* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


mercredi

L'Ecriture au féminin, VI, 2. 1er novembre 2012



L'ÉCRITURE AU FÉMININ
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VI  SEXE ET CRÉATION
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2
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Outre les sujétions auxquelles elle fut et demeure soumise, les obstacles que les mœurs, la société, lui opposèrent, bien des raisons peuvent expliquer le semi-effacement de la femme dans l'art universel, et la pénétrante remarque de Borges mérite considération : « Les artistes veulent sauver l'essentiel et le faire exister dans leurs œuvres. Les femmes, par désespoir ou par résignation, croient qu'on ne sauve rien et suivent le fil du tragique. Ou bien elles vivent la vanité, ou bien elles savent que tout est vanité : de là leur impuissance fondamentale. »
Cependant, le véritable dilemme ne serait-il pas : créer ou vivre ? Celle qui entend écrire, peindre, sculpter, composer de la musique, doit certes se fermer à l'insidieuse voix de ses proches, à la pression de la société, se conjuguant pour la maintenir dans son rôle traditionnel de fille, épouse et mère. Mais elle doit plus encore résister à cette autre voix, insinuante à souhait, qui l'engage à simplement jouir du quotidien sans rien entreprendre de singulier, de hardi, d'ambitieux. N'a-t-on pas, en la circonstance, d'assez nobles justifications ? Entretenir un foyer est une œuvre de tous les instants ; une œuvre de sable sans doute, mais une œuvre. Porter, mettre au monde, élever un enfant, relève de la création et vaut bien la « maigre immortalité noire et dorée ».
L'âme, l'esprit, aspirent au dépassement ; le corps, le cœur, vous persuadent de rester dans le rang, de vivre modérément à l'exemple de vos proches et de tous les autres. C'est que la chair, le cœur, pressentent ce que la création a de farouche, de totalitaire, et qu'ils redoutent une solitude qui en est souvent et la condition et l'effet ; une solitude que vont aggraver la mauvaise conscience de qui est convaincue d'égoïsme, de dérobade, face à l'ordre établi, et les dédains, les railleries que rencontre une œuvre novatrice.
Créer ou vivre. Et justement, on aime la vie, plus que nous autres, hommes ; on n'en finirait pas, si toute latitude vous était accordée, de l'accueillir et de se perdre en elle avec gourmandise, à la faveur de la flânerie, de la rêveuse paresse, du sommeil tous pores ouverts. « Eh quoi, c'est à la vie fluide et légère et parfois savoureuse, qu'il faudrait renoncer ? Pour lui en substituer une, fruit de la réclusion, de la contention, qui se dérobe à vous à mesure qu'on la traque ; une vie hasardeuse, amère – et décriée ? Il faudrait abandonner la proie pour l'ombre ? La vie vraie, pour sa transposition, sa recréation – lesquelles se doivent d'être neuves et hautes pour être reçues ? Mais créer, c'est dire Non à tout ce pour quoi je suis faite ! C'est un acte contre nature devant lequel regimbe mon moi de femme toute-nature… »
Est-ce là forcer le trait ? Ce qui est promis au créateur de quelque sexe qu'il soit, c'est bien, en effet, une vie de renoncements, tête tournée vers le mur quand les autres laissent errer, se distendre leur regard au gré des spectacles ; une vie où l'on n'a pas même l'espoir d'en finir, un jour lointain, avec l'idée fixe qui vous habite et vous meut. Et cette vie où l'on n'y est pour personne, que pour l'hôte impérieux, exclusif, qui s'est institué votre seule famille ; où l' « on ne veut pas le savoir », qu'il s'agisse du beau temps, du voyage, d'une fête carillonnée, cette vie requiert tant d'opiniâtreté, de patience, de discipline ; elle entraîne une si authentique mutilation de la personne, que l'on comprend les refus délibérés ou inconscients, surtout quand les servitudes domestiques vous fournissent en alibis. L'homme, dites-vous, a brimé au long des siècles, votre désir de création. Sans nul doute. Mais savez-vous ce que représente le fait de se brimer soi-même indéfiniment ?
La part faite – considérable – à votre statut, aux circonstances, à l'hégémonie intellectuelle, spirituelle de l'homme, et si la création, chez les sœurs de Shakespeare, était aussi affaire de choix ? S'il y avait eu dans le passé, s'il y avait toujours, celles qui se résolurent à payer le prix, quel qu'il fût et quoi qu'il advînt, et puis les autres, velléitaires promptes à rendre tout un chacun responsable de leur propre démission, ou « écrivaines » qui crurent qu'il suffisait d'accueillir complaisamment ce qui venait sous leur plume, de mettre à nu leurs viscères, « de parler de là où on est femme, du fond du corps », ou qui, pour s'être dit : « Quel roman que ma vie ! », couchèrent celle-ci séance tenante sur le papier comme on la relaterait à sa meilleure amie ?
Il faut en revenir une fois encore à la Comtesse de Noailles parce que, rarement, dans un destin de femme, il y eut pareille conjonction d'éléments aussi propices à la réalisation d'une grande œuvre : une inspiration inépuisable, une flamme, une véhémence de bacchante, la familiarité des plus hauts esprits, la noblesse d'une âme « héroïque » hantée par le tragique de la vie, maintes fois gorgée de douleur autant qu'elle l'aura été de joies, et tout cela joint à la fortune, au loisir qu'elle permet, à la reconnaissance d'emblée de votre génie, à une considération quasi unanime…
Toutes les chances, vraiment, et ruinées par un abandon incontrôlé à l'inspiration ; par une présomption aussi qui faisait dire à la poétesse : « Barrès est le seul qui m'ait fait changer un mot, un vers » ; par une sorte d'impatience permanente, de commencer et de finir. (Ce qui nous fait rendre grâce à la nature d'avoir assigné à la grossesse une durée minimum : que de femmes, sinon, mettraient au monde un enfant bâclé, par ce même dédain des pouvoirs du temps !)
Les femmes dont l'œuvre traversa les siècles, celles de nos contemporaines qui dureront, ont senti qu'il fallait en art « tenir tête à son cœur » et d'autant qu'on était plus inspiré, plus naturellement effusif. L'expression du cri, du délire même, leur a paru mériter tous leurs soins afin d'en restituer la force et la vérité. Elles n'ont pas cru que la logorrhée tenait lieu de puissance verbale, ni que l'abus des néologismes vous rendait plus suggestif et le recours au trivial plus convaincant. Toutes comprirent, au contraire, que loin d'être entraves, obstacles, les conventions et les règles assuraient à l'expression du moi le plus singulier, voire le plus organique, un impact, une autorité que la veulerie dans l'écriture lui interdit. (Qui, mieux que Colette, nous aura révélé, dans le style le plus surveillé, les ténèbres du monde animal, les liens très obscurs entre l'homme et les bêtes familières ? Mais il est vrai qu'elle pouvait affirmer, sans crainte d'être contredite : « la seule vertu dont je me targue : le scrupule ».)
Les gênes, les « chaînes », se trouvèrent parfois dans la forme même – pour une Louise Labé ; ou dans une société, une culture, qui prisaient fort l'art d'exprimer le plus en disant le moins – pour une Mme de La Fayette ; ou encore, au siècle suivant, dans les prestiges d'une langue étincelante comme éclairs de fleurets. Puis un temps vint où l'inspiration se prévalut d'une source divine, où les formes s'assouplirent ou se brisèrent, où l'inflation gagnant les mots, la surenchère verbale seconda celle du sentiment. Et tout se passa comme si la cohorte des femmes auteurs qui, pour être peu enclines à la retouche sans fin, à l'émondage, pensèrent pouvoir s'autoriser la prolixité dans le discours, le laxisme dans la forme, ne gardant de l'art qu'elles imitaient que le plus faible, le plus corruptible.
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Les Murmures de l'amour       
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L'amoureuse
Que tes lettres savent donc me meurtrir d'allégresse, me briser avec précision !… Il n'est de leurs phrases, et jusqu'aux plus anciennes, qui, en moi, ne se mue en remous, qui ne me persécute.
Est-ce pour cela qu'il m'arrive de ne garder en pensée, de tes pages, que la dernière phrase, qui les résume en majesté – épigraphe, exergue dont je filigrane le ciel ?
L'aimé ? l'amant ? Il est celui qui peut vous faire rêver une semaine et davantage avec trois mots sur une feuille. Quel écrivain y prétendrait ?
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L'amoureux
J'ai repris ta lettre dans un ralenti de cinéma, pour mieux surprendre, analyser le mouvement de ton cœur. Avec, par intervalle, une approbation à mi-voix qui t'eût fait sourire –l'aimé et le destinataire opinant à la fois de contentement devant un monde en ordre.
Tu sais si bien choisir parmi nos souvenirs – entre ceux qui ont l'éclat de nos draps et ceux qui rayonnent un silence végétal – que ta lettre m'irradie la face.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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lundi

ECRIRE AU FEMINI VI, 15 octobre 2012.



La chronique « En marge du site de Mireille Sorgue » (juin 2009-juin 2010) a été complétée par deux chapitres (le dernier, ce début d'octobre). Afin de ne pas les dissocier de l'ensemble de la chronique, dont ils font intégralement partie, ils ont été insérés dans le blog mis en ligne le 1er juin 2010. Ils sont consultables en allant dans les archives du blog, en mai 2010 (date de la préparation du blog du 1er juin).
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L'ÉCRITURE AU FÉMININ
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VI  SEXE ET CRÉATION
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1
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Pour expliquer la faible part des femmes dans l'art universel, les misogynes ont invoqué des déficiences d'ordre intellectuel inhérentes au second sexe. Mais si cette prétendue moindre aptitude avait son origine au plus profond de l'être ?
L'expression d'homme de désir semble un pléonasme à la plupart des femmes. L'homme est cet étranger avec qui on est amenée à vivre, mais qui vous étonne par ce que son désir a d'obsédant et d'impérieux, au point de vous le faire apparaître en perpétuel quêteur, voire en mendiant ; et le conduire parfois à la violence et au meurtre. Pourtant, malgré ce que le désir implique de dépendance, d'aliénation, il faudrait bien le célébrer comme une dimension primordiale de l'humain, et dire quelle vie délectable on lui doit, sans commune mesure avec celle que suscitent en nous le soleil, un mets délicat, un moka brûlant.
Stagnante, d'une fixité hypnotique et néanmoins traversée d'élancements, voici, perçue de ses racines fasciculées jusqu'à son efflorescence par toute notre la peau, une vie massive, pourpre, chaleureuse, travaillée de ferments.
Est-il autant de femmes que d'hommes « cherchant qui dévorer » ? Autant, qu'aveugle le sang, que torture le sel jusqu'à les pousser à des actes délictueux ? Nos compagnes seraient-elles au même degré que nous asservies à la chair, que subsisterait une différence fondamentale.
Si le désir féminin pouvait accéder à une claire formulation de soi, nul doute que ce serait en termes de capture, d'engloutissement, d'assimilation : « Ah ! balbutie le corps, que j'engouffre, absorbe, anéantisse en moi ! Que le sang, la chair, précipitent, s'effondrent sur eux-mêmes dans une implosion de sucs, une ruée convergente de clarté onctueuse ! Qu'on me renfonce au plus profond ! C'est à ce prix que se résorbera  en moi l'impatience de mon sang ».
À ce désir qui s'intériorise, se réfléchit sur soi dans la caisse de résonance du ventre ; à ce désir qui fait augurer d'une mer intérieure de plaisir, s'oppose chez l'homme une pulsion qui le pousse à sortir de lui-même. Chez lui aussi, le sang est mobilisé mais, tout orienté vers le dehors, il aspire à l'issue : c'est par une sorte de sursaut, de fuite en avant, c'est par l'assaut, que sera rompu l'enfermement. Loin de se faire, comme chez la femme, cratère à l'infini se creusant, se dérobant, sa chair veut saillir, culminer, comme si le lieu du plaisir, de l'apaisement qu'elle en espère, ne pouvait être qu'extérieur.
Or, le plus grand art, qui se nourrit volontiers de nostalgie, procède essentiellement d'une volonté de survie, et ses racines se confondent avec celle de la sexualité. Il n'est de création majeure qui ne prenne figure d'exutoire, d'échappée, pour l'être soumis au tourment du dépassement, à la soif de pérennité. L'œuvre, au sens le plus large, est la réponse que certains donnent aux instances, aux pressions, d'un surabondant Éros, pareil à « un foyer brûlant et toujours ravivé » qui suscite ce « mouvement du non-être vers l'être » dont parle Platon. En elle, doivent se percevoir, contagieux, le surcroît d'être qui lui donna naissance, le déploiement d'existence qu'elle représente, la prescience du transcendant qui la hausse au-dessus des réalisations communes.
Mais cet Éros excessif qui veut se projeter au-dehors, si bien moins de femmes que d'hommes le possédaient – parce que femmes et donc plus tournées vers le dedans, formées, conformées à l'accueil charnel, enclines à la passivité dans l'amour ? Une chose est de se dire sensible à la beauté d'une fleur, d'un paysage, d'une musique, d'un coucher de soleil, de s'en pénétrer – ô poreuse ! – et d'en jouir ; une autre, d'être tourmentée par elle, et requise, et sommée, dans l'urgence, la douleur, d'exprimer, traduire, transfigurer, sauver.
On peut dénoncer chez l'homme son obsession sexuelle. Reste qu'au-delà de la stricte activité érotique, c'est à cette pulsion, à cette force centrifuge qui le jette hors des limites du corps, que nous devons les plus hautes conquêtes de l'esprit, les créations qui bravent le temps et conjurent les menées de la mort, et qui sont comme autant d'excroissances infinies de l'être, précieuses d'une semence unique, propre à féconder indéfiniment.
Ce que nous savons de la plupart des femmes qui marquèrent les arts et les lettres nous les montre sensuelles à l'égal de l'homme et comme lui le champ clos d'une impérieuse sexualité. Pour s'en tenir au domaine français, la poésie d'une Louise Labé ou d'une Catherine Pozzi, la prose d'une Héloïse, d'une George Sand, d'une Colette, d'une Marguerite Yourcenar, la sculpture d'une Camille Claudel, la peinture d'une Leonor Fini, sont nées de grandes vivantes, ardentes et à jamais inassouvies.
« J'étais femme et suis devenue homme » déclare Christine de Pisan parlant de son expérience d'écrivain. Veut-elle nous dire que l'écriture lui vaut la considération dévolue aux hommes, ou bien plutôt qu'elle a découvert en elle des vertus, des pouvoirs, qu'elle pensait être l'apanage de l'autre sexe ? Le mot confirmerait alors l'idée couramment admise de la nature androgyne du créateur. Chacun est peu ou prou bi-sexuel. Le grand créateur l'est à un tel degré ; il déborde, dépasse à ce point son sexe physiologique, qu'un romancier, un dramaturge créent des héroïnes en qui une foule de femmes se reconnaissent, et qu'une romancière put écrire les mémoires d'un empereur romain mieux qu'il ne l'eût fait. Il n'est d'ailleurs que d'interroger le visage des femmes invoquées plus haut, ou celui d'une Rosa Bonheur, d'une Germaine Richier pour y déceler une vigueur, une autorité, voire des traits, qu'on peut bien qualifier de virils.
L'art le plus haut n'a pas de sexe parce qu'en lui se réalise la fusion de 1'animus et de l'anima. L'art n'a pas de sexe et féminine est tout bonnement la littérature où la femme auteur est demeurée « de son sexe », enfermée en soi, enfouie dans l'organique, prisonnière de son narcissisme, engluée dans ses sentiments, manquant et de recul et de force et de constance, quand le créateur s'oublie, se dédouble, se projette, se ramasse sur soi pour se quitter à nouveau, soit qu'il ait formé le projet de se voir se voir, ou celui de donner vie à une créature, ou encore de revivifier, de réincarner les interrogations fondamentales : « Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? »
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Les Murmures de l'amour       
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L'amoureuse
Quand je me fais solitaire dans nos promenades, quand je feins de t'oublier un instant, c'est pour mieux ressentir tout ce que signifie : « Être ensemble. »
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L'amoureux
J'ai connu la boulimie et la frustration de l'amateur de musées ; et voici que ceux-ci ne me sont plus de rien : quelle galerie de peintures ou de sculptures m'accablerait de grâce comme tu le fais sans cesse ?
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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Ecrire au féminin, V. 1er octobre



Écrire au féminin
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v de l'Érotisme au fÉminin
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« Je censurerai sans hésiter la véritable pornographie… On la reconnaît à ce qu'elle offense gravement le sexe et l'esprit humain. »
                                           D.H. Lawrence
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Anaïs Nin déclarait dans « Playgirl » d'avril 1974 :
« Une chose est certaine, c'est que la littérature érotique des hommes ne satisfait pas les femmes ; qu'il est temps d'écrire la nôtre et de dire que nos besoins, nos rêves, notre comportement dans l'érotisme sont différents. Des descriptions sans mystère ou un langage cru n'excitent pas la plupart des femmes. […] Elles n'acceptent pas l'agressivité et la brutalité du langage [ des premiers livres d'Henry Miller ]. » [ La femme ] « est plus sensible aux caresses, sa sensualité est rarement aussi franche, aussi immédiate que celle de l'homme. L'atmosphère doit se remplir de vibrations dont l'éveil provoquera l'éclatement final. » […]
« La plupart des femmes avec lesquelles j'ai parlé sont d'accord pour créer une littérature érotique absolument distincte de celle  de l'homme. Cette dernière n'a aucun écho chez la femme. »
« Le fait que les femmes écrivent sur leur sexualité ne signifie pas leur libération. Elles adoptent, pour en parler, l'attitude basse et vulgaire des hommes. Elles n'écrivent pas avec fierté et bonheur.
« La véritable libération de l'érotisme viendra lorsque nous accepterons le fait qu'il y a un million de facettes, un million de formes, d'objets, de situations, d'atmosphères, de variations. »
Et dans le mensuel « F.Magazine » de mars 1978 :
« Si les femmes n'aiment pas que l'amour soit réduit à la "chasse", à la poursuite, c'est à elles de montrer aux hommes ce qu'elles préfèrent et de leur apprendre, comme dans les contes orientaux, les délices d'autres jeux de l'amour. Pour le moment, leurs écrits sont négatifs. Ils ne parlent pas de ce qu'elles n'aiment pas.
[…] Il existe des hommes qui voient l'amour comme nous le voyons. Mais, avant tout, nous devons savoir qui nous sommes, quels sont les secrets et les caprices de notre imagination.
[…] Le fait que les femmes écrivent sur la sexualité ne signifie pas leur libération.
Elles adoptent, pour en parler, l'attitude basse et vulgaire des hommes. Elles n'écrivent pas avec fierté et bonheur. »
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Anaïs Nin parlait en orfèvre. Impécunieuse, elle avait écrit, avec Henry Miller, à « un dollar la page », des nouvelles érotiques pour un riche amateur, anonyme, jamais rencontré, qui très vite lui enjoignit par téléphone de mettre « moins de poésie » dans ses textes.
À la fin, lassée, elle dit, dans son Journal, lui avoir adressé la lettre suivante :
« Cher Collectionneur. Nous vous détestons. Le sexe perd tout son pouvoir et toute sa magie lorsqu'il devient explicite, abusif, lorsqu'il devient mécaniquement obsessionnel. C'est parfaitement ennuyeux. Je ne connais personne qui nous ait aussi bien enseigné combien c'est une erreur de ne pas y mêler l'émotion, la faim, le désir, la luxure, des caprices, des lubies, des liens personnels, des relations plus profondes qui en changent la couleur, le parfum, les rythmes, l'intensité.
[…]
« Le sexe ne saurait prospérer sur la monotonie. Sans inventions, humeurs, sentiments, pas de surprise au lit. Le sexe doit être mêlé de larmes, de rires, de paroles, de promesses, de scènes, de jalousie, d'envie, de toutes les épices de la peur, de voyages à l'étranger, de nouveaux visages, de musique, de danse, d'opium, de vin.
« Combien perdez-vous avec ce périscope au bout de votre sexe, alors que vous pourriez jouir d'un harem de merveilles distinctes et jamais répétées ? Il n'y a pas deux chevelures pareilles, mais vous ne voulez pas que nous gaspillions des mots à décrire une chevelure ; il n'y a pas deux odeurs pareilles, mais si nous nous attardons, vous vous écriez : "Supprimez la poésie." Il n'y a pas deux peaux qui aient la même texture, et jamais la même lumière, la même température, les mêmes ombres, jamais les mêmes gestes ; car un amant, quand il est animé par l'amour véritable, peut parcourir la gamme entière des siècles de science amoureuse. Quels changements d'époque, quelles variations d'innocence et de maturité, d'art et de perversité...
[…]
« Nous avons discuté à perdre haleine pour savoir comment vous êtes. Si vous avez fermé vos sens à la soie, à la lumière, à la couleur, à l'odeur, au caractère, au tempérament, vous devez être à l'heure qu'il est tout à fait racorni. Il y a tant de sens mineurs qui se jettent tous comme des affluents dans le fleuve du sexe. Seul le battement à l'unisson du sexe et du cœur peut créer l'extase. »
*
De tels propos feraient sourire ou s'esclaffer nos modernes romancières du Moi.
– « S'offusquer qu'une femme émaille ses écrits de mots bas, c'est vouloir perpétuer l'image d'un être mythique qui, alliant beauté et distinction, ne saurait parler en charretier. La liberté si âprement conquise doit pouvoir s'exprimer sans circonlocutions. Pourquoi n'égalerions-nous pas l'homme dans le trivial, l'ordurier ? Le temps n'est plus où nos aïeules, dûment chapitrées par leurs mères, n'usaient de mots inconvenants ; s'éprouvaient par eux salies, ravalées, dans leur nature de femmes – et c'était, à travers elles, l'amour que l'on bafouait ; un mot qui, à défaut d'alléger leur sort, leur demeurait talisman.
« Pourquoi, née cynique, expéditive, s'encombrerait-on de périphrases hypocrites ; ferait-on le moindre effort pour suggérer par quelque image neuve et, qui sait, poétique, quand il existe, forgé par l'homme, tout un vocabulaire graveleux qui a le mérite d'être explicite ? Il faut vraiment être une femme d'un autre âge, nourrie de romans à l'eau de rose, pour rêver d'un érotisme "d'un million de facettes, de formes, de situations, d'atmosphères", quand il n'importe que de s'accoupler pas même "le temps d'un sein nu entre deux chemises" ».
Si naïve était Anaïs Nin, qu'elle alla jusqu'à écrire, dans Être femme : « C'est le contenu affectif de l'acte sexuel qui le rend plus intense et plus beau. Différence comparable à celle qui sépare un soliste d'un orchestre aux mille variations ». « Les femmes doivent cesser d'imiter Henry Miller. […], c'est une façon de reléguer [la sensualité] parmi les expériences sans importance, tout à fait ordinaires. »
Non moins obsolètes et dignes de pitié, sont les propos d'un Gabriel Garcia Marquez pour qui le toucher, dans l'amour, était « un cataclysme émotionnel ». Et il ajoutait ceci, tout à fait risible : « Je ne conçois pas l'amour comme un assaut momentané. Pour moi, c'est une relation à deux, durable, dorée à feu doux. »
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Que se rassurent les hommes, s'il s'en trouve, qui auraient mauvaise conscience à faire, de l'Acte, « un assaut momentané » : nos écrivaines – qui sont femmes – lui accordent sa juste place « parmi les expériences sans importance ». Quitte, pour les amants délicats, à devoir tenir pour nigauds les chantres de l'art amoureux. Et à considérer que le monde est en ordre, puisque les écrivaines nous montrent, par leurs écrits, qu'elles ont les amours qu'elles méritent.
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La vie sexuelle de Catherine M., paru en 2001, appelle plusieurs sortes de lecture. On peut y voir l'étude, en ethnologue, d'une étrange peuplade, telle les Muria de l'Inde ; une frénétique illustration du Kama Sutra ; une manière de livre des records en fait d'ébriété sensuelle, le lecteur se sentant partagé entre admiration et compassion pour des galériens du sexe et de la « mécanique des corps » comme dit la narratrice qui se prévaut d'« un nombre incalculable » de pénétrations.
L'œuvre de Sade est, pour partie, l'exacerbation de fantasmes irréalisés. Ici, nulle fantasmagorie, mais un florilège de conduites érotiques dont la méticulosité d'évocation paraît le gage  de leur vérité.
L'ouvrage fut honni ou encensé : s'y manifestait une sincérité si intrépide, qu'elle suscite, avec l'ébahissement, un sentiment d'indépassable dans la transgression. Et le jugement moral en abdique ; l'estime naît pour tant de tranquille audace assumée avec un naturel désarmant.
Le nom de Sade s'efface en nous, qui n'eut jamais de crédit. Celui de Georges Bataille s'y substitue quand surgit ce qui relève, à nos yeux, de l'abjection – et notre cœur en bronche. Mais c'est celui du Baudelaire de Mon Cœur mis à nu qui s'impose : « Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan. » Une assertion dont rirait la conteuse. Moins peut-être de cet aveu du poète : « Au moral comme au physique, j'ai toujours eu la sensation du gouffre […] J'ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. » Encore qu'il n'y ait trace, en l'ouvrage, de « crainte et tremblement », mais la manifestation d'une assez belle santé.
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Si ce livre rend falot, dérisoire, l'érotisme des écrivaines, c'est que Catherine Millet, férue d'art, auteur de monographies d'artistes contemporains, manifeste, en un style tout uni, sagacité, finesse, – délicatesse ! – de perception, inventivité, pertinence dans l'image, qui sont d'un authentique écrivain.
Ce sont ces qualités qui donnent aux mots crus, brutaux, dont s'émaille le texte, un caractère d'éléments rapportés, de restes d'un registre de langue auquel on crut devoir sacrifier ; alors que, chez les écrivaines, ils ne peuvent échapper à la trivialité foncière de l'entreprise. Preuve que n'est pas vulgaire qui veut, et qu'à l'inverse, peut être tenu pour obscène un ouvrage dépourvu du moindre mot bas, au motif qu'il « offense gravement l'esprit humain. »
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texte
Annaïs Nin
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Il était en France sans papiers et il risquait d se faire arrêter. Pour plus de sûreté Elena le cacha dans l'appartement d'un ami qui était absent, et ils commencèrent à se voir tous les jours. Pierre aimait la rencontrer dans le noir, à tel point qu'avant de se regarder en face, leurs mains s'assuraient de la présence de l'autre. Comme des aveugles, ils tâtaient leurs corps, en s'attardant sur les courbes les plus chaudes, en parcourant chaque fois le même parcours, en reconnaissant au toucher les endroits où la peau est la plus douce et tendre et ceux où elle est plus forte et exposée à la lumière du soleil ; les points dans le cou, où rejaillissait l'écho des battements de cœur, où les nerfs tremblaient quand la main s'approchait du centre, entre les jambes.
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Pierre était toujours surpris lorsque Elena cherchait uniquement à lui donner du plaisir, sans penser à elle. Parfois, il était épuisé a^près leurs ébats, moins fringant, et pourtant il désirait retrouver encore une fois l'extase de la jouissance. Alors il commençait à la caresser pour l'exciter, avec une agilité dans les mains qui approchait de la masturbation. Pendant ce temps, les doigts d'Elena se refermaient doucement sur son pénis, telle une délicate et experte araignée, frôlant les nerfs les plus sensibles et les plus secrets. […]
Ne pensant qu'à son plaisir à lui, elle se penchait, les cheveux dans la figure, et approchait sa bouche de sa verge, tout en continuant à le caresser de ses mains ; elle passait doucement sa langue sur le gland sans arrêter son mouvement – et ce jusqu'à ce que son corps se mette à trembler et se soulève pour mieux s'offrir à ses mains et à sa bouche, perdant tout contrôle, avant de donner sa semence en petites vagues s'échouant sur la grève, de petites vagues d'écume salée qui roulaient sur la plage de ses mains. Alors elle prenait tendrement son pénis dans la bouche pour recueillir l'élixir d'amour.
La jouissance de Pierre procurait une telle joie à Elena qu'elle était toujours étonnée lorsqu'il commençait à l'embrasser avec gratitude, en disant :
– « Mais toi, tu n'as pas eu de plaisir.
– Oh si ! » répondait Elena sur un ton sans équivoque. […]
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Quand le désir avait pénétré chacun de leurs pores, chaque poil de leurs corps, ils s'abandonnaient enfin à des caresses violentes. Parfois elle entendait ses os craquer quand elle levait ses jambes au-dessus des épaules de Pierre, elle entendait le remous des baisers, le son comme celui de la pluie, des lèvres et des langues, les humeurs qui se répandaient dans la chaleur de leurs bouches, comme s'ils mangeaient un fruit qui fondait sous la langue. Pierre entendait l'étrange roucoulement étouffé qu'elle produisait, semblable à celui d'un oiseau exotique en extase ; et elle entendait son souffle, plus lourd au fur et à mesure que son sang devenait plus dense, plus riche.
Quand la fièvre augmentait, son souffle était comme celui d'un taureau légendaire qui galopait furieusement vers un coup de cornes délirant, un coup de cornes sans douleur, un coup de cornes qui soulevait sa bien-aimée presque littéralement du lit, soulevait son pubis comme s'il voulait passer à travers son corps et le lacérer, pour la laisser seule après avoir ouvert la blessure, une blessure d'extase et de plaisir qui lui transperçait le corps comme un éclair et la laissait retomber au milieu de gémissements, victime d'une joie trop grande, une joie qui était comme une petite mort, une petite mort aveuglante qu'aucune drogue ne pouvait provoquer, que rien d'autre ne pouvait provoquer à part deux corps amoureux, qui s'aimaient de tous leurs atomes, jusqu'au plus profond de leur être, de toutes leurs cellules, leurs nerfs et leurs pensées.
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                                                                              Extrait de Vénus Erotica
                                                                                              Stock, 1969.
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