristante faiblesse d'âme, d'une trop vulnérable humanité ; ce même désir toujours d'être conforté, et même châtié, ces mêmes exagérations de la joie comme de l'angoisse – un cœur tyrannique, battant à rompre la machine, la même incontinence dans la plainte… Ce n'est pas me quitter qu'être avec lui, pauvre vieux bonhomme gênant, qui m'émeut et que je voudrais retuer en moi […] » (16 mai 1965)



« Mon amour, mon amour, je me défie de moi toujours à fomenter de nouvelles douleurs et secrètement complaisante à toute sorte de malheur. L'été me fait peur, j'ai peur de consentir au feu qui veut qu'en lui je flambe. » (1er juin 1965)



« [Alors qu'elle s'apprête à écrire :] « je me sens me précipiter. […] Toujours cette insolence douloureuse et secrète. » (30 juin 1965)



« Le mal, je ne sais d'où (re)venu me tient depuis le début de l'après-midi. C'est le même toujours : il apparaît donc que les kystes [dentaires] dont je me suis débarrassée n'en étaient pas la cause. » (15 novembre 1965)



« Après ton départ hier la même angoisse dont tu m'avais distraite m'a reprise, ce haut-le-cœur constant, cette peine à respirer… Peur comme une enfant qu'on a laissée seule. Exposée. » (7 décembre 1965)



« Je ne t'ai pas écrit pendant plusieurs jours. J'étais, peut-être suis-je encore véritablement malade, véritablement folle. L'incohérence même, dans l'épuisement. Les autres me rassurent ; j'ai seulement une apparence de surexcitation ; mais pour moi qui me connais, j'ai honte de mon visage, de mes mains ; je me promène pour me fuir ; il est juste d'ajouter que dans les moments où je ne suis pas stupide, je me sens géniale et capable de toutes les audaces ! Souris, Amour mien, j'ai besoin de ton sourire. […] » (18 février 1966)



« Il semble que la tête ne puisse plus se reposer. […] Tout le mal semble venir d'une impossibilité de respirer profondément. » (9 mars 1966)



« [je] m'abandonne à ma naturelle persévérance, l'obstination de finir quelque ennui que j'en éprouve une tâche commencée. Je travaille avec le sérieux, la lenteur, la précision d'un insecte qui fait ce qu'il doit. Quand l'envie me prend de rire de moi, de mes vertus passées de mode, d'un sens de l'honneur qui peut-être me trompe, je serre seulement les dents. » (2 avril 1966)




*Quelques semaines après, à la suite d'une épuisante déambulation nocturne dans la ville, régie, dira-t-elle, par les injonctions des feux – qu'elle interprète –, Mireille est hospitalisée pour un mois.



Le diagnostic fourni à la famille fut laconique : « Ou c'est une crise passagère sans gravité, ou le début de quelque chose d'extrêmement grave. »


Laconique à l'excès, oui, s'agissant d'une malade bien résolue à donner désormais le change.



*N.B. Les citations de Mireille sont en italique.


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