* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


jeudi

1er février 2013 L'ARBRE FLUVIAL (III)



L'ARBRE FLUVIAL   (III)
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Douces à nos papilles – la mansuétude même –, sont les eaux courantes. Mais l'âpreté corrosive à nos lèvres, à la bouche, du flot marin ! On a rendu brûlante ce qui dissolvait notre soif. On a donné à celle-ci son plus sûr aliment qui l'exacerbe jusqu'au tourment : quelqu'un, en nous, est captif d'un épiderme écailleux, pulvérulent ; d'une peau en quête de ce qui lui rendrait sa souple fraîcheur, et lui permettrait de donner à nouveau sur le monde.
Et sans doute faut-il célébrer le sel de la terre, celui du désir – à rejoindre en l'échancrure charnelle ; mais la rudesse quasi farouche, mais l'amertume des eaux marines ! Nulle bienveillance n'est à attendre d'elles qui publient à la ronde leur hostilité ; qui essaiment, de leur rumeur, l'avidité.
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*
*
Qu'ai-je donc si longuement demandé au spectacle de l'océan – et d'un océan privé du pittoresque que lui fournissent les côtes accores et tous accidents du littoral ? La vue de l'infini bouclé sur soi ? Le déploiement, les voltes perpétuelles d'une puissance nue, gigantesque, inlassable ? (Et le souffle de dilater sa cage, et l'âme de gagner en résolution.)
J'ai aimé que l'océan rature toute scorie terrestre et m'offre une page de ruines à déchiffrer. (Ce que je ne sus.) J'ai aimé que le retrouvant au matin, il soit l'inattendu même ; que le quittant au soir, je sente longtemps peser sur ma nuque son regard ironique d'avoir eu le dernier mot, d'avoir déjoué mes efforts pour le dire. (« Mais demain, je saurai ! »)
Autant de raisons aussi vaines que celles qui voudraient justifier qu'un être se jette vers un autre, « parce que c'était lui ».
*
Il serait outrecuidant d'entreprendre, après Valéry, les « Louanges de l'eau ». Je dirai seulement quelles images je garde de l'eau simple, fade à qui n'a pas soif, et si commune en nos climats que nous avons cessé de la voir.
Goutte, elle est ce qui souligne une herbe, un rameau, d'un grènetis limpide ; ce qui fait pétiller le chaume au soleil de dix heures , ce qui constelle la voûte des grottes souterraines de perles d'opale.
Agrégée à ses pareilles, douée de mobilité, la voici veine d'agate parmi le minéral, tantôt s'y insinuant, tantôt damasquinant une paroi granitique.
Ruisseau ! Et déjà – leur babil le dit –, les eaux dégourdies, aux torsions d'anguilles, entendent échapper aux obstacles, et vivre leur vie. Sur une terre sans âge, l'irruption de la nouveauté ! Faisant pièce à son inertie, la prestesse gracile. « Statiques, l'herbe, les cailloux. On nous a faites fureteuses et bien habile serait l'enfant qui nous retiendrait entre ses doigts. »
*
Ce que l'enfant ne peut, l'homme s'y emploie. Comme les bêtes libres, les eaux courantes sont pour lui chose à capturer, à asservir. Ce qui vous vaut les lacs de retenue où ciel et onde se fixent jusqu'à l'hypnose ; le flot tronçonné des écluses ; les bouquets d'herbe de la pampa des places publiques, les « bassins de Neptune » où décanter un regard gavé d'ors – et toutes circonstances où l'eau concourt aux échanges et à l'industrie.
À l'agrément. Mais quel Maître des Eaux égalerait le spectacle d'un fleuve perdant la tête et devenant, sur une falaise, névé vertical, haute tenture de vigogne – ô chutes du Zambèze, édifice de tonnerre, d'éclairs, de déluges et d'arcs-en-ciel intriqués !
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Il faudrait n'avoir jamais, pour l'eau, que le regard du paysan du Sahel devant la tresse liquide que la noria arrache à la terre. Je sais du moins l'allégresse des airs autour d'une fontaine de Provence ; la trouée de fraîcheur que fait un filet d'eau dans le mat clapotis des platanes. Le soleil, grand dinandier devant l'Éternel, peut bien buriner le paysage ; en faire un tableau sans repentirs. Ténu, obstiné, un filigrane de nuit souterraine le rend à l'humain.
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L'Océan afflue, se retire, mais, instant ou à distance, il ne nous fait faux bond. Comment, à le retrouver jour après jour, ne pas se croire pérenne ? Si j'ai peu hanté les eaux courantes, n'est-ce pas parce qu'elles rendent manifeste l'écoulement d'un temps qui ne nous épargne, parce qu'une oreille fine discerne ces mots dans leur bruissement : « Et toi aussi, tu es passant… » ?
Le garçon à la rivière de plaine ne les percevait. L'âge lui apprit que, dès lors, il se tenait sur le dévers.
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Murmures
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L'amoureuse :
Trichant avec la solitude et le désir, j'avance de mon mieux dans un monde chaotique, retranchée, rassemblée derrière mon secret ; mais que je voie deux êtres se rejoindre – comme deux vagues s'épousent et se fondent – et la pointe d'un stylet trouve le point le plus vulnérable de l'être et s'y enfonce à m'en couper le souffle.
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L'amoureux
J'ai changé ? Oui, comme la sève brute, effervescente, du printemps devient, en se composant avec la lumière, la sève élaborée, riche de minéraux, qui va nourrir la plante.       
Comme la rivière un peu folle, turbulente, de l'amont devient un fleuve – ample par définition, assuré de sa route et de son but.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, édition Encre marine.
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mardi

15 janvier 2013 L'ARBRE FLUVIAL (II)



l'arbre fluvial  (II)
*
L'Autize de mon enfance n'est qu'un mince affluent qu'on traverse à gué l'été. Je ne sus que plus tard qu'à un certain degré d'ampleur et de puissance, une rivière acquiert le statut de fleuve. Et je sus gré au Val de Loire de m'en fournir le modèle.
Le ruisseau, la rivière, se coulent en loutre dans le paysage. Devenue fleuve, la Loire, dans son cours inférieur, s'affranchit de ses rives ; elle s'étale, se subdivise en diverticules, baigne ou déserte ses îles – vaisseaux à l'ancre dont la charge de saules et de peupliers accuse l'éploiement horizontal des terres avoisinantes, ainsi d'une table encombrée qu'un ample mouvement de bras du potentat eût déblayée.
Ses rives verdoyantes repoussées au plus loin, le fleuve devient l'assise de visible. Dès la source, les eaux sont trains de brindilles, puis de bois flottés. Avec le fleuve de plaine, l'horizontale s'épanche, ouvre à plat l'album de la Création. La Terre est ronde ? Plane est l'aire sous nos yeux ; en équilibre, les plateaux du réel. Maints horizons par le monde sont fermés ? L'évasure de celui-ci laisse pressentir l'abaissement ultime.
*
A-t-on célébré en l'estuaire l'un des plus beaux paysages ? Les eaux s'écartèrent devant Moïse. Ici, ce sont les terres qui sont rejetées jusqu'à n'être plus qu'un incertain ressaut d'ombre. Un « Place ! Place ! » implicite s'élève de l'étendue liquide. Le monde retrouve son aspect originel quand l'Esprit de Dieu flottait sur les eaux. Que soit raturé, comme scorie, tout vestige minéral, végétal, afin que seuls subsistent deux empires superposant leur vol plané, chacun d'eux « d'un seul tenant » ; celui d'en bas, en voie de doucissage, reflétant celui d'en haut. Trop embarrassée, enchevêtré de sablons, lambeaux d'alluvions, massifs bocagers, qui s'équivalent, cependant qu'elle brille de l'infinité des routes qui convergent vers elle.
Une rivière disjoint, entrebâille des volets. L'estuaire repousse tout grands les deux vantaux terrestres ; et le jour se vautre à pleine panse sur ce qui est esplanade liquide, glacis de quelle forteresse d'air, parvis de ce qu'un poète nomma « Temple du Temps ». Par l'estuaire, un ciel diluvien met son genou sur le globe et le terrasse mieux qu'il ne le fait par toute cime.
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Le spectateur néanmoins s'interroge : déversées des nues en Niagara, en langue de glacier, cette clarté, ou bien venue des confins terrestres ? Des labours, des forêts, n'émane d'éclat. Voici qu'avec l'estuaire, un mascaret de lumière remonte le fleuve, patinant de noblesse les châteaux riverains. Ah, il faut que « là-bas » soit une fournaise pour que son brasillement distende à ce point la vue !
Parce que l'évidemment est illimité, que l'immensité est sous-jacente au paysage et commence à nos pieds, nous saurions vous nommer, même sans ces incursions de mouettes, Foyer dont la radiance nappe le chenal des eaux !
Celui qui a vu l'Océan ne doute pas que, de l'astre liquide, procède la rayonnante lumière des embouchures – qui s'essore par notre face. N'a-t-il pas reconnu son éclat, propagé de l'aval jusqu'à l'amont, jusque dans les lueurs cordonnées du ruisseau ? Admirant qu'à contre-fil, de confluent en confluent, par branches charpentières, torses comme tronc de glycine, l'Océan vienne mettre sa griffe d'agate sur les replis les plus reculés du continent.
Pourtant, à regarder une carte, une autre image s'impose : ce réseau hydrographique qui s'enracine en un rivage marin, c'est l'empreinte fossile d'un grand arbre, fibres à nu, dont la sève descendante va connaître une radicale mutation.
*
*
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Douce, l'eau qui répond à la définition qu'apprend l'écolier. Incolore, inodore, sans saveur, elle accumule les manques, ce qui la range parmi les simples, voués à la discrétion, à l'humilité. De fait, sans relief, l'interstice ne la rebute ; sans saveur, elle ne colore nos lèvres, ne les tire de leur vacance, plus que la pluie ou le brouillard de l'aube.
Fade (ne faudrait-il pas faire l'éloge de la fadeur ?), elle est facile mais fuyante. Comme grevée, de naissance, d'une inquiétude essentielle, se déprendre semble son obsession. Libre, il n'est de ses mouvements qui ne soit réponse au signe qu'on lui fait de gagner l'assise où connaître enfin, avec la position d'équilibre, la fin de ses tribulations, à défaut de partager le sort des gouttes d'eau captives pour l'éternité de l'ambre jaune.
Les eaux étroites sont sous le règne du longitudinal et du continu. À moins que l'été ne tarisse les sources, ruisseaux et rivières enchaînent leurs flots, les amalgament, mus par un seul dessein.
Avec l'océan, le fleuve rencontre un domaine où le sens n'a plus cours. Les astres, la boussole, éclairent l'homme ; les eaux douces que leurs berges guidaient, se perdent en un dôme où toutes directions, convergent, s'entrecroisent et s'annulent.
D'une rive à l'autre, notre regard jetait une arche sur la coulée liquide. La voici résorbée dans l'immensurable, étourdie par le tournoiement de l'ailleurs.
Les eaux courantes allaient leur train selon un tracé qui n'autorisait guère les divagations. La cuve marine atteinte, les voilà basculées, assénées, dispersées, éparpillées en rideaux de dentelle ou en mitraille selon l'obstacle, et sans relâche inquiétées.
Elles étaient réputées douces : on les rend hargneuses, offensives, gréseuses à l'image du minéral qu'elles affrontent. On évoquait, devant leur surface, le dos de la lamproie. Leur sort le plus commun est l'horripilation, à vagues acérées. Ainsi passerait-on du galet au silex taillé, de la plaine sédimentaire à la nappe de charriage, porphyre et olivine mêlés.
Rivières et fleuves au naturel sont faisceaux de muscles lisses qui s'étirent bienheureusement comme jambes de jeune femme dans le lit. L'océan en fait des muscles striés, voués à la contraction, à la volte et au rebond, à l'accolade et à l'assaut, à la morsure, à la caresse.
Mais surtout, un autre temps les régit. Celui des eaux courantes paraît accordé à ce qui fait croître les arbres et périr les civilisations. Celui des rivages océaniques, cyclique, gouverné par les astres, tout à tour vous propulse et vous soutire, vous éperonne ou sonne la retraite. On vous vanne de côte en côte ; on vous lance à l'assaut des continents ; les détroits vous prennent à bras le corps ; les récifs vous catapultent et vous dilacèrent.
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Vous couliez avec des frôlement de brise longeant une paroi indéfinie – un clapotis pour ponctuation. Ce n'étaient, au long de votre cours en plaine qu'adieux se démaillant par les berges, susurrements d'eaux qu'on fronce et déplisse. Et vous voici en présence d'une clameur diffuse, faites d'assertions obstinément répétées ; d'un espace dense, mouvant, qui s'embrase de gris malgré le grand jour.
Vous fûtes une note, un pépiement, un arpège, un motif détimbré, et vous débouchez sur un chorus qui prendrait consistance, sans cesse mis à mal par des hourras tamisés, translucides. Ou, parfois, à fond de baie ou de golfe, dans le chatoiement d'air d'une pièce de satin qu'un mouvement de poignet ferait valoir à l'étal.
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Les Murmures de l'amour…
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L'amoureuse :
Si je t'écris longuement, ce n'est pas par un travers de bavarde, mais faute d'avoir trouvé le mot – unique – où tiendrait mon amour. Sens-tu, à me lire, mon désespoir d'être « muette » ?
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L'amoureux
Tu es continûment sur mon chemin, inévitable, et je dois te traverser pour passer outre. Mais tu te (re)présentes aussitôt à moi, intacte, avec la constante nouveauté des bêtes libres.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, , édition Encre marine.
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1er janvier 2013 L'ARBRE FLUVIAL (1)



L'arbre fluvial  (1)
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« Vous nous avez montré l'océan dans tous ses états. Les eaux courantes, semble-t-il, vous retiennent moins. »
Il est vrai. Sans doute pour avoir grandi dans une campagne calcaire, aux puits profonds. Mais le garçon qui n'avait encore vu la mer descendait parfois à la rivière, assuré de ne jamais la retrouver telle qu'en son souvenir.
C'est l'été. La plaine pantelle sous le soleil ; mais, gagné le fond de la vallée, la fraîcheur vous tonifie les joues, le front, creuse votre respiration. Des eaux ductiles comme pâte à berlingots verts coulent entre les pierres du lit avec une prestesse de loutre. D'où venues ?
Je n'avais encore vu la mutation d'une paroi de roche compacte en filon de roche fluide, cristalline – avatar saisissant dans les sources vauclusiennes quand, au bas d'une échancrure de plateau, fusent et bouillonnent des flots glacés, dans un hourvari scandé de cigales cisaillant les proches platanes.
Je n'avais vu les premiers pas d'une rivière, quand les graviers rendent le ruisseau « scrupuleux », selon le mot du Poète, et lui enseignent l'art de transiger. Et non plus de confluent, quand deux courants se rejoignent, sans se mêler d'abord, le plus puissant drossant l'autre à la rive, avant que de fondre leurs destins.
L'enfant n'avait, sous les yeux, qu'un tronçon de parcours : une courbe du lit qui allait s'effilant, bornait le regard. Simplement, cela passait. Il y avait, dans un monde perclus, entre des berges qui appartenaient à la terre, les figures mêlées de la jeunesse, de la vivacité, de la résolution.
Cela passait, inépuisable eût-on dit, et c'était l'insaisissable même : les doigts spontanément joints n'en pouvaient rien retenir ; la chaussée du moulin n'y parvenait davantage, que l'eau, aussi malléable que ductile, enjambait en se jouant.
*
Au printemps, à l'automne, la rivière se conformait à l'image mentale que nous en avons : entre des rives où saules, osiers, ajoncs, foisonnent de sève, s'allonge une clairière laquée, vitrifiée, où le jour prend pied, où infusent, leur cime en bas, les arbres qui la bordent. L'effervescence végétale se disjoint et laisse place à l'arasement. Et cette perspective horizontale nous dispose à l'équilibre, à la sérénité. À la songerie ouverte, sans objet, que nous instillent le bruissement tombé du feuillage, le susurrement des berges auxquelles le flot balbutie un adieu, cependant que nous vient le désir de ne plus bouger, requis par les sensations processionnelles qu'on nous dispense à satiété. Car si tout semble frappé d'un charme, la rivière n'en coule pas moins – sous son épiderme.
Flâneuses en demi-saison, les eaux changeaient d'aspect selon l'heure, l'état du ciel, et les humeurs de sa brise d'escorte. Que brille le soleil, et s'amorce, sous vos yeux, une allée jonchée de grésil, de lambeaux de neige, ou d'efflorescences de saline ; un chemin constellé de pétales blancs – pour quelle procession du Saint-Sacrement ? Parfois, la rivière s'écoule sous une tunique de « croco », de cuir chagriné. Elle peut être glace dépolie, mais aussi miroir donnant, aux reflets du feuillage, une netteté d'image à la parfaite mise au point.
Il faut quelque imprudence pour se noyer quand des sablons effilés subdivisent le courant. Mais quand nulle aspérité du lit ne crève la surface des eaux ? Le jeune contemplateur qui ne savait encore nager pressentait que, sous ces dehors benoîts, cette apparente indifférence, on était aux aguets, prêt à vous étouffer.
Au moins, face à la crue, à la violence faite au courant, à l'air, savait-on qu'il fallait se tenir à distance.
Gonflées, les eaux nous rappellent leur fréquentation de la terre. À la suite de quelle rupture de barrage, celles que voici ont-elles coupé court par des labours ? Écailleuses ou crêtées, parfois en successions de bords de lauzes, elles sont saisies d'une fougue e coulée de lave. La pente qui les meut aurait-elle basculé ? Elles n'ont plus le temps de refléter le ciel, ni les arbres qu'elles ceinturent à mi-tronc, berges transgressées, abolies. Et la vallée est telle une barge chargée à ras bords d'une eau pesante, limoneuse, qui dévalerait un chenal à ses exactes dimensions.
Emportés, les murmures, chuchotis, des eaux oisives. Débordantes, elles ont, non moins que les tornades, à faire dans l'urgence : un souffle de puissant déversoir nous l'assure ; une expiration forcée indéfinie. Une retenue rencontrée est franchie en une sorte de « galop volant », quitte à retomber dans un enchevêtrement d'écume acérée, griffue, où l'on croit voir une mêlée de casoars.
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À prendre de la hauteur avec les eaux courantes, ce que je fis plus tard, d'autre images vous viennent. Bordée de vert, une lanière de ciel s'est abattue sur la terre. Pour la flageller ? Pour souligner, de sa platitude, tout ce que le globe a d'accidents – ravins et crêtes, bosselures et cuvettes ? Serait-ce là une veine à nu qui survivrait à un organisme en voie de sclérose, de fossilisation ? Un filon d'argent qui ferait surface pour damasquiner le paysage – ou pour en faire un champlevé ? La touche de bleu acier, de bleu turquoise, dont un Fauve aurait rehaussé un paysage peint en grisaille ?
Par la rivière, ciel et nuages s'invitent sur terre ; ils la rasent comme fait l'hirondelle à l'approche de l'orage. Par elle, s'ouvre, dans la croûte terrestre, une sinueuse crevasse où voir… le jour. Au plus bas du terroir considéré, elle étalonne en hauteur ce qui l'entoure, et d'abord les abrupts rocheux qu'elle fait valoir et dont, longeant leur pied, elle semble l'assise.
Mais surtout – l'insinuante ! – elle a, face à l'obstacle, un discernement sans défaut pour déceler le point où l'adversaire baisse la garde. À nos yeux, nulle pente ne se dessine, ne s'impose en cette composition de buttes, bassins arables, éboulis de villages, au loin.
Féminines, toutes de soumission apparente, les eaux vives s'y fraient un passage par manœuvres de contournement ; elles introduisent la circonlocution dans un réel qui nous parlait tout de go. Elles nous révèlent qu'on peut passer outre à ce qui nous paraît une paroi sans faille.
On les croirait, de haut, apparentées à quelque pierre précieuse – tantôt lazulite, tantôt olivine. C'est tête baissée qu'elles cheminent avec la détermination des oiseaux migrateurs après qu'un signe venu d'au-delà l'horizon et d'eux seuls perçu, eût fait, de leur troupe sans cohésion, un fer de flèche.
*
Rectilignes, l'orée des champs, l'arête des toits, maintes voies de communication. La rivière de plaine, de bassin sédimentaire, y introduit le méandre, figure de la nonchalance, du don gracieux. Elle nous enseigne les vertus du balancement, et ce que l'on gagne à perdre son temps.
Elle appose son paraphe sur le paysage. Aux torrents de foncer au plus droit en bousculant les airs. Elle a, pour envelopper les butes boisées ou ravinées, des arrondis de bras de danseuse kmer.
Elle introduit, dans la nature hirsute, le poli et l'égal ; elle est… faveur de paquet au grossier emballage.
L'homme défriche le terroir. Elle fait prévaloir, par ses berges joufflues de verdure, les droits de l'arborescence, des frondaisons.
Il est des réceptacles terrestres où l'eau, ne trouvant pas d'issue, voue le ciel à la macération. La rivière nous montre qu'en tel bassin qui nous semblait fermé, était une échappée – qu'elle sut trouver. Que la cuvette de roche et de terre que nous croyions étanche, fuyait. Partant, que l'évasion est possible parmi ce qui – champs, demeures et routes –, paraît à jamais fixé.
Elle nous révèle que le ciel n'est pas seul orienté – par une cohorte de nuages, un vol de migrateurs… – mais qu'un fil gouverne les eaux libres, apparentes ou souterraines, et jusqu'aux indolentes, quasi sans penchant, qui ne quittent leurs berges qu'à regret. Un fil non perceptible dans l'espace, mais qui fléchit les herbes aquatiques.
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Hormis celles qui s'amassent et s'évaporent sur place – une dépression argileuse y suffit –, les eaux étroites semblent tôt posséder un sens très sûr du chemin à suivre pour gagner la sortie du labyrinthe. Un chemin au demeurant tortueux car on n'est pas de nature à trancher au plus droit, sauf en recoupant un méandre ancien. Il est même d'usage de se raviser, d'opter pour une autre direction , quitte à se reprendre à nouveau. Reste qu'il est bien un fil du courant qui, avec doigté, va démêler l'écheveau des possibles, en fait de pente, et vous mener, en dépit de mille traverses, d'un amont à un aval.
À chaque confluent, le fil s'affirme en force, en décision. Les eaux qui convergeaient à leur insu y trouvent leur justification, ainsi de foules venues d'horizons divers que draine un même pèlerinage. Une seule visée les anime, pour obscure qu'elle soit – et cela s'agglomère, s'entrelace, se confond ; et fonce, naseaux bas, endigué, sauf par temps de crue, par des berges indifférentes à ce qui passe.
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Les Murmures de l'amour       *
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L'amoureuse
Tes mains sont pour moi un grand mystère, à les voir si bien donner forme à la tendresse. (La forme des fougères, celle du givre aux carreaux.)
D'où vient qu'elles se dirigent sur moi comme si elles me connaissaient de tout temps ? Comme si je n'étais, que pour être défaite par elles ? Cependant qu'avec une égale sûreté, ta voix – une voix de soir – me contourne le cœur…
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L'amoureux
Tu es de ces femmes qui, de leurs pas, déploient sur terre d'immatérielles balustres.
Ai-je dit déjà que tu m'étais, au cœur de l'été, l'ombre végétale ?
Comme la Mathilde de Neruda, tu es de celles qui viennent à vous les paumes pleines de froment.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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