* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
*
L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

*
L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

*
CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

*
EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


lundi

15 mars




en marge du site de mireille sorgue


* * * * * * * * * * * * * * * * * * XIV - d'un Éditeur l'autre (1)


* *J'avais conseillé à Mireille d'adresser sa louange de la main amoureuse à Robert Morel pour sa collection « Célébration ». On sait que, d'emblée conquis, il demanda à l'auteur d'étoffer son texte aux fins d'obtenir une évocation complète de l'Amant.

* *Mireille disparue, c'est naturellement à lui que je soumis l'ensemble des fragments qu'elle avait écrits dans ce dessein.

* *Ceux-ci publiés, les relations entre la famille et l'éditeur se tendirent très vite : on ne daignait pas répondre aux lettres pressantes que la Mère lui adressait ; on ne manifestait pas, envers les parents, la considération qui leur était due. (Cependant que l'éditeur me confiait être exaspéré par le côté « Je-suis-la-mère-de-Mireille » de sa correspondante.) Pis, on ne versait pas les droits d'auteur prévus par le contrat. Si bien que les parents intentèrent un procès à l'éditeur désinvolte et indélicat, dans le temps – vers 1974 – où sa maison fut déclarée en faillite.
* *Aussi, est-ce sans surprise que je reçus de la petite sœur, quand la réédition de L'Amant fut envisagée, ces lignes déjà citées mais qui ont ici leur place : « Quant au problème Robert Morel, j'éprouve une telle aversion pour ce Monsieur, que je ferai le tour de tous les éditeurs possibles avant de me présenter chez Tchou. » [Lequel était alors son associé parisien.] (19 décembre 1978)

* *Les éditions Albin Michel ayant accepté de publier à nouveau l'ouvrage, leur directeur littéraire bientôt déplut. Préfacier, « il tirait la couverture à lui » dans ses interventions à la radio ; il se montrait peu fiable, et surtout il avait imposé un contrat d'édition qui réduisait les droits d'auteur au minimum requis par la loi – ce qui, certes, ne se justifiait pas, mais qui fut néanmoins reconduit pour le tome II des Lettres.

* *C'est une Mère dépouillée qui m'écrivit, le 28 novembre 1985 : « D'après Marie-France, nous avons été abusés deux fois. D'abord par les clauses du premier contrat qui nous dépouille en nous accordant des droits dérisoires, qui nous enferme en nous obligeant à confier à Albin Michel les cinq premiers livres qui pourraient paraître. Ensuite parce qu'il faudrait un nouveau contrat pour chaque tome, confirmant ou infirmant le précédent. »

* *J'écrivis à la petite soeur que, s'agissant de l'œuvre de Mireille, il ne pouvait être question d'argent, et lui rappelai le mot de Flaubert : « Je me ferai plutôt pion dans un collège que d'écrire quatre lignes pour de l'argent. »

* *Mal m'en prit : « Vous évoquez avec la légèreté d'un éléphant l'aspect financier. Rien ne vous autorise à écrire ainsi ; vous ignorez ce que je veux faire de cet argent. Vous feriez mieux de vérifier les comptes. […] » (28 septembre 1987)

* *Diable ! Avais-je touché là un point sensible ? Jouant derechef les éléphants, j'écrivis : « Il faut croire que l'aspect pécuniaire revêt pour vous une réelle importance puisque, réclamant des droits plus substantiels, vous avez invoqué, auprès du directeur littéraire, le manque à gagner que vous causaient vos pertes de temps et déplacements dans Paris pour obtenir, des libraires, des « vitrines » consacrées aux deux volumes parus ! »

* *Droits dérisoires, service de presse jugé insuffisant (l'éditeur avait, j'imagine, dissuadé « Libération » et autres publications « de gauche » de rendre compte des ouvrages !), préfacier indélicat soucieux de son seul moi, doublé d'un directeur littéraire décevant – c'en était trop ! « Grosse surprise ! m'écrivit ce dernier le 31 août 1987. Elle a signé chez un autre éditeur pour le tome III. Sans se douter qu'il lui faut notre accord*. »
* *Chez Albin Michel, où l'on avait reçu du Père un télégramme enjoignant à l'éditeur de suspendre la sortie du tome I, puis un second télégramme de même teneur à quelques heures de la parution du tome II, on se montrait peu enclin à poursuivre la publication des Lettres;pourtant, ayant réussi à vaincre les préventions du directeur littéraire, j'avais bon espoir que le tome III verrait le jour.

* *La lettre de la petite sœur remit tout en cause Celle-ci m'ayant confirmé qu'elle venait bien de signer « chez un petit éditeur fervent de l'œuvre et fort méritant », j'objectai que ce changement de maison, rare dans l'édition pour un cycle, serait fort dommageable à l'œuvre ; que les critiques qui, déjà, avaient négligé le tome II, parleraient moins encore des suivants. Ce fut en vain et la réponse, seigneuriale, vint couper court à tout échange : « Je tiens à vous avertir que rien ne se fera plus jamais chez Albin Michel, parce que je ne le veux pas. » (8 septembre 1987)

* *(Plus tard, je fis observer à… l'intéressée : « Ce n'était pas votre œuvre qui était en cause. Auteur, vous pourriez parfaitement claquer la porte des éditeurs importants qui se conduisent mal et préférer les tirages confidentiels, cela ne regarderait que vous… » Mais, j'abrège et n'ai donné ces précisions – oiseuses, j'en conviens – que pour ceux qui s'interrogèrent sur l'arrêt de la publication des Lettres.)

* *La gloire, aujourd'hui, ou du moins la consécration, pour un auteur, c'est d'entrer dans La Pléiade – où Prévert côtoie Proust, et l'on rêve à la teneur de leurs entretiens – ou, plus communément, d'être édité « en poche ».

* *Je retrouve, dans l'un de ces longs réquisitoires que j'adresse depuis vingt ans à l'ayant droit – qui s'en moque – ces lignes relatives à ce genre de collections : « Il me souvient de l'une de vos lettres où vous déploriez la faiblesse des ventes qui n'allait guère inciter un éditeur de livres de poche à s'intéresser à l'œuvre. Il m'est revenu que "J'ai lu" avait eu le projet de publier, en un volume, L'Amant et le tome I des Lettres, comme l'avait fait "France-Loisirs", et que vous aviez repoussé l'offre, au prétexte que les deux ouvrages devaient paraître séparément. Quelque opinion qu'on puisse avoir sur "J'ai lu", avez-vous jugé utile de me demander mon sentiment ? Je sais : L'Amant vous est dédié, et Mireille, vous envoyant la "célébration de la main" vous écrivit : "nous en ferons ce que tu voudras."

* * « Une fois de plus, vous avez cru pouvoir tenir la dragée haute à un éventuel éditeur, lequel se sera, comme Albin Michel, plus aisément consolé de votre refus que s'il était venu de Guy des Cars ou de Françoise Sagan. » (Décembre 1988)

*Sachant que l'éditeur se proposait de publier, sous le titre de L'Amante, la totalité des écrits que j'avais consacrés à Mireille Sorgue, la petite soeur poursuivait en ces termes : "... n'ayez aucun regret, la publication des textes de F. Solesmes n'aurait pas été une heureuse opportunité; l'oeuvre de Mireille n'a nul besoin de ce genre de 'soutien', et les textes de F.Solesmes auraient souffert de ce 'voisinage'". J'ai, bien sûr, remercié l'intéressée pour sa sollicitude touchant mon renom littéraire.



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1er mars



en marge du site de mireille sorgue




****************XIII - la réception critique


******La publication, chez Albin Michel, du premier tome des Lettres et de L'Amant revu et complété, était prévue pour la fin de décembre 1983. Les deux ouvrages étaient prêts ; ne manquaient que les préfaces signées par Henry Bonnier alors directeur littéraire des Éditions. Elles tardèrent, mais pour d'autres motifs encore dont je ne me souviens pas, les volumes ne parurent qu'au début de 1985. Entre temps…
*
Une certaine Marguerite Duras avait écrit un texte de nature autobiographique pour un album de photographies l'évoquant au temps de l'Indochine, album qui devait s'intituler « L'image absolue » (ou « La photographie immobile »). Son éditeur se montrant réservé, l'auteur soumit le texte à des amis qui lui conseillèrent de donner une forme romanesque à son commentaire.
*
Dès sa sortie, en 1984, l'ouvrage – intitulé L'Amant – suscita des critiques enthousiastes. Les ventes, grandissantes, bondirent après l'émission d'« Apostrophes » consacrée à la seule romancière. Enfin, l'attribution du prix Goncourt, en dépit d'un règlement qui limite à 70 ans l'âge du lauréat, acheva de transformer le succès en triomphe planétaire ; si bien que Marguerite Duras qui avait, jusque là, trente ou quarante mille lecteurs, en eut plus de deux millions.
*
Je viens de relire l'œuvre, curieux de voir ce qu'un quart de siècle en a fait. Un grand livre ? Non sans doute, mais un livre important qui méritait l'engouement de la critique et des lecteurs. Le… récit conserve la marque du projet initial et pourrait s'intituler : « Portraits de famille ». Une femme feuillette un album de photographies de son enfance, de son adolescence, et le commente selon un désordre gouverné propice aux digressions, réitérations, ruptures, incidentes, ellipses, arrêts sur l'image, retours en arrière. Elle le fait avec un détachement corrosif servi par d'incessants glissements de la première à la troisième personne et un abondant recours au style indirect.
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On peut s'irriter de la langue si complaisante à soi, si encline à pontifier, des derniers livres de l'auteur. Ici, à dessein dépouillée, fluide, égale – une langue qui va son chemin –, à peine incantatoire, et parfois quasi hypnotique, elle se montre aussi efficace à restituer l'éclat du jour sur le fleuve ou la moiteur de l'air, qu'à inciser les cœurs pour en mettre à nu les ressorts, tout en nous donnant, pierre de touche de l'authentique romancier, le sentiment de la durée.
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Certains lecteurs, abusés par le titre, furent décontenancés par la minceur de l'intrigue, les singularités de l'écriture ? Les meilleurs saluèrent à bon droit une œuvre éminemment sensuelle, à la sobriété opulente, qui si bien redonnait vie, couleurs, épaisseur, à un monde exotique , et à jamais révolu.
*
La consultation du dossier de presse du premier volume des Lettres et de L'Amant de Mireille Sorgue appelle plusieurs remarques. Et d'abord quant au sérieux de certains critiques. C'est ainsi que je relève, sous une plume notoire, que l'auteur « laisse derrière elle plus de trois mille lettres d'amour » (il y en a 660) « et un roman » (ce que n'est pas L'Amant) ; qu'« Elle fut publiée de son vivant par Robert Morel » dans sa collection « Célébration » (ce qui est faux) ; « qu'elle connaissait Louise Labbé (sic) au point de vouloir y (sic) consacrer sa thèse ». Ce qui est non moins faux : elle avait pris, pour sujet de son mémoire, les images érotiques chez Apollinaire. Et le critique de revenir, en terminant, sur L'Amant, toujours considéré comme un roman « entièrement voué au toucher, à la manipulation (sic), aux caresses manuelles. » Tout cela, je le redis, sous une plume de quelque renom !
*
En second lieu, on constate que les deux ouvrages sont certes signalés dans quelques hebdomadaires ou mensuels parisiens, quelques quotidiens nationaux tels que « Le Figaro » ou « Le Monde » ; la presse catholique, de « La Vie » à « La Croix » et à « Témoignage chrétien, n'étant pas en reste – ce qui témoigne d'une belle ouverture d'esprit. Mais la majeure partie des articles vient de quotidiens régionaux et le nom de Mireille Sorgue n'apparaît dans aucun des hebdomadaires ou mensuels que lit avec prédilection l'intelligentsia. Contrairement à ce que laisse entendre une bibliographie pourtant « autorisée », « Le Nouvel Observateur » n'a consacré aucun article aux deux livres, et le « Stop chef d'œuvre ! » qu'on trouve dans le numéro du 22 mars 1985 figure seulement dans un placard publicitaire de l'éditeur visant, précisément, à pallier le silence du périodique. Un silence imité par « Le Point », « L'Express » – et même le mensuel « Lire » !
*
Il est vrai que d'autres livres, appelés, eux, à traverser les siècles, valaient alors la peine d'être signalés. Ainsi, en ce printemps 1985, pour « Le Nouvel Observateur », le dernier ouvrage de Maurice Denuzière, de Frédéric Vitoux, de Renaud Camus, de Marc-Edourd Nabe ou de Jean-Marc Roberts… Pour « Le Point », ceux de Marie Chaix, Raymond Castans ou René-Victor Pilhes… Pour « L'Express », de Diane de Margerie, Christine de Rivoyre, André Sernin, Alain Laffont, Denise Bombardier, Noëlle Loriot, Michel de Grèce !…
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Il est permis, en passant, de s'étonner : les critiques de ces honorables publications ne lisent donc pas leurs confrères ? Car, devant tant de louanges décernées, avec une rare unanimité aux deux livres qui venaient de paraître, comment n'avoir pas envie de partager le bonheur de leurs lecteurs de profession ? C'est ici qu'il faut se souvenir du propos cynique de l'un de nos juges : « Les critiques ne lisent pas plus pour leur plaisir que les filles de joie n'exercent leur activité pour leurs délices. »

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Ce que confirme l'accueil que la presse réserva au tome II des Lettres : on compterait sur les doigts d'une main les articles mentionnant sa parution. Pourtant plus admirable encore que le premier, sa lecture ne tenta pas ceux qui affirmaient avoir éprouvé, avec le tome I, un rare sentiment d'aubaine. Ils avaient fait leur devoir en signalant le début d'une correspondance. Rendre compte du volume suivant sans trop se répéter exigeait qu'on le lût attentivement, ce que l'actualité littéraire ne permet pas.

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Non, les critiques ne lisent pas leurs confrères et d'abord parce qu'ils savent, par expérience, ce que recouvre trop souvent le mot de chef d'œuvre.

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Ils ne lisent pas même jusqu'au bout les ouvrages qu'ils louent puisque pas un ne mentionna le long poème érotique « Première nuit » qui clôt le tome I des Lettres ; poème admirable, aux images neuves et hardies, qui aurait mérité une édition sur grand papier.
*
Se souvient-on encore de l'émission « Apostrophes » qui, en un soir, pouvait rendre célèbre un auteur et décupler les tirages habituels de ses livres ? Le personnage qui l'animait fut longtemps… échotier au « Figaro littéraire ». Quand l'émission, usée, s'arrêta, il y eut des plumes pour dénoncer les dommages que sa futilité avait causés à la littérature ; mais s'il fallait croire les aigris…
*
Ce soir-là (il me souvient que la glorieuse Xaviéra Hollander, versée dans l'érotisme, avait été invitée pour son dernier ouvrage), nous eûmes droit au numéro habituel des feints étonnements, des mines naïves ou gourmandes, ou matoises, d'un bateleur consommé à l'avantageuse modestie.
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En invitant le préfacier des Lettres, en en lisant des passages, l'animateur aurait pu sensiblement étendre l'audience de l'œuvre, dût le renom de la séduisante Xaviéra en souffrir un peu. Mais ce ne fut que dans les dernières minutes de l'émission, au moment du rituel déballage des nouveautés tirées d'un carton, que le volume des Lettres fut brandi. Françoise Xénakis, présente, entreprit d'en faire l'éloge. Elle ne put dire plus de trois mots : Bernard Pivot l'interrompit par ce jugement… définitif : « Oui, j'en ai lu quelques-unes ; c'est assez réussi. » Et l'on clôtura l'émission.
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Il m'est ainsi arrivé de voir un homme s'exécuter… à bout portant, de la phrase qu'il prononçait.

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15 février



en marge du site de mireille sorgue

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* * * * * * * * * * * * * XII - la « collaboration » (2)

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« Les femmes » étant en relations avec les ayants droit du vieil homme, une difficulté se présentait. Si on voulait que Mireille n'apparût pas capricieuse ou ombrageuse, il fallait éclairer ses indignations, ses disputes et ses brouilles, en reproduisant les passages incriminés. Or, les propos tenus par le correspondant n'étaient souvent guère à son honneur, et l'on pouvait craindre que ses proches ne s'émeuvent de les voir publiés.

*****« Ainsi, je vais recevoir une photo (en bikini, je pense, vu la saison), due à la magnanimité de l'Amant. Vous ne pensez pas que s'il est magnanime, c'est qu'il est comblé – et peut-être fatigué ? […] Il convient de donner au titulaire un ou des auxiliaires jeunes garçons, nègres, pour le travail physique. Oh, ne bondissez pas : toutes les femmes le font par nécessité ou prudence. » (7 septembre 1964)
*****Ou cette réflexion que Mireille me rapporta :

« Vous avez une amie de cinquante ans ? Mieux vaudrait un petit chien ! » En ajoutant : « Sais-tu propos plus bête ? »


*****Considérant que cette correspondance ne paraîtrait pas dans l'immédiat, je crus pouvoir faire précéder chaque lettre de Mireille des citations propres à l'éclairer. Puis j'écrivis une préface.
*****L'« éditeur » d'un texte n'ayant pas à prendre parti, je m'efforçai, dans ma présentation, d'être objectif. Las ! On voyait bien, en la lisant, que je n'aimais pas M.Piquet : « Ce que je voulais, m'écrit la Mère le 29 mai 1979, c'était plus de tendresse pour le vieil Ami, plus de justice dans la façon de traiter les deux interlocuteurs […] »
*****Ma préface me fut donc retournée dûment entrelardée de phrases visant à introduire de la tendresse dans un texte qui se voulait neutre. Je cite : « lettres à l'Amant, par centaines pieusement conservées depuis la première » ; « Mireille qui ne peut vivre que dans son Midi, sa chère Provence, Mireille à qui tous les soleils vont bien ! »
*****« Celui qui écrit à Mireille est un vieux monsieur qui vit avec la pensée constante d'une mort proche, ce qui rend d'autant plus touchant l'attachement qu'il porte à cette adolescente inconnue et sauvage, qui refuse d'être aidée, qui ose juger avec sévérité le monde dans lequel il vit […] »
******« D'une formation scientifique solide, il reçut les plus prestigieuses décorations pour faits de guerre, jusqu'à celle de Commandeur de la Légion d'Honneur. »
*****« Dans son entourage, sa culture étendue et nuancée, sa grande érudition jamais en défaut, provoquaient l'étonnement admiratif des jeunes avec qui il était intarissable. »
« .. mais, modeste, comme tous les hommes de valeur, il demande à Mireille de le conseiller dans la lecture des auteurs contemporains. »

« Pauvre et vénérable Vieil Ami, si plein d'admiration et de sollicitude […] »


*****Eh oui, on ignore visiblement le mot de Gide : « C'est avec de bons sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature. »

Trente ans après, je ne relis pas ces ajouts sans malaise, tristesse, et quasi affliction. Comment a-t-on pu croire qu'un auteur ayant le moindre amour-propre consentirait à voir son texte bardé de niaiseries semblables ? Et qu'un éditeur l'accepterait ?) Comment peut-on se targuer de goûter, d'admirer le style de sa fille, et ne pas sentir qu'une pareille « ouverture », même non signée, aurait de quoi déconsidérer la famille aux yeux des lettrés ?


Vont alors suivre des semaines d'échanges harassants. « Vous m'avez humiliée », se plaint-on. « Je ne suis pas totalement analphabète » (4 mai 1979)


Ma rage (quel autre mot ?) s'accroissant de l'obstination dans l'erreur à laquelle je me heurtais. « Vous réenfoncez les mêmes clous aux mêmes endroits avec un acharnement redoublé. » (Même date) Mais que faire d'autre, en face de qui ne veut pas admettre qu'il erre ? Ou plus exactement qui vous concède qu'il s'est trompé mais qui, par un autre biais, revient encore et encore à la charge ? Qui feint de se montrer conciliant, mais demeure persuadé du bien-fondé de ses positions ?


Aussi, comme on n'a toujours pas admis qu'une telle prose déconsidèrerait le texte qu'elle présentait, on s'interroge sur mes mobiles. Ma colère ne viendrait-elle pas de ce que « peut-être je voulais signer cette introduction et ces textes de liaison de [mon] nom d'écrivain, et qu'ainsi, par ces ajouts, [on] me rend la chose impossible ? »


Une guerre d'usure. Où l'on vous oppose des arguments désarmants sans fin renouvelés. Une guerre exténuante, à laquelle il faut bien un jour mettre fin, en attendant qu'elle reprenne sur un autre front. Et je finis par écrire : « Ce sera tout ou rien : mon introduction paraîtra telle que prévue ou ne paraîtra pas. » Et j'ajoute que j'interdis qu'on utilise mon travail.


Viennent les justifications, les aveux. Déjà, on m'avait écrit le 29 mai : « Ce que j'aimais trouver dans les lettres du vieux monsieur, ce n'était pas avant tout son admiration pour ce que Mireille écrivait, mais les phrases qui rendaient hommage à la jeune fille, à la jeune femme. Ce que je voulais qu'on sente, c'est qu'elle avait aimé le vieil homme, sinon pourquoi lui aurait-elle écrit ces longues lettres ? » Oui, pourquoi ? Douze ans après sa mort, le mystère demeure entier pour sa mère.


Mais, quoi qu'il m'en coûte, je reproduirai ici la fin de sa lettre du 1er juillet 1979, car elle est pour une fois sans fard et il importe que l'on sache dans quel climat j'ai dû travailler pendant des années pour « faire vivre » Mireille – en dépit de ses proches. Et pourquoi j'ai fini par jeter l'éponge. Au reste, Quelqu'Une me glisse à l'oreille qu'« un père, une mère, ce n'est pas sacré », surtout quand la méconnaissance de leur enfant se poursuit au delà de la tombe.


« Ce texte d'introduction, je vous l'ai dit, j'ai cru que vous l'aviez préparé pour moi, pour m'aider. […]

*****« Vous m'avez écrit plus tard : "Je ne peux plus rien faire pour vous. J'ai l'intime conviction que je n'aboutirais à rien de satisfaisant – ni pour vous, ni pour moi…" Cela est vrai aussi, j'en suis d'accord.
*****« Mais il reste quelque chose qui est encore possible. […] Les raisons que vous m'avez données, vous, à votre "c'est tout ou rien", ne sont que des raisons littéraires et intellectuelles, mais n'y a-t-il que cela ?
*****« Et le cœur ? Je veux dire ce que le cœur peut accepter entre vous et moi. Alors, parce que je crois aux bonnes raisons que nous pouvons trouver dans nos cœurs, puisque j'en ai trouvé moi-même pour tâcher de vous comprendre quand vous m'aviez si durement blessée, je vous dis ceci :
*****« Donnez-moi ce texte d'introduction ; donnez-le moi sans restrictions ; laissez-moi m'en servir : je n'oublierai aucune de vos remarques, mais je ne vous parlerai de rien. Puisque vous ne vouliez pas le signer, acceptez que les choses soient telles que je les avais imaginées : ce texte pour m'aider, et non pour m'entraver.
*****« Si c'est non, que ce soit Non sans commentaires et sans explications. "Ce que vous demandez est impossible".
*****« Je dirai : dommage pour moi ! dommage pour vous ! car le bien que vous m'auriez fait en acceptant, je suis sûre que vous l'auriez ressenti. L'Amant, c'est votre livre. Les Lettres [au vieil Ami], ç'aurait été le mien… aidée par vous. »

Mais oui, c'est la propre mère de Mireille qui m'écrit cette lettre qu'il serait trop facile – et cruel – de commenter. « Et le cœur ? » Quinze ans après, c'est le même redoutable « chantage de la tendresse » qui aura fait couler de précieuses larmes ; la même in-ca-pa-ci-té, si bien transmise à la petite sœur, de distinguer un langage niais, racoleur, d'une langue soutenue. Non, décidément, elles n'auront RIEN appris.


Je le demande donc aux lecteurs de bonne foi : était-il au monde deux personnes plus aptes à recueillir l'héritage littéraire, spirituel, d'une Mireille Sorgue, que « les femmes » de la famille ?



L'ouvrage ne parut pas mais les palabres reprirent quelques années plus tard, et les suggestions d'abonder : « Il semblerait logique que donnant les lettres [à M. Piquet] aux lecteurs, on donne aussi les poèmes [de 1962] : poèmes pour un jeune amour, lettres pour un vieil homme… Quels contre-chants, les uns et les autres, à cet amour-passion, cet amour-folie… dont ils reposeraient par une indéniable fraîcheur de sentiments, par la simplicité de la démarche : J'ai cru que tu m'aimais, tu m'as fait souffrir, j'essaie de me guérir de toi… Vous m'avez irritée, nous ne pensons pas la même chose, mais vous m'aimez tendrement et mon affection ne vous fera pas défaut. » (15 novembre 1985)


La petite sœur n'écrira sans doute pas le livre dont elle me disait rêver, mais il y avait, à l'évidence, chez sa mère une… écrivaine rentrée.

*****Quand j'en eus assez des chicanes, controverses, ergoteries variées, manœuvres dilatoires, considérations spécieuses, perfidies où l'on s'efforçait de me mettre en contradiction avec moi-même, et dont chacune appelait quatre pages ou dix de vaines réfutations ; quand j'en eus assez de travailler sous une surveillance tatillonne, acrimonieuse, aux prises avec la pire logique qui soit – la passionnelle – saupoudrée d'incompétence mais sous-tendue d'une opiniâtreté sans faille, et féconde en suggestions saugrenues,
je déclarai qu'il ne fallait plus compter sur moi. Et la réaction vaut d'être rapportée :
*****« L'interruption de la publication des Lettres à l'Amant, quel qu'en soit le responsable, c'est un coup de plus qu'on lui porte. Elle a 20 ans quand s'achève le Tome II. Il lui reste à peine trois ans à vivre. Allez-vous la bâillonner ? Tirer sur elle la dalle qu'elle a réussi à écarter dans sa lutte désespérée de l'été 1966 ? Pour peu de temps, direz-vous. Justement ! Parce qu'on vous contrarie, vous voulez lui couper la parole – mais alors ne dites pas que vous pensez exclusivement à Elle, à ce qui peut le mieux la servir. »
*****Je ne répondis pas. On aura remarqué le subtil passage du « quel qu'en soit le responsable » au on puis enfin au vous. Du grand art.

Ainsi s'acheva ma « collaboration » avec « les femmes » ; la pensée de celles-ci pouvant se formuler ainsi : – « Nous serions bien incapables de faire quelque chose de décent, MAIS… » (« Mais il faudra compter avec nous, car c'est notre Mireille. »)

*****J'eus simplement ces mots à l'adresse d'une grande Ombre : – « N'est-ce pas que tout le monde n'a pas la chance de naître orpheline, et enfant unique ? »

Les citations de Mireille sont en italique.

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1er février


en marge du site de mireille sorgue



XII - la « collaboration » (1)




Ayant lu, dans « Le Figaro littéraire », la copie du Concours général, un très vieil homme, Monsieur Piquet, ancien haut fonctionnaire, lui aussi frappé par les dons de Mireille, écrivit à la lauréate pour l'engager à… « honorer la littérature française. » Il lui prédit la gloire si, du moins, elle consentait à quitter sa province pour s'établir à Paris, seul lieu où se font les réputations. Se targuant d'avoir plus ou moins approché quelques grands noms des Lettres, d'être en relations avec un cénacle de poètes et d'assister à leur banquet annuel, il retint l'attention d'une Mireille flattée, heureuse d'être reconnue par un homme fort cultivé, au style incisif, et qui manifestait envers elle une confiance enthousiaste.


L'échange épistolaire qui s'engagea ne prit fin qu'à la mort, en 1965, de ce vieil ami ; mais elle fut à plusieurs reprises interrompue par une Mireille irritée, choquée, des jugements littéraires « scandaleux » ou des propos insanes de son correspondant.


Selon le vœu de M. Piquet, les lettres reçues lui furent renvoyées par sa veuve. Ne doutant pas de leur… tenue littéraire, j'avais prié leur auteur de ne pas les détruire, ce à quoi on consentit avec les réticences habituelles touchant les écrits tenus pour mineurs. Par parenthèse, j'eus beau, plus tard, produire une lettre de Mireille assurant qu'elles me seraient rendues « comme [mon] bien légitime » (puisque j'en avais empêché la destruction), je dus me contenter d'une photocopie, le respect des volontés de la morte étant, comme je l'ai dit, le dernier souci des « femmes ».



Ayant entrepris, à la fin des années 1970, l'édition de ces « Lettres au vieil Ami », je m'aperçus qui si l'on possédait une cinquantaine de missives de M. Piquet, il n'en restait que vingt-deux de Mireille. Et tout de suite, mère et fille s'étonnèrent, et les interrogations de se succéder. Le destinataire aurait-il détruit toutes les premières, et certaines plus récentes ? C'était fort improbable eu égard à l'admiration qu'il ne cessa de manifester à sa correspondante. Alors ? Alors je sentis les soupçons me viser. Sans doute avais-je laissé en place leur liasse lorsque je pris, dans l'appartement vide, les ébauches de ce qui serait L'Amant, mais qui sait?… Car enfin, comme me l'écrivit sa mère, et l'on jugera comme elle connaissait bien sa fille aînée : « Vous la voyez, comme vous le suggérez dans une de vos lettres (et dans le texte d'introduction des "Lettres au vieil Ami"), triant ces lettres d'après leur qualité littéraire : – ça, c'est bon, je le garde ; – ça, c'est faible (je n'ai pas atteint ma maturité d'écriture), je le brûle.


« Les lettres étaient sûrement assez belles pour être toutes publiées… mais qui saura jamais ce qu'elle a voulu faire. »


Si je la vois ! Je perçois même son allégresse au bruit du papier qu'elle déchire, ainsi qu'il advenait aux devoirs de l'étudiante à peine rendus, et fussent-ils brillants. Bien sûr, je suis seul à voir, à entendre, puisque la petite sœur put affirmer, quelques années après, à qui ne demandait qu'à la croire : « Il pourra prétendre que le reste a été détruit par Mireille (comme les lettres à M. Piquet). »


Eh oui, « capable des ruses les plus basses » et, de surcroît, « paranoïaque » (ainsi me voit-on), j'ai interdit à Mireille de détruire lesdites lettres pour avoir le plaisir d'en sacrifier la moitié !



« Mais qui saura jamais ce qu'elle a voulu faire ? » s'interrogeait la mère. Le mieux est donc de relever, dans les lettres à l'Amant, tous les passages évoquant cette correspondance.



« Rien de rébarbatif chez lui […] mais une ironie dont j'ai assez peur. » (20 octobre 1962)


« Hélène aime les garçons. M.Piquet "avait beaucoup aimé les femmes". Je ne lui ai pas écrit depuis trois mois n'ayant rien à lui dire que des choses désagréables. Il m'avait envoyé un carton d'invitation au banquet des poètes, et fait plusieurs réflexions dont il ne mesurait sans doute pas quel scandale elles me seraient. » (28 février 1963)


« Il me fut insupportable d'entendre cet homme, si sûr de lui dans ses lettres naguère, et qui pourrait être mon… arrière-grand-père (92 ans, je crois) "s'humilier" [ "Je n'aurais jamais dû vous causer de peine"] J'ai passé la soirée de samedi à lui répondre longuement, et je crois bien l'avoir fait avec tendresse . […]


Je lui ai gravement promis d'aller dans l'acte d'écrire à la limite de mes forces […] Je voudrais que ma lettre lui parvienne et lui écrire encore pour qu'il se sente moins seul , moins vieux, pour qu'il ait moins peur. Je ne croyais pas l'aimer, je pensais assez peu à lui, mais j'ai de la peine. » (13 janvier 1964)


« Tout à l'heure je répondrai à Monsieur Piquet dont la lettre reçue samedi dernier te mettra, si je ne me trompe, fort en colère. Tête de bois. – "Sapristi !" Je ne le ménagerai pas et je demeure irréductible. Il n'est pas une phrase, hors la dernière, qui ne me fasse protester ! » (26 janvier 1964)


« Si intérêt il y a, pour moi, dans cette correspondance , c'est celui de me définir face à ce que je refuse, et qu'il représente. Je n'y manque pas, absolue, belliqueuse à souhait. Pourquoi l'épargnerai-je ? C'est un homme rude et franc, je suis avec lui rude et franche. […] Du reste, je le fais brièvement, je souhaite seulement lui être de quelque compagnie (dernière). » (2 février 1964)


« J'ai pris congé de lui, non sans quelque amertume. Une première fois j'avais éprouvé que je ne pouvais concilier cette correspondance et mes secrètes convictions. Je t'avais choisi. À présent la nécessité de rompre s'impose à nouveau, et je viens d'en finir : "Car vous êtes le monde, et c'est votre grand tort : vous en avez l'autorité, l'ironie, le regard froid, et ce sourire qu'on voit sur les lèvres de Voltaire, corrosif. Vous m'avez rudoyée comme un petit soldat…" Paix à son âme. J'essaie de n'avoir pas de remords. "Nous en resterons là." Je lui ai demandé de brûler mes lettres lui-même sans attendre. » (11 février 1964)


« Quant à Monsieur Piquet, j'ai reçu hier une lettre qui m'a touchée, navrée. Je l'ai accusé d'être "le monde", je l'ai repoussé, et je l'en devine malheureux […] – Et, à la fin, ceci que j'ai mérité d'entendre : " Et puis je fais cette réflexion amère que les jeunes femmes qui ont un amour ne peuvent rien supporter des autres hommes, pour un peu elles ne leur pardonneraient pas d'exister ; ce sont donc eux qui ont tort, je le savais déjà." Pour cette phrase-là, qu'on dirait d'un vieil amoureux déçu, écarté, blessé, je lui ai tout pardonné, et je lui ai répondu. Je ne sais pas abandonner quelqu'un… Tu ne m'aimerais pas méchante, dis ? » (17 février 1964)


« … j'écrirai à Maman, puis à Monsieur Piquet dont j'ai reçu une lettre douce et navrante à la fois. Cet homme si froid et maître de lui, ironique et léger, le voilà qui s'effondre comme s'il avait eu vraiment peur de me perdre la semaine dernière, comme s'il avait souffert de mon mépris ; le voilà qui presque balbutie, le voilà qui s'attache, qui s'accroche à moi comme à la vie, la dernière source de tendresse, la seule chance… J'en suis émue et désolée. Heureuse d'avoir crevé cette carapace d'indifférence ; triste parce qu'il va mourir plus déchiré. […]


S'il avait ton âge, je cesserais de lui écrire ; mais il est très vieux et seul, il va mourir ; tu peux bien, sans jalousie, lui permettre de m'aimer. […]


Je ne dis pas : "Je n'y suis pour rien, ce n'est pas ma faute." Je dis que je l'ai provoqué dans ma dernière lettre toute d'apaisement, et que je crois devoir continuer à le faire, précautionneusement, charitablement, que je dois exalter une vie précaire, la soutenir de toutes mes forces jeunes, lui faire oublier s'il se peut l'échéance trop prochaine. » (23 février 1964)


« … ce vieil homme, par une avidité douloureuse, veut connaître de moi surtout ma réalité de jeune femme. J'ai voulu une bonne fois le prévenir des limites que je fixais à mes confidences ; la charité ne saurait en aucun cas justifier ce que j'éprouverais pour moi comme une infidélité morale. […] Je lui avais demandé de brûler mes lettres. Je vois bien qu'il ne s'y résoudra pas et qu'il me parle derechef de me les rendre pour que j'en puisse prendre "ce qui devra être publié". Bien sûr ces lettres te seront restituées, comme ton bien… légitime. » (2 mars 1964)


« Le pauvre homme a failli mourir et me conte cela comme une aventure plaisante dans une longue lettre dictée à sa belle-fille alors qu'il était encore au Val-de-Grâce. Je décèle dans sa verve un accent de délivrance et de bonheur qui rend touchante sa désinvolture à l'égard de la mort ; car s'il s'efforce d'être très digne et brave devant la circonstance, il n'en savoure pas moins avec jubilation le sursis accordé. Et pour célébrer cette convalescence, il m'écrit le lendemain lui-même trois grandes pages au sujet de la peinture, en réponse à ce que je lui ai dit des expositions que nous avons vues cet été… C'est étrange, ce que j'aime en lui c'est sa vulnérabilité, sa mort prochaine. La pensée de cette mort suscite en moi un élan de tendresse, comme si pressentant que le temps accordé à notre amitié est bref, je voulais donner à cet homme, qui a confiance en moi et m'aime bien en dépit de sa brusquerie, un surcroît de bonheur. Je crois que je lui pardonne ses erreurs, ses préjugés comme je pardonne à Hélène d'être si différente de moi ; je me sens très capable de le bercer de paroles douces, de le dorloter, comme je console Hélène, parce que quel que soit le jugement que je porte à son égard, tout être qui s'en remet à moi a droit à mon affection fraternelle. Qu'importent les défauts de M.P. puisque près de mourir il fait alliance avec ma jeune vie dont je lui dois par simple charité le soutien… » (28 octobre 1964)


« J'essaie – vainement – d'imaginer quel effet cela* peut produire. Par exemple à Monsieur Piquet qui m'écrit pour m'engager à honorer la littérature française. (Son insistance à la fin est assez élogieuse.) Je voudrais bien (et là je ris dans ma barbe) lui faire ce cadeau avant qu'il ne meure. Ce doit être possible. À la réflexion, je crois que cela lui plairait par moments, mais aussi qu'il me jugerait folle ! » (10 septembre 1965)


« Le vieux Monsieur Piquet tient sur Proust et Claudel de stupides propos, mais se dit ravi de mes lettres – au point de m'en recopier des passages pour que je m'entende ! "Écrivez toujours ainsi, sans y prendre garde"…


Sais-tu que notre diable d'homme a connu Giraudoux – sur le bateau revenant d'Indochine ? Et de même les deux (premiers ?) maris de Colette, "le second, beaucoup". Mais il parle de tous comme de ses confrères en politique. C'est irrémédiablement un mondain, sans aucune sensibilité poétique. » (17 novembre 1965)


« Monsieur Piquet est mort le 31 décembre à Paris. Je n'ai pas vraiment de la peine parce que l'événement demeure abstrait. Cela me laisse seulement interdite, sans parole. En fait, je ne parviens pas à le penser mort. C'est seulement pour moi un silence qui s'accentue. Je suis attristée qu'il n'ait pas reçu de moi le signe et le gage que je lui ai adressés au retour des vacances, le 3 janvier. Nul doute qu'il en eût été heureux. » (14 janvier 1966)



On a scrupule à ajouter un seul mot, car la Mireille la plus attachante est dans ces lignes où la compassion l'emporte sur tout autre sentiment, et l'on ne doute pas de sa sincérité quand elle écrit : « tout être qui s'en remet à moi a droit à mon affection fraternelle. » Sans pourtant renoncer jamais à ses exigences littéraires. : « Je lui avais demandé de brûler mes lettres. Je vois bien qu'il ne s'y résoudra pas. » Ce qu'elle fera, en partie, sans m'en parler, sachant que j'en serais mécontent.

Quoi qu'il en soit, sa mère peut bien s'étonner qu'elle ait adressé à ce très vieil homme, près de mourir, qui l'irrita tant de fois, la « Célébration de la Main » qu'elle venait d'achever : « Vous voulez que Mireille ait été malheureuse à cause de ce vieil homme. Moi, je veux bien. Mais alors pourquoi lui adressa-t-elle le manuscrit de "la Main" ? »


Je vous le dis, Madame, rien ne montre mieux à quel point votre fille aspirait à une reconnaissance qu'elle savait ne pouvoir attendre des siens. Quant à la destruction d'une partie de ses lettres, je suis aujourd'hui persuadé qu'elle a déchiré celles, nombreuses, où elle malmenait le vieil homme qui la choquait en la "rudoyant".

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* cela : la « Célébration de la Main » qu'elle vient d'achever.
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Les citations de Mireille sont en italique.
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jeudi

15 janvier 2010



en marge du site de mireille sorgue



XI - le testament (2)




En quelques lignes solennelles, d'une écriture lapidaire, on m'avait donc légué, « afin que [je] sois établi richement », toutes « [ses] éphémères richesses » ; non, bien sûr, d'ordre matériel, mais tous écrits nés (tels les poèmes de l'été 1962) ou à naître sous sa plume.


Et ce qui est saisissant, c'est qu'en ces lignes passe la prescience d'un temps qui sera bref, d'une raison qui pourrait être menacée, d'une « attribution » qui risque d'être controversée. Aussi les mots d'exclusive, de réserver, d'unique, viennent-ils témoigner de la résolution de la donatrice.


Non seulement ces dispositions ne seront ni rapportées, ni même atténuées, mais on les trouve confirmées jusqu'à la fin. Ce que la petite sœur déplora en ces termes : « Mireille, dans son amour aveugle, lui a tout donné. » (Les siennes, d'amours, furent, on l'espère, plus clairvoyantes.) Et, toujours vindicative, de rêver d'une « perquisition-surprise ». Et d'espérer « obtenir un jour que nous soit restitué tout ce qu'il détient. »



On pouvait penser que l'âge, la valeur insigne de la morte, les circonstances de sa fin, conduiraient mère et sœur à faire droit sans réserve à des dispositions si fermement, si clairement formulées. Mais la mère, très tôt, me prévint : « Rien ne se fera sans nous ». Cependant que sa fille cadette m'écrivait, en août 1985 : « Mireille, vous ne cessez de le répéter, vous a fait l'unique héritier de tous ses écrits. Je voudrais bien savoir quelle forme revêt ce "testament" et de quand il date. »


Une question d'un parfait cynisme, son auteur sachant fort bien que sa sœur, ne pouvant imaginer que sa famille ne tiendrait aucun compte de ses volontés, ne s'était pas rendue chez un notaire.


Les lignes sans ambiguïté que j'ai citées, les multiples confirmations sans la moindre restriction qu'elles reçurent tout au long de la correspondance, étaient-elles néanmoins sans valeur, et la justice ne pourrait-elle pas les déclarer valides ? On consulta avocats, notaire, qui ne purent se prononcer : ainsi, la Société des Amis de Roger Gilbert-Lecomte (1907-1943) avait gagné son procès contre l'ayant droit qui refusait qu'on publie la correspondance du poète surréaliste. Un redresseur de torts patenté - mâtiné de détective privé -, que je n'avais pas mandé, fit mon siège durant des mois pour me persuader d'engager une action. (Aussi disposé-je d'une ample jurisprudence.) Je n'ai pas l'esprit procédurier et j'avais alors à faire. Mais, aujourd'hui, un éventuel avocat pourrait puiser à pleines mains dans cette chronique...



Je voudrais rassurer les mères qui auraient perdu une fille de génie, si, d'aventure, elle avait légué, à un quelconque amant, toute son œuvre – littéraire, picturale, plastique… La loi est là pour pallier les errements des filles ingrates. Cela se nomme, et Mireille et moi l'ignorions, le « droit patrimonial », ce qui fait, de la parenté, des « ayants droit » et, comme disent les contrats d'édition, des « co-auteurs ». (Un titre dont on se fit un plaisir, dans mon cas, de se prévaloir.)


En bref, le droit patrimonial permet fort bien, sauf à plaider, la captation d'héritage dans l'ordre de la création. Aussi étais-je sans illusion, quand j'écrivais à la petite sœur, voilà bien des années :


« Mireille a-t-elle le moins du monde associé sa mère, sa sœur de vingt ans à son activité créatrice ? Leur a-t-elle fait confiance pour comprendre et goûter ce qu'elle écrivait ? Leur a-t-elle, en particulier, soumis le texte de la « Célébration de la Main » qu'elle adressa en revanche, à un ami nonagénaire jamais rencontré, mais qui n'avait cessé de lui prodiguer admiration et encouragement, au seul vu de sa copie du Concours général – que chacun, dans la famille, avait pu lire ?


« Dans la correspondance avec l'amant, avec ledit ami, avec les parents, trouve-t-on une seule ligne, un seul mot, l'ombre d'un soupçon de velléité d'allusion pour souhaiter qu'après elle, "les femmes" s'occupent de ses intérêts littéraires, spirituels, et la "fassent vivre", fût-ce en collaboration avec l'"héritier" désigné ?


« Toutes les arguties du monde ne pourront faire que la réponse-couperet soit : non.»



Celle qui me fait de plus en plus penser à la Mara de La jeune fille Violaine, de Claudel, m'avoua à plusieurs reprises qu'au long de son enfance, de son adolescence, elle se sentit humiliée par une sœur bien plus gauche qu'elle, mais qui se gagnait tous les cœurs et par son intelligence et par son aménité. (« J'ai décidément trop souffert de notre différence. » (29 février 1985)


« Je me souviens d'une adolescente mal dans sa peau, triste, indécise, tiraillée, ne sachant que faire pour s'affirmer face à une sœur aînée trop brillante. Une adolescente qui n'eut pour seul recours pour exister quelque peu, que mendier quelques compliments dans le regard des garçons, et, puisqu'elle ne pouvait se battre sur le même terrain […] se protéger en s'enfermant dans le conformisme, en renonçant à suivre un modèle trop exigeant, en renonçant à savoir être libre comme elle. […] Je fus peu courageuse, peu intelligente, mais j'ai fait ce que j'ai pu pour sortir enfin de son ombre et ne plus marcher toujours deux pas derrière elle. » (1er juin 1985)


Aussi, était-il « insupportable » à ce Moi si longuement opprimé, et qui pouvait enfin prendre sa revanche (1) et exister, de se voir évincé de l'héritage littéraire. Et d'autant qu'on se sentait investie d'une mission jusqu'à se croire « habitée » : « Au long de ces heures difficiles que je viens de traverser, j'ai eu – ou j'ai eu besoin d'avoir – le sentiment qu'elle était là et que nous nous portions mutuellement. » (20 février 1985)



J'en conviens : avoir partagé cinq ans l'intimité spirituelle d'une Mireille Sorgue, avoir lu, relu les lettres qu'elle vous écrivit chaque jour, ne pèse pas lourd en face de vingt années d'une… cohabitation familiale dont on a vu dans quel climat de communion intellectuelle, de compréhension profonde, elles se déroulèrent.

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(1) Pourquoi pensé-je au « C'est à mon tour maintenant ! » d'un certain soir de juillet 1962 ? (Cf. chapitre II : Les coupures)
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Toutes les citations de Mireille sont en italiques.
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